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On ne "zappe" pas une crise sociale

N'en déplaise donc aux dirigeants de l'industrie du spectacle, nous ne « zapperons » pas cette crise sociale. Les enjeux sont trop grands, les questions trop importantes et débordant de loin le seul conflit étudiant pour que l'on mette le tout sous le boisseau. Un festival - à plus forte raison subventionné - peu toujours espérer faire mieux à l'édition suivante. Force est d'admettre qu'une société entière n'a cependant pas le luxe de disposer d'une pareille marge de manœuvre. Lorsque le feu est pris à la demeure, l'on ne reste pas à s'amuser sur le perron.
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Comme on dit dans les salles de jeux, rien ne va plus! La loi spéciale n'a visiblement rien calmé, les négociations entre le gouvernement et les étudiants ont achoppé et les manifestations continuent de se démultiplier aux quatre coins du Québec, dans un assourdissant tintamarre de casseroles. Ce qui au départ était un débat comptable autour de la contribution étudiante aux études universitaires s'est rapidement transformé en crise sociale, fédérant autour de la cause estudiantine les revendications et les récriminations contenues pendant neuf années de règne.

Ce n'était non plus les universités qui étaient en cause, mais désormais la logique néolibérale imprégnant l'éducation supérieure, les scandales dans l'industrie de la construction, le financement occulte des partis politiques, le dossier des gaz de schistes ou encore l'attribution des places en garderie, dossier pour lequel l'actuelle ministre de l'Éducation a subi les critiques du vérificateur de la province. Or, les appels se sont multipliés dans les derniers jours du côté des alliés objectifs du gouvernement, invitant les étudiants à une trêve et à une pacification du climat social. La saison touristique débutera sous peu à Montréal. Quelle image - grand Dieu! - allons-nous offrir à la planète du tourisme dans les prochaines semaines? Comme s'il était désormais possible de faire pire que celle renvoyée par les journaux du monde entier autour de la loi spéciale et de la violence, tant policière que militante, qui embrase les rues de Montréal depuis des semaines...

Jeudi dernier, c'est le président du Conseil du patronat, monsieur Yves-Thomas Dorval, qui appelait à la cessation des hostilités. Dans une lettre urbi et orbi publiée dans les pages des grands quotidiens, le « patron des patrons » y allait d'une analyse toute affairiste de la situation, pontifiant les uns et les autres, la population, les étudiants comme le gouvernement, y allant de ses recommandations pour chacune des parties concernées. Au-delà du culot qu'une telle démarche exige, M. Dorval en appelait à l'arrêt des manifestations afin de « montrer à la face du monde que, peu importe les différences de point de vue que l'on puisse avoir ici, le Québec est une nation accueillante où il fait bon vivre et où il est agréable d'y venir pour les affaires et pour le plaisir. » Le président du CPQ défend ses membres et ses intérêts financiers et c'est en soi légitime.

Cependant, je n'ai pu que me sentir mal à l'aise à l'idée de voir cette grande mascarade populaire qui nous est proposée. Une commission a débuté ses travaux sur la corruption dans la construction? Applaudissez tout de même! Les décisions passées de l'actuelle présidente du Conseil du trésor sont sous la loupe du vérificateur général de la province qui y détecte anguille sous roche? Allons donc! Souriez et soyez accueillants pour les étrangers! Le Barreau, des avocats, d'éminents juristes et Amnistie Internationale dénoncent une loi spéciale qui porte atteinte au droit de manifestation et d'association? N'ayez cure bonnes gens et venez faire rouler l'économie de la métropole de bon cœur! Panem et circenses, du pain et des jeux. C'était l'expression employée par Juvénal afin de souligner la propension des dirigeants à apaiser l'opinion publique par le divertissement populaire. Aujourd'hui heureusement, de moins en moins de citoyens sont dupes du procédé.

N'en déplaise à monsieur Dorval ou à Gilbert Rozon, les grands événements seront vraisemblablement perturbés. Et bien franchement, j'espère bien qu'ils le seront! Les humoristes de Juste pour rire pourront peut-être profiter de la situation pour étoffer leur palette de sujets afin de nous servir autre chose que leurs sempiternels monologues sur la vie de couple qui n'intéressent personne: les hommes ont parfois de la difficulté à bander et les femmes sont compliquées? Ah ah ah! Merci, prochain appel! Quant au Grand Prix de F1, qu'est-il donc, sinon qu'une orgie consumériste où tous les « douchebags » de la métropole peuvent venir se faire photographier, semi-claqués par la mauvaise bière en fût trop cher payée, aux côtés de « pitounes » en mini-jupes? Vivement qu'il soit bousculé! Ce qui est indécent dans toute cette histoire de course automobile, ce ne sont pas les slogans qui seront inévitablement scandés par les manifestants, mais bien le fait de s'être prostitué politiquement et financièrement par le passé en allant faire la génuflexion auprès du parrain de la F1 à Londres.

Que nous ayons envoyé un ministre de notre gouvernement national ainsi que le maire de la métropole auprès d'un pdg, comme s'il s'agissait d'un chef d'État, alors que nos citoyens ont de la difficulté à se faire entendre du gouvernement et ce, crise après crise, décision controversée après décision controversée. Le pape de la F1crie? Tous accourent ! Les citoyens manifestent? Le gouvernement les ignore souverainement.

N'en déplaise donc aux dirigeants de l'industrie du spectacle, nous ne « zapperons » pas cette crise sociale. Les enjeux sont trop grands, les questions trop importantes et débordant de loin le seul conflit étudiant pour que l'on mette le tout sous le boisseau. Un festival - à plus forte raison subventionné - peu toujours espérer faire mieux à l'édition suivante. Force est d'admettre qu'une société entière n'a cependant pas le luxe de disposer d'une pareille marge de manœuvre. Lorsque le feu est pris à la demeure, l'on ne reste pas à s'amuser sur le perron. Depuis des années maintenant, le climat social et politique au Québec est délétère. Ce printemps a tout bousculé. Et il faudra bien plus que quelques blagues salaces et le bourdonnement des moteurs pour étouffer la clameur des manifestants.

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