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Il y a crise, Monsieur Pratte, lorsque l'on refuse de reconnaître la légitimité démocratique de décisions prises en assemblées délibérantes, et ce, avec des taux de participation qui feraient rougir toute notre classe politique. Il y a crise, Monsieur Pratte, lorsqu'un gouvernement préfère laisser aux tribunaux et aux corps policiers le soin de dénouer les conflits dans le milieu de l'éducation, ne faisant qu'alimenter les tensions plutôt que d'apaiser la grogne estudiantine.
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CP

Depuis le début du conflit qui oppose le mouvement étudiant au gouvernement du Québec, l'éditorialiste André Pratte tente par tous les moyens de minimiser l'impact de la crise qui secoue le milieu de l'éducation. Il écrivait encore récemment, dans une prose empruntée aux meilleurs rhéteurs de la radio de Québec: « Si le gouvernement Charest devait suivre les conseils de la gauche et des pâtes molles qui, tout en étant d'accord avec la hausse des droits de scolarité, tremblent à la vue de la «crise», il n'y aurait plus moyen d'apporter quelque réforme que ce soit au Québec. Sauf les changements bénis par la Sainte Trinité PQ-syndicats-artistes. » (Cyberpresse, 13 avril 2012)

C'est donc dire que dans son esprit, l'obstination et la mauvaise foi apparentes du gouvernement, même dénoncées par un ancien ministre libéral de la trempe de Claude Castonguay, peuvent encore passer pour du « leadership » politique. C'est dire! Ceci sans compter les débats sémantiques lancés par Québec et que Monsieur Pratte ressasse lui-même sur la place publique. Ainsi, on ne parlera plus de grève étudiante, mais bien de « boycottage » des cours, alors que les étudiants sont réduits au statut d'êtres déraisonnables, faisant, et je cite, « l'école buissonnière ». Permettez donc que je m'adresse brièvement à lui ...

Il y a bien crise

Il y a crise, Monsieur Pratte, lorsque l'on refuse de reconnaître la légitimité démocratique de décisions prises en assemblées délibérantes, et ce, avec des taux de participation qui feraient rougir toute notre classe politique. Il y a crise, Monsieur Pratte, lorsqu'un gouvernement préfère laisser aux tribunaux et aux corps policiers le soin de dénouer les conflits dans le milieu de l'éducation, ne faisant qu'alimenter les tensions plutôt que d'apaiser la grogne estudiantine. Il y a crise, Monsieur Pratte, lorsque près de 700 personnes, professeurs et étudiants confondus, sont arrêtées pour des motifs pour le moins boiteux et que l'enceinte sacrée de l'université, pourtant un lieu de discussion, de réflexion et d'indépendance intellectuelle, est violée par l'emploi de fier-à-bras d'agences de sécurité privées. Il y a crise, Monsieur Pratte, lorsque plus de 150 000 personnes descendent dans les rues, avec une discipline exemplaire et de façon pacifique, et que le gouvernement demeure sourd à entendre leur message. Lorsque les sondages montrent qu'il y a une fracture générationnelle dans l'opinion publique, qui opposent les plus jeunes à leurs aînées dont ils devront pourtant assumer la facture de leurs choix politiques passés.

Enfin, il y a bien crise, Monsieur Pratte, lorsqu'une mauvaise blague lancée devant le gratin du milieu des affaires devient plus efficace à dénouer une impasse politique que la voix légitime de milliers de citoyens s'adressant à leur gouvernement ...

Vous écriviez à propos des manifestants étudiants, le 9 mars dernier, que « les jeunes participant aux manifestations constituent une petite minorité, parfois même une minuscule minorité. » À peine deux semaines plus tard, cette « infime minorité » faisait mentir de façon éclatante votre analyse de la veille : des dizaines de milliers d'entre eux se réunissaient au centre-ville dans l'une des manifestations les plus imposantes de l'histoire du Québec contemporain. Vous écriviez également, peu après le 22 mars, que le mouvement de grève allait mourir de sa belle mort au bout de quelques jours. Nous approchons du mois de mai, et nous en sommes maintenant à la onzième semaine.

Loin de s'essouffler, les mandats de débrayage se reconduisent à la grandeur de la province alors que de nouvelles facultés entrent dans la danse. Or cette crise, Monsieur Pratte, elle n'est pas l'apanage du seul mouvement étudiant. C'est aussi la crise d'une vaste majorité de la population qui ne se reconnaît plus dans les valeurs de notre système politique, où l'ambition personnelle, l'appât du gain et l'impunité dans la gestion des deniers publics ont mené, après près d'un an de demandes incessantes, la tenue d'une commission d'enquête publique. Cette crise, Monsieur Pratte, c'est aussi une crise de confiance devant la gestion douteuse de nos ressources naturelles et la volonté de développement effréné, sans mesurer les impacts réels sur notre territoire et sans savoir si nous tirerons notre « juste part » des profits.

Ne vous surprenez donc pas si, après avoir ridiculisé les premières manifestations de ce printemps mouvementé, la population faisait à nouveau mentir vos analyses dimanche dernier par une nouvelle marche d'une ampleur historique, qui regroupait non seulement les citoyens inquiets quant à l'avenir de notre planète, mais qui rassemblait également toutes les causes et tous les groupes laissés pour compte par le gouvernement Charest. Notre société traverse une période de profonds changements ou du moins, une période de déplacement des plaques tectoniques sociales.

La grève étudiante n'en est que l'une des nombreuses secousses sismiques apparentes. Échouer à le voir relève soit de l'aveuglement volontaire, soit d'une profonde incapacité à comprendre la grogne qui s'exprime de plus en plus fort, et ce, depuis plus d'un an. Douce ironie, nombre de vos collègues chroniqueurs de La Presse, eux, ont flairé l'effervescence sociale de ce printemps, de Patrick Lagacé en passant par Michèle Ouimet, de Rima Elkouri jusqu'à Marie-Claude Lortie.

Monsieur Pratte, à trop temporiser, minimiser ou ridiculiser l'ampleur de la contestation sociale, l'on court le risque de se voir accoler l'étiquette de l'insignifiance ou de la servilité intellectuelle envers les décisions d'un gouvernement que vous appuyez - à bon droit - publiquement. Mais il y a une chose plus grave, pour un observateur de la vie publique, que d'avoir été du mauvais côté de l'histoire.

C'est de se voir contredire, jour après jour, par le changement en marche ...

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