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La solidarité sociale, un obstacle majeur à l'emploi?

Les personnes ayant des limitations d'activité, handicapées à des degrés divers, représentent une grande partie des individus à faible revenu.
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Dans le cadre de la Consultation publique québécoise Solidarité et inclusion sociale tenue au début de l'année 2016, l'Association pour l'intégration sociale de la région de Québec(AISQ) a déposé un mémoire. L'AISQ est un organisme communautaire de défense des droits des personnes vivant avec une déficience intellectuelle.

L'une des orientations proposées dans le document de consultation touche l'accès à l'emploi. Les personnes ayant des limitations d'activité, handicapées à des degrés divers, représentent une grande partie des individus à faible revenu. Ce sont souvent ceux et celles qui ne détiennent aucun revenu d'emploi, que les économistes désignent comme les «inactifs» sur le marché du travail. Dans la fourchette des 18 à 65 ans, environ 136 000 personnes sont bénéficiaires du Programme de solidarité sociale (PSS) du ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale (MESS ).Il s'agit de personnes qui répondent à la définition de «contraintes sévères à l'emploi», telle que précisée dans la loi elle-même. Par ailleurs, les personnes prestataires du Programme d'aide sociale (PAS), le deuxième volet de l'aide de «dernier recours», reçoivent une allocation mensuelle de base substantiellement plus faible, car elles sont considérées «aptes au travail».

Pour favoriser l'accès à l'emploi et valoriser le travail, nous nous sommes inspirés des données de l'étude socioéconomique sur l'analyse de réformes au Programme de solidarité sociale du Québec, une étude initiée par l'AISQ et qui a été l'objet du mémoire de maîtrise en économique de Nathaniel Bérubé-Mimeault au Département d'économique de l'Université Laval sous la direction de Jean-Yves Duclos (le texte intégral et les graphiques peuvent être consultés ici).

Le Programme de solidarité sociale du Québec constitue, paradoxalement, le principal obstacle à l'intégration au marché du travail pour ses bénéficiaires. Fondés sur une logique sinon une idéologie du «dernier recours», les bénéfices du PSS fondent comme neige au soleil du printemps dès qu'un revenu de travail dépasse le seuil de 100 $ par mois. Cette réalité fait appel au concept du taux marginal effectif d'imposition (TMEI), c'est-à-dire le pourcentage du revenu de travail (encore appelé revenu de marché) qui est amputé par le retrait des bénéfices du programme. Ce taux est de l'ordre de 80 %, frôle parfois le 100 %, pour une personne seule avec des «contraintes sévères à l'emploi».

Ce traitement parafiscal, responsable d'un taux marginal effectif d'imposition très élevé, est dissuasif pour la participation au marché du travail. Ce phénomène, bien connu des économistes, participe de ce qui est décrit comme «le piège ou la trappe de la pauvreté», au sens où la personne qui travaille à temps partiel ou en occupant un emploi relativement précaire au salaire minimum recueille très peu le fruit de ses efforts. En 2016, la prestation de base pour un adulte seul est de 947 $ par mois ou 11 364 $ par année, un revenu disponible largement inférieur aux différentes mesures du seuil de pauvreté.

Pour une population déjà marginalisée et économiquement défavorisée, le lien social qu'assure le travail constitue souvent le ciment de leur intégration sociale.

Trois scénarios de réforme sont analysés dans l'étude. Chaque scénario comporte le calcul du revenu disponible pour une personne seule ou en couple (c'est-à-dire la somme de la prestation de la solidarité sociale, des transferts et du revenu de travail) au salaire minimum selon le nombre d'heures hebdomadaires (0, 10, 20, 35 heures) sur 52 semaines de travail annuellement. Le «carnet de réclamation», dont la valeur moyenne est de l'ordre de 1 500 $ par année, fait partie de l'équation. Il donne droit à un certain nombre de services gratuits ou subventionnés (assurance médicaments et dentaire, aides techniques, etc.).

Selon l'un des scénarios de réforme proposée, celui où la prestation de solidarité sociale est réduite de 50 % (au lieu de 100 %) au-delà d'un revenu annuel de 1 200 $, le taux marginal effectif d'imposition bondit lorsque le revenu de travail atteint environ 13 000 $ et le revenu disponible a tendance à stagner lorsque les revenus de la participation au marché du travail se situent dans une fourchette entre 18 000 $ et 26 000 $, en raison surtout de la perte du carnet de réclamation et de la décroissance des primes au travail, du moins dans l'état actuel de l'admissibilité à ces services. À l'évidence même, cette proposition de réforme n'a rien de révolutionnaire!

Les données factuelles de l'étude confirment que ce programme est contre-incitatif pour la recherche d'un emploi. Il est inadapté à la situation des individus ayant des contraintes majeures à l'emploi. Depuis 20 ans, de nombreux livres, documents et écrits institutionnels très élaborés ont été publiés concernant la sécurité du revenu, le droit à l'égalité et la participation sociale par le travail pour les personnes handicapées, les coûts supplémentaires liés aux déficiences, incapacités et situations de handicap et leur compensation équitable.

Il ne s'agit pas ici de bonifier le montant des prestations de solidarité sociale, mais d'inciter les prestataires à intégrer le marché du travail en créant des conditions gagnantes. Ces propositions répondent aux besoins d'un grand nombre des prestataires du programme et aux capacités inutilisées d'un capital humain dont la participation active au marché du travail constitue l'objectif des changements souhaités. Pour une population déjà marginalisée et économiquement défavorisée, le lien social qu'assure le travail constitue souvent le ciment de leur intégration sociale.

Si le travail est un puissant facteur d'inclusion sociale, il favorise aussi l'estime de soi et la participation à la vie économique de la communauté tout en procurant du répit aux proches, souvent les parents.

En ce qui concerne les personnes déficientes intellectuelles prestataires du PSS, elles sont souvent en partie dépendantes de leurs parents ou de proches pour les activités de la vie quotidienne et domestique. Il est fréquent que ces aidants et aidantes naturels quittent le marché du travail ou occupent un emploi à temps partiel afin d'accompagner leur fils ou leur fille qui ne possède pas sa pleine autonomie. Si le travail est un puissant facteur d'inclusion sociale, il favorise aussi l'estime de soi et la participation à la vie économique de la communauté tout en procurant du répit aux proches, souvent les parents.

Quelques amendements à la Loi sur l'aide aux personnes et aux familles permettraient de réaliser rapidement les changements nécessaires en franchissant un premier pas, modeste certes, vers l'intégration de la sécurité du revenu et de la fiscalité. À cet égard, l'Office des personnes handicapées du Québec (OPHQ) a soumis un certain nombre de recommandations, en septembre 2015, dans son mémoire sur le rapport de la Commission d'examen sur la fiscalité québécoise, publié en mars 2015. En outre, cette réforme marquerait une évolution souhaitable dans la perception du potentiel d'adaptation au marché du travail d'un grand nombre de personnes étiquetées «contraintes sévères à l'emploi». Le rôle social de l'entreprise serait valorisé en procurant du travail, source d'un rehaussement significatif du revenu disponible des bénéficiaires, parfois même au-delà du seuil de faible revenu.

Ces propositions ciblent une population particulièrement vulnérable. Même si elles visent essentiellement les bénéficiaires du PSS, elles pourraient inspirer le ministre et bonifier son projet de réforme du Programme d'aide sociale (PAS) touchant les personnes étiquetées «aptes au travail», débattu récemment lors des travaux sur le projet de loi 70.

Ces propositions sont aussi sans commune mesure avec celles plus radicales du «revenu minimum garanti pour tous», de «l'allocation universelle inconditionnelle», dont l'un des objectifs souhaités est celui de réduire substantiellement les coûts de gestion en remplaçant, à terme, plusieurs programmes de soutien du revenu. Une telle réforme n'est toutefois pas sans effets pervers, au premier chef la diminution de l'offre de travail, surtout par les travailleurs et travailleuses à faible revenu. Les coûts annuels d'une telle réforme sur les finances publiques pourraient être majeurs, de l'ordre de 2,2 milliards (en dollars de 2004), selon les conclusions du rapport du Centre interuniversitaire sur le risque, les politiques économiques et l'emploi (N.-J. Clavet, J.-Y. Duclos et G. Lacroix, décembre 2009).

Les effets de ces propositions d'une réforme du PSS sur les finances publiques du Québec seraient très modestes. Elles pourraient être de l'ordre de 38 à 50 millions par année en coûts supplémentaires si environ 5 % des prestataires du PSS participaient de façon significative au marché du travail. Le scénario de 50 % deviendrait toutefois rentable pour le gouvernement du Québec (gain de 13 millions) si environ 10% des prestataires (13 000 à 14 000 personnes) participaient au marché du travail.

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