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La charte des valeurs québécoises, sur le fond et sur la forme

Ça y est, le débat sur les «valeurs québécoises» est lancé. Car c'est bien ce dont il s'agit, du «lancement» d'un ballon d'essai, d'une sonde politique servant à prendre le pouls des Québécois sur un sujet sensible, que l'on sait sujet aux dérapages et à l'enflure verbale.
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Ça y est, le débat sur les «valeurs québécoises» est lancé. Car c'est bien ce dont il s'agit, du «lancement» d'un ballon d'essai, d'une sonde politique servant à prendre le pouls des Québécois sur un sujet sensible, que l'on sait sujet aux dérapages et à l'enflure verbale. Après une année particulièrement éprouvante, faite de reculs et marquée du sceau de l'improvisation dans de nombreux dossiers, le gouvernement de Pauline Marois sait qu'il doit frapper un grand coup à la prochaine rentrée parlementaire afin de reprendre le contrôle de l'agenda politique, pour emmener le débat sur le terrain où il se sent le plus à l'aise, celui de la défense de l'identité québécoise.

Ceci au moment même où l'ancienne formation de Jean-Martin Aussant semble sur la voie de la marginalisation, désormais privée de son chef fondateur (et seul responsable de sa visibilité médiatique) et engagée dans une course à la chefferie où les aspirants-chefs rivalisent dans le registre de l'anonymat et du manque de crédibilité. Le PQ entend bien tirer les marrons du feu et redevenir le principal parti nationaliste au Québec, à quelques mois du déclenchement probable d'une nouvelle élection.

S'il nous faut donc discuter de cette future Charte, commençons donc par la forme qu'elle prend, ou plutôt, par la forme qu'a prise son annonce. À ce chapitre, le gouvernement a échappé le ballon. Sur un sujet aussi sensible que celui de l'intégration des nouveaux arrivants et des accommodements religieux, on ne peut tout simplement lancer un os à la meute médiatique pour voir quelle tendance prendra le débat, afin de réajuster ensuite le tir. On ne parle pas ici de l'opportunité de hausser un tarif, de construire une route ou de modifier un programme public, qui sont des dossiers somme toute «normaux» pour un gouvernement. On parle ici de la possibilité d'adopter une charte que l'on veut fondatrice, aussi importante que l'a été la Charte de la langue française pour le destin du Québec. À ce titre, son annonce aurait dû faire l'objet d'attentions particulières, aurait dû être balisée et encadrée afin de lancer la discussion sur des bases saines.

Plutôt que cela, il y a fort à parier que le gouvernement s'est lui-même livré à une opération de coulage auprès des médias, à en juger par le silence radio provenant du ministère de Bernard Drainville la journée de la sortie de la nouvelle, attendant de voir d'où viendrait le vent et quelle serait la réaction de l'opinion publique. Ceci à la veille d'un grand rassemblement des jeunes péquistes, où le gouvernement savait que la première ministre et le ministre Drainville bénéficieraient d'une tribune médiatique plus importante. Il n'y a pas de hasards - ou très peu - en politique...

Le fond, quant à lui, alimentera les passions dans les prochains mois. En effet, on se demande encore quel est le besoin du gouvernement de retirer des droits - garantis par notre propre Charte québécoise des droits et libertés, adoptée en 1975 bien avant celle de Trudeau - afin d'assurer la cohésion nationale et la laïcité de l'État. En quoi le port de la kippa par un fonctionnaire juif, travaillant au dixième étage d'une tour à bureaux, est-il une menace pour notre cohésion ou notre identité? En quoi le port du foulard par une musulmane travaillant comme guichetière de la SAAQ est-il une atteinte aux droits de la majorité? Comment peut-on présumer du manque d'impartialité d'un fonctionnaire sur le seul fait qu'il affiche sa propre croyance religieuse, alors que des opinions ou des croyances autrement plus rétrogrades n'ont pour elles aucun signe ostentatoire.

Après tout, on ne peut déduire l'homophobie d'un commis de l'État, ni son racisme qui ne porte, lui, ni foulard, ni turban, mais qui peut néanmoins bel et bien influencer son action quotidienne. Comme le résumaient les professeurs Jocelyn Maclure et Charles Taylor dans une lettre ouverte publiée en 2010: «On voit mal pourquoi il faudrait penser, a priori, que ceux qui affichent leur appartenance religieuse sont moins capables de faire la part des choses que ceux dont les convictions de conscience ne sont pas extériorisées ou le sont de façon moins visible (pensons au port de la croix). Pourquoi refuser la présomption d'impartialité à l'un et l'accorder à l'autre?» L'approche préconisée par le rapport Bouchard-Taylor avait quant à elle la qualité d'être plus balancée: neutralité apparente pour ceux et celles qui représentent l'autorité de l'État, dans ses aspects coercitifs (juges, policiers), et liberté pour ses «simples» commis.

Dans un geste fort habile, le gouvernement a relégué au second plan le vocable «accommodement raisonnable» ou même «laïcité» afin d'adopter l'expression «valeurs québécoises», qui a l'avantage pratique de faire appelle à une identité collective plutôt qu'à un thème politique abstrait. Voici donc ce qui «nous» définira face à «eux», ou du moins, ce que «les autres» devront s'assimiler. L'idée même qu'il existe quelque chose d'unique que l'on pourrait appeler «valeurs québécoises» est ridicule. En quoi la démocratie libérale est-elle typiquement «québécoise»? En quoi l'égalité entre les hommes et les femmes est-elle typiquement «québécoise»? En quoi la liberté de conscience ou la laïcité de l'État nous démarquent-elles du reste du monde occidental?

Plus encore, quelle est cette «valeur» qui ne figure pas présentement dans notre Charte des droits et libertés et qui se retrouvera dans la nouvelle charte du gouvernement? Pas besoin de chercher bien loin, alors, pour mesurer qu'il s'agit avant tout d'un exercice de communication politique... La promotion et la préservation de la culture québécoise se feront à un autre niveau, par le biais de l'école publique qui transmettra notre histoire, mettra de l'avant nos écrivains et donnera à tous la conscience de faire partie d'un récit national où toutes les communautés ont eu un rôle à jouer. La langue française, plantée dans un terreau nord-américain et portée par un peuple plus que métissé: voilà ce qui réellement nous distingue face au monde, bien au-delà des valeurs fantasmées.

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