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Dignité de la vie et cohérence ecclésiale

Difficile de rester impassible devant l'appel exprimé dimanche par des victimes d'abus sexuels commis par des membres du clergé catholique. Elles ont appelé la population à cesser leurs dons à l'Église catholique, estimant que ceux-ci ne servent qu'à financer la défense de prêtres accusés. Derrière cet appel au boycott qui frise le ridicule se cache, en fait, un argument plus convaincant et susceptible d'être entendu par de nombreux catholiques.
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Difficile de rester impassible devant l'appel exprimé dimanche par des victimes d'abus sexuels commis par des membres du clergé catholique. Celles-ci appellent la population à cesser d'acheminer des dons à l'Église catholique, estimant que ces dons ne servent qu'à financer la défense de prêtres accusés. Ce qu'elles ne réalisent peut-être pas, c'est que derrière cet appel au boycott qui frise le ridicule se cache un argument plus convaincant et susceptible d'être entendu par de nombreux catholiques.

Précisons d'abord que leur appel survient quelques jours après le lancement de la plus ambitieuse campagne de financement du diocèse de Québec. Celui-ci se donne jusqu'en 2019 pour atteindre un objectif de 15 millions $.

Cet appel au boycott parait toutefois farfelu, voire risible, lorsque l'avocat Marc Bellemare laisse entendre que la totalité des dons recueillis par l'Église pourrait servir à financer des démarches juridiques dans des cas d'abus sexuels, ce qui est loin d'être le cas. C'est mal connaître l'histoire de ces causes, les responsabilités des diverses autorités ecclésiales et les finances de l'Église que d'affirmer pareille énormité. En fait, cette affirmation discrédite pratiquement l'ensemble de leur sortie publique et dénote une certaine mauvaise foi vis-à-vis l'imposant apport philanthropique de l'Église catholique.

Cependant, le propos devient plus pertinent lorsque Me Bellemare fustige le recours fréquent par des autorités ecclésiales dans l'organisation de leur défense à l'argument des délais de prescription. Elles font souvent valoir que ces délais sont écoulés, ce qui oblige les présumées victimes à démontrer qu'elles étaient dans l'incapacité d'agir plus tôt. Cela rallonge les procédures et pèse lourdement sur la vie des plaignants qui cherchent réparation. La loi a été modifiée en 2013 mais n'est pas rétroactive: le délai est maintenant de 30 ans, or dans les faits, la majorité des victimes d'abus sexuels de la part de membres du clergé sont assujetties au délai de prescription de 3 ans qui prévalait auparavant.

S'il y a un argument fort à retenir de la sortie publique des victimes dimanche, c'est bien celui-là: la remise en question de l'attitude et de la hargne démontrée par la défense dans certaines causes qui portent trop souvent atteinte à la dignité des victimes.

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Ces derniers jours ont aussi été bien chargés pour l'épiscopat canadien, qui ne s'est pas privé lui non plus pour attirer l'attention sur des enjeux éthiques.

Il y a d'abord eu la Marche nationale pour la vie du 8 mai, un événement annuel qui en était à sa 17e édition. Les médias ont surtout rapporté l'événement pour indiquer que le cardinal Gérald Lacroix de Québec a été interrompu par des manifestantes Femen. Cette manifestation est le plus grand pow-wow pro-vie de l'année au Canada. Et depuis quelques années, la présence épiscopale catholique s'est accrue.

La veille de l'événement, Justin Trudeau annonçait qu'aucun nouveau candidat ne pourra s'afficher pro-vie pour le Parti libéral du Canada. Il n'en fallait pas plus pour s'attirer les foudres de quelques évêques. Le cardinal Thomas Collins de Toronto lui a adressé une lettre afin de le sermonner sur sa position. Puis l'évêque de Calgary, Fred Henry, a déclaré au sujet du chef libéral que «la logique n'est pas son fort», avant d'ajouter que tous les politiciens devraient étudier davantage la médecine, l'histoire, le droit et la philosophie...

Mais il n'y a pas que l'avortement qui préoccupe l'épiscopat. Au Québec, l'Assemblée des évêques catholiques (AECQ) vient de réitérer son opposition à l'euthanasie. Elle met en garde contre l'adoption du projet de loi 52 sur les soins à prodiguer en fin de vie que le Parti libéral de Philippe Couillard vient de réintroduire à l'Assemblée nationale.

Plusieurs évêques l'avouent: leur campagne contre l'euthanasie n'a pas vraiment le vent dans les voiles. En janvier, leur prise de position sur le sujet n'a été reprise par aucun grand média. Déçus, ils ont opté pour l'achat de publicités dans les journaux pour faire valoir leur position. L'archevêque de Montréal a rédigé une lettre ouverte sur le sujet au même moment, histoire de bien marteler le message. Ils ont bien eu un bref moment de réjouissance lorsque les Libéraux ont refusé de prolonger les travaux pour faire adopter le projet de loi avant le déclenchement des élections en mars, mais face à la réintroduction de ce même projet la semaine dernière on se demande s'ils n'ont pas épuisé leurs munitions.

Pendant ce temps, à l'autre bout du pays, l'archevêque de Vancouver, J. Michael Miller ouvre un autre chantier en interpellant le gouvernement fédéral afin qu'il légifère en matière de prostitution.

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Que ce soit l'avortement, l'euthanasie ou la prostitution, le message de l'épiscopat demeure essentiellement le même: respecter la dignité humaine «de la conception à la mort naturelle». Devant les développements législatifs des dernières années, il appelle à une prise de conscience sur le respect de la vie, faisant valoir que ce n'est pas parce qu'une chose est légale qu'elle est nécessairement morale.

Ironiquement, c'est essentiellement ce message qui était adressé à l'Église catholique dimanche par les victimes d'abus sexuels. Il est certes légal d'invoquer le délai de prescription pour sa défense, mais s'agit-il pour autant de la bonne option?

En privé, de nombreux évêques se désolent du manque d'impact de leur parole au sein de la société. Ils regrettent que le message de vie auquel ils croient le plus ardemment du monde ne soit pas plus écouté par les élus et la population.

Le discours épiscopal sur la dignité de la vie n'est aussi crédible que sa mise en œuvre la moins ambitieuse. Et l'attitude des autorités catholiques envers les victimes d'abus sexuels continue de manquer d'ambition. Certes, des protocoles ont été mis en place et les allégations sont rapidement traitées. À l'occasion, on se désole, on regrette, on dénonce tout contrit le mal que cela provoque... Mais en matière de défense de la dignité humaine, il existe encore aujourd'hui une nette disproportion entre les déclarations et les campagnes médiatiques tapageuses contre l'avortement et l'euthanasie d'une part, et l'attitude face aux abus sexuels commis par des membres du clergé d'autre part. Or quand on se spécialise dans les questions de sens, la crédibilité des positions exprimées est tributaire de leur cohérence et du rapport proportionnel dans leur énonciation et leur mise en œuvre.

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