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«J'ai jamais pris de drogue!»

L'image sociale associée à une drogue ne devrait pas être prise en considération afin de déterminer si elle devrait être légale ou non. Du moins, on devrait se rendre compte que cette image influence notre jugement.
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Nous sommes à l'aube d'une époque où la consommation et la distribution de cannabis seront des activités parfaitement légales au Canada. Notre premier ministre et son administration souhaitent lever le voile de l'interdit sur cette activité, à l'instar du président Roosevelt qui mit fin à la prohibition concernant l'alcool aux États-Unis.

«Enfin» disent certains; d'autres, plus prudents, restent critiques face aux dérives potentielles que cela pourrait engendrer.

De ces critiques, beaucoup semblent fondées sur du vide, sur des vestiges de l'Église, et malheureusement, sur l'image sociale que dégage le cannabis. L'image sociale...?

Si je vous demande de me décrire le stéréotype du fumeur de pot par excellence, à quoi pensez-vous? À l'ado bien frosté dans son cours au Cégep qui a comme seule ambition l'entretien de sa collection de vinyles? Ah non, c'est peut-être au petit bum du secondaire qui fait des deals dans les toilettes et qui cache son stock dans son casier. Ces images collent au cannabis, ce qui est fort dommage, puisqu'elles détournent du réel débat à savoir quels seraient les impacts positifs et négatifs de la légalisation de cette drogue.

Faisons le même exercice, mais cette fois-ci avec le stéréotype du buveur de vin par excellence. Est-ce qu'il s'agit de l'intellectuel, aux goûts raffinés, qui se passionne pour les Quatre Saisons de Vivaldi et les poèmes de Baudelaire? Peut-être s'agit-il de l'enseignante au secondaire se qualifiant d'épicurienne, qui souhaite faire la route des vins en Provence?

Ça ressemble à ça? Peu importe. L'acceptabilité sociale accordée au vin est beaucoup plus positive que celle accordée au cannabis. Mais au fond, en quoi sont-ils si différents?

Je ne compte plus les fois où j'ai entendu des gens se vanter de ne jamais «avoir pris de drogue», faisant référence à leur abstinence face au cannabis. À chaque occasion, c'est avec plaisir que je me permets de leur rappeler qu'ils boivent de l'alcool en soirée et que chaque matin, ils s'empressent de se faire couler un café. À eux de me répondre: oui, mais ça compte pas... Ah non? Pourtant, une drogue peut se définir comme: «toute substance psychoactive capable de modifier les fonctions psychiques et/ou physiologiques d'un individu».

Donc, malheureusement pour leur bonne conscience, ces individus consomment des drogues régulièrement, tout comme l'emblématique cégépien gelé comme une balle dans le fond de sa classe, ou l'artiste peintre en pleine quête d'inspiration. Ce que ces individus n'ont jamais fait en revanche, c'est de consommer des substances socialement indésirables. Ça, je leur accorde.

À mon avis, l'image sociale associée à une drogue ne devrait pas être prise en considération afin de déterminer si elle devrait être légale ou non. Du moins, on devrait se rendre compte que cette image influence notre jugement. Dans ce cas, pourquoi est-ce qu'il s'agit encore d'une substance illégale? Quels sont les fondements derrière la loi? La suite devrait vous intéresser.

Au moment où le législateur a statué sur l'illégalité de cette substance, il n'y a jamais eu de réel débat public quant à ses impacts sur la santé, l'économie ou sur la criminalité. Elle s'est plutôt opérée dans la mouvance de la Prohibition aux États-Unis, au début des années 1920, sans une réelle contestation populaire.

La rhétorique du démon a été abondamment exploitée, prétendant que cette substance rendait les gens «fous furieux, violents, voire cruels, puisqu'ils se détachaient de tout sens moral, etc.» Tels sont les fondements idéologiques derrière la criminalisation du cannabis...

Surprenant quand même! Ces postulats sont pourtant forts étrangers au mouvement Peace and love, grand promoteur de la consommation de cannabis.

Heureusement, des gens ont remis en question cet argumentaire pseudo-scientifique. Le fruit de leur recherche a été pour le moins révélateur. Deux études sont particulièrement frappantes. Une première, effectuée en Ontario en 1996, a voulu évaluer les coûts sociaux du système de santé reliés à la consommation de drogues. Les résultats ont révélé qu'environ 97% de ces coûts étaient associés au tabac et l'alcool, alors qu'un faible 0,5% de ces coûts étaient attribuables au cannabis.

Une autre étude, datant de 1998, a dressé un tableau croisé de 9 familles de drogues dont l'alcool et les cannabinoïdes (famille du cannabis), liées à 8 types de troubles (physiques ou psychiques). J'ai moi-même été surpris de constater que, systématiquement, les effets de l'alcool (ex: neurotoxicité, dépendance physique, dangerosité sociale, etc.) étaient plus sévères que ces mêmes effets reliés aux cannabinoïdes. Cela a de quoi ébranler l'argument sur la santé publique. Si toutefois on utilise cet argument contre le cannabis, qu'est-ce que l'alcool et les cigarettes font encore sur le marché?

Le but ici n'est pas d'approfondir l'ensemble des éléments techniques reliés au cannabis, qu'ils soient juridiques ou chimiques. Je dénonce plutôt l'incohérence d'une partie de la résistance face à la légalisation du cannabis qui semble orientée sur l'image négative que cette drogue dégage. Plus globalement, je dénonce la tendance d'aborder un enjeu non par son essence, mais par ce qui l'entoure. Alors que le débat devrait tourner autour de la santé, de l'économie, des aspects légaux, etc., certains sont plutôt influencés par l'image attribuée à cette drogue, sans véritable appui factuel à leur argumentaire.

Sans doute serait-il mieux pour la santé des Canadiens que cette drogue disparaisse. On s'entend, le fait de fumer des joints ne figure dans aucun guide de saines habitudes de vie. Par contre, il y a un «mais». Je crois que ce qui ne peut être éliminé doit être contrôlé. À ce sujet, l'histoire nous donne quelques bons renseignements sur les manières de faire.

Rapportons-nous une fois de plus à l'époque de la Prohibition aux États-Unis. Étant donné que le gouvernement s'était refusé toute administration de la gestion de l'alcool, un autre organisme, moins diplomatique et un peu plus drastique dans ses pratiques, a décidé de prendre les reines de ce marché. Je parle ici de la Mafia, dirigé par le célèbre Al Capone. Pas idéal.

Nous sommes sensiblement dans la même situation aujourd'hui, au Canada, à l'égard du cannabis. On parle d'une substance illégale, marquée par l'interdiction de possession, de vente ou d'achat et contrôlée par le crime organisé. Personnellement, j'ai une plus grande confiance envers l'expertise gouvernementale que les méthodes utilisées par les motards ou les gangs de rue quant à la production et la distribution du cannabis.

Je pense que ma position sort un peu de mon jupon. Conscient que cette position est relativement dérangeante pour certains, je pense tout de même qu'un débat de fond concernant l'enjeu du cannabis est nécessaire. Au final, à quoi serviraient les enjeux s'ils ne faisaient pas l'objet de débats. Et à quoi serviraient ces débats s'ils n'étaient pas empreints d'un peu d'avant-gardisme. Et sans avant-gardisme, qu'en serait-il du progrès?

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