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Trump est le Frankenstein postmoderne des néolibéraux

Un personnage politique qui a du succès ne vient pas de nulle part. Les néolibéraux ont créé leur monstre, un Frankenstein qui sort de leur moule et qu'ils disent vouloir arrêter.
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On connaît le roman de Mary ShelleyFFrankenstein ou le Prométhée moderne, dans lequel Victor Frankenstein crée un monstre qui lui échappe. Par la suite, le terme de Frankenstein s'est appliqué au monstre lui-même, aussi désigné par les termes de «démon» ou de «créature». Dans l'espace public, il est resté l'image du monstre créé par inadvertance ou inconscience, et le terme «Frankenstein» s'applique indifféremment au créateur démoniaque ou au démon lui-même.

On entend dans l'espace médiatique tout un tas de dénonciations de Trump. Ces dénonciations sont souvent justifiées. Trump est dépeint en raciste, xénophobe, fasciste, misogyne, chef d'entreprise sans scrupule, violent, narcissique, autoritaire et dangereux pour les États-Unis et le monde. Assurément, ces descriptions ne sont pas fausses. Il est un membre de l'establishment politico-économique qui raille ce même establishment, ce qui est une posture fréquente, autrefois incarnée par Reagan, qui avait l'insulte ou le racisme plus discrets que Trump.

Un personnage politique qui a du succès ne vient pas de nulle part, Il est la création ou la créature d'un environnement ou d'un ensemble de forces. Dans les médias, on a l'impression d'un monstre raciste dont seules les caractéristiques psychologiques importent. La psychologie de Trump, un braillard, vantard, bouffon nauséabond, peut retenir l'attention des psys et des magazines dits grand public, mais l'analyse psychologique n'explique pas en quoi un tel Narcisse qui en rajoute sur sa richesse est adulé par des Américains déclassés ou ayant peur du déclassement.

Il est clair que Trump n'a pas de solution aux multiples problèmes économiques et sociaux qui affectent les États-Unis. En démagogue typique, il utilise ces problèmes et capte la colère à des fins personnelles.

Mais d'où vient la colère, colère aveugle qui conduit à l'adoration du monstre ? Les néolibéraux américains, qu'ils soient dits républicains ou démocrates, sont en faveur de la mondialisation marchande. Ils sont donc responsables, avec les chefs de grandes entreprises ou les banques, de la délocalisation de millions d'emplois, emplois déqualifiés ou d'ouvriers qualifiés.

L'entreprise Walmart exploite ses employés très mal payés aux États-Unis mais travaille main dans la main avec le régime communiste chinois pour exploiter la main d'œuvre chinoise et exporter des produits à bas coût vers les États-Unis. Une grande partie des produits vendus par Walmart est fabriquée en Chine.

Trump dénonce le commerce avec la Chine, de façon malhonnête pour un chef d'entreprise totalement impliqué dans la globalisation, mais il fait mouche en vendant une idée simpliste selon laquelle il serait possible d'interdire tout de suite le commerce avec la Chine. Les employés qui ont perdu leur emploi ou leur entreprise face à la concurrence chinoise sont évidemment réceptifs aux discours du hâbleur simpliste.

La classe moyenne américaine est en perte de vitesse numérique et en termes de revenus. Le ressentiment des cols bleus vis à vis des fort mal nommées «élites» a une base rationnelle car leur situation se dégrade rapidement, ce qui conduit cependant à donner foi aux billevesées du démagogue.

Les traités dits de «libre-échange» (libéralisation du commerce) tel celui de l'ALENA ont provoqué l'effondrement du secteur agricole au Mexique, envahi par les produits des États-Unis, ce qui a provoqué une vague d'émigration vers les États-Unis. Trump maintenant dénonce les Mexicains, présentés comme des violeurs et des criminels, sans faire le lien entre conditions économiques et migrations. Les néolibéraux ont donc créé les conditions économiques qui provoquent déclassement, baisse de salaires et migrations transnationales que le démagogue dénonce. Ils ont créé leur monstre, un Frankenstein qui sort de leur moule et qu'ils disent vouloir arrêter dans sa course.

Trump n'a pas de programme politique ou économique cohérent, mais il a un talent tout à fait postmoderne pour concocter des récits incohérents et émotionnels. Il lance des mots chargés d'affect et ne craint pas les contradictions, reniements ou invraisemblances. Il peut ainsi dénoncer la guerre en Irak et l'administration Bush, et aussi annoncer qu'il est favorable à la torture, une torture plus dure que le waterboarding. Il ne cesse de faire l'apologie de la violence, en regrettant que le football soit devenu «trop» soft, ou en regrettant de ne pas avoir démoli un manifestant, venu le chahuter dans un meeting, qu'il aurait aimé faire expédier sur un brancard.

Les néoconservateurs qui ont lancé les États-Unis dans des interventions militaires fort dispendieuses sont aussi des Frankensteins créant leur monstre Trump. Les sommes colossales dépensées pour faire la guerre puis tenter de construire des États là où les interventions les ont détruits ne sont pas dépensées pour les infrastructures vieillissantes ou les programmes sociaux défaillants aux États-Unis. Les guerres inutiles qui siphonnent l'argent des contribuables provoquent la colère, parfois indirectement.

Le Frankenstein postmoderne capte le désir de revanche des déshérités ou de ceux qui ont peur de l'être, et sa violence verbale est en écho de la violence ressentie vis-à-vis des dominants. Trump capte aussi le racisme, explicite ou sous-jacent, des foules d'hommes blancs qui ont fait d'Obama la cible de leur colère. Il est donc juste de lier sa rhétorique à celle des fascistes du passé ou des démagogues de l'histoire américaine.

Aujourd'hui l'establishment républicain se dit effrayé par ce Frankenstein (mais, pour partie, s'apprête à le rejoindre comme Chris Christie, ancien gouverneur du New Jersey). L'establishment démocrate se frotte les mains, car sa candidate, tout aussi proche des milieux d'affaires et des banques que les candidats républicains, tous ultraréactionnaires, va pouvoir se présenter en ultime rempart rationnel contre le démagogue aux accents fascistes.

La colère créée par les néolibéraux tueurs de jobs et les néocons tueurs d'Afghans et d'Irakiens et semeurs de chaos globalisé provoque ce que l'on appelle, de façon problématique, le «populisme». Puis Frankenstein, le créateur du monstre, dénonce Frankenstein le monstre.

Habituellement ce petit jeu marche bien dans le cirque électoral et il suffit de se présenter comme «le cercle de la raison», de dénoncer les excès des populistes, d'affirmer sa compétence en matière d'économie, et le monstre Frankenstein peut être aussi facilement dégonflé qu'il a été gonflé. Avec Trump, la colère est paroxystique et il existe un vrai danger de dérive fasciste.

On sait que le monde des affaires s'est fort bien accommodé des nazis ou des fascistes. Il pourrait le faire aussi aux États-Unis avec un Trump marionnette vociférante. Mais aujourd'hui le monde de Wall Street et de Walmart a sa candidate de rechange, Hillary Clinton, dont la démagogie consiste à emprunter au progressisme sa rhétorique, sans jamais la traduire en actes.

Ce billet a initialement été publié sur le Huffington Post France.

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