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Triste Legault

Statistiques Canada nous révèle que, sur une période allant de 1976 à 2011, le taux d'emploi actuel des jeunes Québécois est parmi l'un des plus élevés au pays. Dans la propre génération de monsieur Legault, ce taux atteignait, en 1976, 50,7%. Il est désormais de 57,7% chez ces jeunes qui ne « pensent qu'à la belle vie », deux points au-dessus de la moyenne canadienne, cinq points au-dessus du taux de nos voisins ontariens. Chez les 25-44 ans, il est aujourd'hui de 81,7%, alors qu'il n'était que de 67% à la douce époque de monsieur Legault, où l'on connaissait le vrai sens des mots « travail » et « effort ».
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CP

"Une culture se condamne elle-même à mourir si elle ne saisit pas l'interaction essentielle entre morale et pouvoir, si elle confond sagesse et techniques de management et si elle ignore que c'est à l'aune de sa compassion qu'on évalue une civilisation, et non à celle de son efficacité ou de sa consommation."

- Chris Hedges, L'empire de l'illusion

Première page affligeante ce matin que celle du Devoir qui titrait, en citant François Legault : «Les jeunes Québécois pensent trop à la belle vie». C'est ce qu'a déclaré le chef de la CAQ hier, au détour d'une conversion avec un Beauceron âgé de 85 ans. Désir de plaire à l'électeur qu'il courtisait ou réelle conviction, n'en demeure pas moins que cette courte déclaration, en peu de mots, résume très bien ce que nous avons pu voir et constater de la pensée du chef de la Coalition depuis quelques semaines. Les jeunes ne sont que des hédonistes insouciants, en quête de plaisir, en plus d'être autrement moins productifs que ne le sont les Asiatiques, par exemple, qui « étudient le soir » à s'en « rendre malades ». Incursion dans la pensée politique affligeante d'un homme qui se rêve premier ministre ...

Travaillez!

Legault vient donc entonner à son tour le doux mantra de la droite « lucide » qui s'inquiète de l'avenir du Québec et de notre manque de compétitivité par rapport aux pays émergents. Travaillez plus, jeunes Québécois, vous qui êtes à la traine de nos voisins canadiens! Vous n'êtes pas assez compétitifs, vous qui devez vous mesurer à des travailleurs payés en deçà du minimum vital, entassés dans des usines aux conditions exécrables, travaillant bien souvent plus d'heures par jour que le bon sens ne peut le supporter.

Vous n'êtes pas assez compétitifs, vous qui devez vous mesurer au travail des enfants, que l'on a aboli de ce côté-ci du monde, mais qui continue d'alimenter l'industrie de ces nations autrement plus compétitives que la nôtre! Quelle jeunesse affligeante, quelle jeunesse insouciante! Au moment où le ralentissement économique, l'essoufflement guettent la Chine, il conviendrait de remettre certains chiffres en perspective.

Ainsi, Statistiques Canada nous révèle que, sur une période allant de 1976 à 2011, le taux d'emploi actuel des jeunes Québécois est parmi l'un des plus élevés au pays. Dans la propre génération de monsieur Legault, ce taux atteignait, en 1976, 50,7%. Il est désormais de 57,7% chez ces jeunes qui ne « pensent qu'à la belle vie », deux points au-dessus de la moyenne canadienne, cinq points au-dessus du taux de nos voisins ontariens. Chez les 25-44 ans, il est aujourd'hui de 81,7%, alors qu'il n'était que de 67% à la douce époque de monsieur Legault, où l'on connaissait le vrai sens des mots « travail » et « effort ». Nous pourrions compulser ces chiffres longtemps pour tenter d'en tirer une conclusion, à l'avantage des uns ou des autres.

Le fait est que Legault vient nous prouver lui-même son déphasage d'avec la réalité du monde d'aujourd'hui. Il se plaignait de s'être vu questionner par les jeunes de l'Université du Nouveau Monde qui lui demandaient, après l'un de ses discours sur la création de la richesse, quel était l'objectif, quelle était la nécessité impérieuse d'augmenter à tout prix la productivité et la création de richesses au Québec, au moment où l'on sait que notre environnement ne pourra bientôt plus supporter le rythme de croissance du mode de vie occidental. Question aberrante pour monsieur Legault; raisonnement plus que pertinent à mes yeux. La communauté scientifique nous met en garde depuis des années quant au point de non-retour que nous franchirons tous bientôt.

En plus des profondes crises que traverse l'économie telle que pensée et définie depuis des décennies, il serait irréaliste de penser que nous pourrons continuer à ce rythme de croisière, sans repenser nos façons de faire, sans revoir les fondements mêmes de notre système économique. Cela signifie-t-il prier pour que le Grand soir arrive, comme aimeraient le caricaturer bon nombre de commentateurs de droite? Certes non. Mais cela ne signifie pas non plus penser qu'il faille appliquer, encore et toujours, la même vieille recette économique. François Legault, qui critique allègrement les « vieux partis », vient de nous prouver que la vieillesse politique n'est pas fonction de l'âge, mes des idées que l'on porte ...

Quelle vision pour l'avenir?

C'est ainsi qu'afin de combler cet écart de productivité insoutenable, monsieur Legault croit que les universités devraient jouer un rôle fondamental, en ce sens où la formation universitaire devrait garantir une plus grande productivité aux jeunes Québécois. Notre université n'aurait donc plus comme objectif premier - et fondamental, doit-on le rappeler - de former des citoyens aptes à réfléchir et prendre part à la vie de leur collectivité, mais bien de jeunes travailleurs prêts à concourir contre les pays émergents sur la scène économique mondiale.

Triste vision de notre université que celle que nous réserve François Legault, où l'impératif de productivité aura pris le pas sur le nécessaire devoir de recherche et de réflexion. C'est cette même vision qui afflige aujourd'hui le système universitaire américain, où les administrations des universités se ruinent dans des projets immobiliers douteux, dans le seul objectif d'attirer le plus de «clientèle» et de former le plus grand nombre de techniciens ultra-spécialisés.

Lorsque l'heure des bilans sonne et que l'on doit remettre en ordre les livres, l'on procède trop souvent à la rationalisation des dépenses au détriment des départements jugés non « rentables », humanités et arts les premiers, auxquels on coupe les vivres. Les banquiers y gagnent au change; la collectivité y perd cependant en culture, alors que l'université sape les bases essentielles de ce « dialogue avec l'humanité » (N. Baillargeon) que devrait assurer notre réseau supérieur. Quelle vision porteuse, quelle vision emballante pour la société québécoise et l'éducation de nos jeunes citoyens! Mesurez mon ironie ...

Monsieur Legault vient nous prouver aujourd'hui - s'il était nécessaire d'en faire encore une fois la démonstration - qu'il n'a pas l'étoffe de ces premiers ministres qui ont forgé le Québec moderne : les Lesage, Lévesque, Bourassa ou Parizeau. Legault est un gestionnaire, un apprenti PDG qui ne mesure pas la charge historique et politique de la fonction de premier ministre. Cela pouvait peut-être convenir il y a quelques décennies de cela, mais force est de constater que les défis qui nous attendent nécessitent une hauteur de vue autrement différente. Un chef d'État se doit de regarder vers l'avenir et de voir quel chemin il convient d'emprunter dans un monde en profonde mutation, afin d'assurer la place du Québec dans le monde et la préservation de ce qui fait de nous un peuple unique. Legault nous propose au contraire d'embarquer dans le train de ces nations qui frapperont bientôt le mur de la réalité, elles qui n'auront pas su mesurer que le monde de 2012 est à repenser. Évitons-nous collectivement, pour l'avenir, d'emprunter cette voie ...

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