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Entre les États-Unis et la Russie, la guerre froide avant le réchauffement?

Les États-Unis et la Russie sont, on le sait, en conflit en Syrie, en Ukraine et à l'ONU mais ils ne sont pas officiellement ennemis.
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Le dernier épisode dans la lutte froide de propagande entre la Russie et les États-Unis est l'expulsion de 35 diplomates russes par l'administration Obama trois semaines avant la prise de fonction de Trump qui ne cesse d'afficher son admiration pour l'homme fort au pouvoir à Moscou.

Les États-Unis et la Russie sont, on le sait, en conflit en Syrie, en Ukraine et à l'ONU, mais ils ne sont pas officiellement ennemis. Pour tenter de comprendre les enjeux et aussi de prendre conscience de tout ce qui n'est pas connu avec certitude, il faut se débarrasser d'un manichéisme instinctif. Dans les débats médiatiques actuels, on est soit prorusse et antiaméricain, soit proaméricain et russophobe, il faut dépasser ces catégories émotionnelles qui sont celles du refus de prendre en compte la complexité.

Il peut donc être utile de faire un petit détour par la période de vraie guerre froide ou de l'apogée de la guerre froide. Au début des années 1950, l'URSS avec son goulag plus tard analysé par Soljenitsyne du point de vue des victimes est une tyrannie meurtrière dirigée par un assassin de masse, Staline. Dans la propagande américaine unanimement anticommuniste, il est donc, apparemment, facile de vendre une approche manichéenne: nous sommes les bons, ils sont les méchants infâmes, le goulag contre la liberté. Évidemment, en URSS l'inverse était vrai, les capitalistes impérialistes occidentaux étaient les méchants et les socialistes libérateurs, vainqueurs d'Hitler étaient les gentils.

Ces deux propagandes étaient bien sûr bancales, mensongères et précisément justes de la propagande. La période connue en français est le nom de maccarthysme a montré que face à une tyrannie meurtrière on peut créer une propagande mensongère et dangereuse. Tous ceux qui étaient vaguement de gauche étaient accusés d'être communistes et le Sénateur McCarthy n'hésitait pas à recourir à de gros mensonges en affirmant que toutes les institutions étaient infiltrées par des communistes, agents de l'URSS. Nous avions donc là une situation qui n'est pas sans évoquer celle d'aujourd'hui: une tyrannie meurtrière face à une démocratie qui était prête à bafouer ses propres principes, notamment la liberté d'expression, pour officiellement s'opposer à la tyrannie.

En dépit de toutes les violations les États-Unis étaient et sont restés une société plus ouverte et où la liberté d'expression était et reste bien plus grande qu'en URSS/Russie. Plus de liberté d'expression intérieure ne signifie pas pour autant absence de propagande ou absence de coups fourrés à l'étranger. En matière d'intervention brutale à l'étranger, Russie et États-Unis sont des experts patentés.

Il faut aussi refuser la psychologisation des phénomènes politiques: Poutine est certainement un homme brutal et calculateur, mais l'émergence de ce dirigeant doit aussi beaucoup à l'extension de l'OTAN jusqu'aux frontières russes en dépit d'une promesse contraire et au chaos que le néolibéralisme triomphant durant la période Elstine a provoqué. Ces explications n'annulent pas les critiques pour autant.

La raison pour laquelle l'administration Obama a expulsé des diplomates russes est que la Russie aurait espionné la campagne d'Hillary Clinton et donc tenté d'influer sur le résultat de l'élection. On ne peut pas savoir ce qui s'est réellement passé, car les preuves de l'implication n'ont pas été publiées, les services secrets américains demandent qu'on les croie sur parole alors même qu'ils ont une histoire de mensonges, par la suite éventés (par exemple sur les armes de destruction massive en Irak). L'affirmation selon laquelle Wikileaks aurait été instrumentalisé par la Russie, niée par Assange son responsable, n'a pas non plus été prouvée.

Ceci évidemment ne veut pas dire que la Russie n'espionne pas les États-Unis. Il est certain que toutes les grandes puissances s'espionnent tout le temps. On sait, grâce aux lanceurs d'alerte et notamment Snowden, que la NSA espionne le monde entier et avait mis sur écoute les téléphones de Merkel, Rousseff et Hollande. On sait que la Russie espionnait les communications des responsables américains en Ukraine et a rendu publiques des conversations entre eux. On sait que les services secrets israéliens sont parmi les plus efficaces du monde, mais aussi que les États-Unis et la Grande-Bretagne espionnent leur allié israélien qu'ils considèrent comme dangereux.

Le monde de l'espionnage est un monde sans amis, une jungle où l'espionnage politique et l'espionnage économique s'entrecroisent. Une jungle sans pouvoir hobbesien, sans Léviathan pour contrôler ou réguler les pratiques. Ce monde recourt très souvent à l'illégalité et opère dans l'ombre sans contrôle démocratique. C'est un monde que Poutine connaît par cœur puisqu'il fut lui-même agent du KGB en Allemagne. Mais la NSA n'a rien à lui envier.

Aujourd'hui une partie du monde de l'ombre sort apparemment au grand jour, mais les citoyens ne peuvent pas savoir ce qui reste caché ou ce qui est du ressort de la propagande sur la propagande. En Russie, il n'y a pas de débat sur les activités de l'espionnage russe, pas de lanceurs d'alerte et les médias sont muselés alors qu'aux États-Unis les médias alternatifs et les lanceurs d'alerte ont une certaine audience, mais le pouvoir, donc l'administration Obama, fait tout ce qui est possible pour faire taire les lanceurs d'alerte en les emprisonnant parfois. Le FBI espionne les journalistes, y compris ceux du New York Times, le journal de référence.

Certains analystes, comme Craig Murray l'ancien ambassadeur britannique, affirment que la révélation des courriels de Hillary Clinton est le fruit d'une fuite interne au Parti démocrate tandis que les courriels de John Podesta auraient été révélés par les services secrets américains eux-mêmes. On ne sait pas avec certitude. Un jeune homme qui aurait pu être la source de cette fuite, Seth Rich, a été assassiné au mois de juillet 2016 à Washington. Impossible de savoir la vérité dans cette affaire, le risque de tomber dans une théorie du complot existe, précisément parce qu'une information fiable est manquante.

En ce qui concerne la Syrie, la situation est complexe et ne peut être présentée en quelques lignes. Le pouvoir des États-Unis n'a pas disparu même si Obama a fait le choix de ne pas engager les forces armées américaines dans un nouveau bourbier. Ce pouvoir est notamment financier, car la Russie ne pourra assumer seule, ou même avec l'Iran et la Turquie, les coûts militaires et économiques de la stabilisation du pays. La force affichée par Poutine que ses critiques bizarrement n'interrogent pas cache une grande faiblesse tandis que la soi-disant faiblesse américaine occulte une puissance économique et diplomatique réelle.

Dans les guerres de propagande, chacun insiste sur les défauts ou les manquements éthiques de l'autre. Les dirigeants d'une tyrannie ont parfois des arguments qui touchent juste, par exemple l'URSS dénonçait la ségrégation dans le sud des États-Unis et la mainmise de ce pays sur l'Amérique latine, traitée en pré carré. Évidemment, les démocraties occidentales dénonçaient, à juste titre, le totalitarisme et l'absence de liberté de la presse. Et chaque camp se tait sur ses propres crimes ou manquements.

La propagande sert à occulter des faits et réalités gênantes. Il est plus facile de s'en rendre compte dans un espace de démocratie libérale, en dépit de l'influence de médias dominants. Chomsky, le féroce critique de son pays, dit souvent que les États-Unis sont le pays le plus libre sur le plan de la liberté d'expression. Il a raison, il n'y a pas de Chomsky russe ou chinois opérant dans leur pays.

La guerre de propagande entre la Russie et l'administration Obama masque plusieurs choses. Pour les démocrates américains, la dénonciation de l'intrusion russe occupe la place d'une analyse des causes de la défaite de Clinton, causes qui sont toutes américaines. Les courriels révélés, qui sont authentiques, montrent que la campagne de Sanders a été sabordée, que l'Arabie saoudite et le Qatar finançaient la fondation Clinton, que la secrétaire d'État savait que Daech était financé par l'Arabie saoudite. La dénonciation de l'espionnage russe (sûrement une réalité) permet de dévier la conversation. Pour Obama, la focalisation médiatique sur les espions russes autorise l'apparence d'une position de force et chasse les discussions médiatiques sur la Syrie, les conflits avec les alliés israélien et turc et le retrait apparent américain du Moyen-Orient.

La «victoire» russo-assadienne en Syrie, qui reste à confirmer sert d'élément de propagande à Poutine qui peut faire croire d'abord aux Russes, puis au monde entier, que la Russie est redevenue une grande puissance à l'instar des États-Unis, mais cette «victoire» risque de coûter cher sur le plan économique (surextension impériale) et militaire. La Russie risque de connaître le même sort que les États-Unis en Irak post-invasion de 2003.

On ne sait pas ce que l'arrivée de Trump va changer. Trump est conseillé par un antisémite (Bannon), mais soutient à fond Netanyahou lequel est financé par les États-Unis, mais fait ami ami avec Poutine. Trump déteste l'Iran qui est actuellement un allié de circonstance, mais crucial de la Russie, laquelle est aussi l'alliée de circonstance de la Turquie qui fait partie de l'OTAN. Les États-Unis soutiennent les Kurdes que la Turquie veut écraser. L'admiration de Trump pour un homme fort aux tendances tyranniques, Poutine, ne suffira pas à faire une politique surtout s'il faut gérer les caprices et revirements d'un autre homme fort tyrannique, Erdogan qui est lancé dans une logique d'opposition aux États-Unis.

À part la période Eltsine, les États-Unis et la Russie ont presque toujours été en guerre froide. Celle-ci est relancée aujourd'hui, elle est dangereuse non seulement pour les deux protagonistes, mais pour le monde entier. Surtout, ce conflit plus ou moins ouvert a favorisé un rapprochement entre Russie et Chine et ne permet pas de comprendre que c'est la Chine qui est et sera le rival principal des États-Unis, pas la Russie. Quoi qu'il dise sur Poutine, il ne faut pas attendre d'amélioration de la part d'un Trump cafouilleur, impulsif et hypernationaliste.

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