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L'opposition syrienne parviendra-t-elle à s'unir?

Il semble que l'on soit aujourd'hui confrontée à un paradoxe: alors qu'en théorie l'opposition n'a jamais été aussi unie et reconnue (concomitamment aux progrès lents mais réels réalisés sur le terrain), en réalité le fossé est devenu presqu'insurmontable entre partisans et opposants de l'ingérence extérieure, protecteurs et adversaires de l'islamisme radical, religieux et laïcs. C'est précisément sur ces contradictions que mise le régime baathiste pour se maintenir au pouvoir le plus longtemps possible.
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Alors que s'annonce une nouvelle année sanglante en Syrie, et que la révolte que connait le pays va prochainement entrer dans sa seconde année, il apparait opportun de s'interroger sur l'état de l'opposition officielle syrienne qui tente de constituer et avec difficulté un gouvernement en exil tout en cherchant à structurer ses partisans sur le terrain.

Plusieurs événements importants liés à l'avenir de l'opposition syrienne se sont déroulés ces derniers mois : le premier et le plus important concerne l'accord de Doha (rappelant au passage le rôle de plus en plus incontournable du Qatar dans la nouvelle géopolitique proche -orientale (1)) du 2 novembre 2012 qui a abouti à une coalition élargie ( "La Coalition nationale des Forces de la Révolution et de l'Opposition syrienne") dont le Conseil national syrien ( CNS) reste l'une des principales composantes bien qu'il ait du néanmoins et au terme d'échanges parfois très vifs faire de la place à d'autres formations (2). Cela a permis d'aboutir à une habile réorganisation avec l'accession à la présidence du CNS d'un chrétien, Georges Sabra, ce qui aurait probablement été difficile auparavant.

En contrepartie, le nouveau dirigeant de cette coalition élargie de plus en plus reconnue au niveau international est un sunnite présenté comme un religieux modéré, Moaz Al Khatib, proche des Frères musulmans (secondé par deux figures symboliques et importantes, "opposants de l'intérieur", Riad Seif et la militante Souheïr Al Atassi). On peut penser que ce nouveau responsable est le plus petit dénominateur commun idéal, qui pourra à la fois convaincre les religieux les plus conservateurs et aussi les minoritaires ou les sunnites libéraux et laïcs. Cependant, ce bel ordonnancement souffre aussi d'un certain nombre de défauts : le premier d'entre eux est le fait que Moaz Al Khatib est une figure peu connue en Syrie et que la logique voudrait que cela soit lui qui succède à Bashar Al Assad en cas d'alternance.

Or, comment imaginer les Syriens confier leur destin à quelqu'un qui reste pour le moment peu connu ? Sans compter que les instances dirigeantes ne comportent aucune figure importante issue de l'armée (on aurait pu penser à Manaf Tlass, ancien proche de Bashar Al Assad et sunnite de surcroit) alors que son ralliement, fut-il partiel, et qui est pour le moment mal engagé, est une condition indispensable du succès.

Le second événement majeur s'est produit peu après, au cours du mois décembre, et il est révélateur de la maladresse voire de l'ambigüité de l'opposition : il s'agit de la critique virulente de la position de Washington (tout aussi ambiguë pour certains observateurs) qui a décidé d'inscrire le mouvement radical Jabhat Al Nusra (Le Front du Soutien) sur la liste des organisations terroristes. Cette décision est considérée comme lourde de conséquences aussi bien parmi les partisans que les rivaux de l'opposition de Doha (en particulier les dissidents laïcs du CNCCD partisans d'une révolte pacifique et graduée, d'un dialogue avec l'influente Russie voire avec le pouvoir et hostiles à toute intervention extérieure).

Du côté des premiers, on considère que cela s'avérera contre-productif et attirera encore davantage de partisans vers les extrémistes salafistes en pleine ascension, faisant le jeu du pouvoir (qui a toujours décrit l'opposition come terroriste, fanatique et soumise à des forces étrangères), sans compter que certains membres de la coalition de Doha vont jusqu'à considérer qu'ils "effectuent un travail efficace".

Du côté des seconds, cela montre à quel point la coalition de Doha est coupée de la population, qui est loin d'être acquise à ces djihadistes, qui sont par ailleurs un véritable repoussoir pour les minorités ethnico-confessionnelles qui représentent près d'un tiers des Syriens, sans compter que beaucoup ne sont que des étrangers qui n'ont pas d'agenda national et se moquent bien de la destruction de la Syrie au prix d'une guerre sans fin.

Enfin, et toujours en fin d'année a eu lieu la confirmation d'une erreur de stratégie déjà ancienne : les affrontements de plus en plus violents entre l'opposition armée et les Kurdes du PYD, formation proche du PKK, qui regroupe la majorité des membres de cette minorité ethnique essentiellement sunnite aux velléités autonomistes voire indépendantistes qui représente près de 10 % de la population (3). Ils souhaitent rester à égale distance du pouvoir et de l'opposition, même si cela fait autant de partisans en moins pour cette dernière. Cela risque de rendre plus difficile l'établissement d'une zone libérée au Nord du pays où ils sont majoritairement regroupés. Cela signifie aussi que l'opposition a désormais pour adversaires les deux groupes ethnico-confessionnels qui sont à la fois les plus homogènes et les plus lourdement armés, les Kurdes et les Alaouites.

Bref, il semble que l'on soit aujourd'hui confrontée à un paradoxe: alors qu'en théorie l'opposition n'a jamais été aussi unie et reconnue (concomitamment aux progrès lents mais réels réalisés sur le terrain), en réalité le fossé est devenu presqu'insurmontable entre partisans et opposants de l'ingérence extérieure, protecteurs et adversaires de l'islamisme radical, religieux et laïcs. C'est précisément sur ces contradictions que mise le régime baathiste pour se maintenir au pouvoir le plus longtemps possible.

Syrian Rebels Make Gains In December

  1. Parmi les travaux récents sur cet État atypique on pourra lire le dernier numéro de Géoéconomie (L'offensive stratégique), N°62, Eté 2012. A compléter par Moyen-Orient (Qatar: les ambitions mondiales d'un petit émirat arabe), N°16, octobre-décembre 2012.
  2. Pour une analyse récente et approfondie de cette structure, voir l'article d'Ignacio Alvarez-Ossorio : "Le conseil national syrien : genèse, développement et défis", Maghreb-Machrek, N°213 (La crise syrienne- coordo. Stéphane Valter), Automne 2012, pp. 51-63.
  3. Voir sur ce point, "La construction d'un territoire kurde en Syrie : un processus en cours", Maghreb-Machrek, N°213 (La crise syrienne), Automne 2012, pp. 83-98.
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