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La mort des gènes par pseudogénisation constitue l'un des moteurs les plus importants de l'évolution des espèces.
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Les invertébrés, avec lesquels les vertébrés (mammifères, oiseaux, poissons...) ont un ancêtre commun, possèdent environ 15 000 gènes. Sans que nous sachions vraiment pourquoi, le passage des invertébrés aux vertébrés s'est accompagné de deux duplications de génomes entiers. On devrait donc retrouver chez les vertébrés environ 60 000 gènes.

Or, lorsqu'on étudie aujourd'hui le génome d'un mammifère, tel que l'homme ou la souris, on constate qu'il en possède entre 22 000 et 23 000. Il en "manque" donc au moins 40 000. On sait par ailleurs que l'évolution de la présence de gènes chez chaque espèce est associée à différentes fonctions (alimentation, reproduction...) nécessaires à sa survie, qui peuvent évoluer au cours du temps. Notre équipe de recherche s'est penchée sur ces gènes manquants afin de tenter de résoudre certains mystères de l'évolution des espèces: quelles caractéristiques les espèces ont-elles perdu au cours du temps et pourquoi ?

A la recherche des quelques 40 000 gènes manquants

Notre recherche s'apparente à une véritable enquête policière. Nos chercheurs se transforment alors en inspecteurs, utilisant les outils bioinformatiques et les bases de données de séquences de génomes entiers à leur disposition. Ils ont ainsi identifié des similarités de séquences avec des gènes équivalents d'autres espèces ainsi que des positions équivalentes dans un autre génome. Ces traces sont autant d'indices prouvant l'existence d'un cadavre de gène et attestant de leur mort.

Pseudogénisation, mon cher Watson!

Au cours de l'évolution, l'organisme de certaines espèces fait apparaître certains gènes pour remplir des fonctions nouvelles, ou fait "relâcher" des gènes lorsque certaines fonctions deviennent inutiles. Par exemple, les mammifères ont fait apparaître de nouveaux gènes pour créer le placenta, la mise en place de la lactation etc.

La mort d'un gène se fait par "pseudogénisation", qui désigne l'altération de la séquence d'un gène qui lui fait perdre sa fonction. Prenons l'exemple de la vitamine C: la plupart des espèces disposent d'un gène permettant de produire de la vitamine C. Un chat pourra se laisser mourir de faim devant une clémentine mais ne mourra pas de scorbut (maladie due à une carence en vitamine C), puisqu'il possède ce gène codant. D'autres, comme certaines espèces de primates (dont l'homme) et certaines espèces de chauves-souris, ne disposent plus de ce gène. Leur régime alimentaire s'étant diversifié au cours de leur évolution (consommation de fruits), il a suppléé l'apport en vitamine C, rendant ce gène moins important et amenant à sa disparition.

La mort des gènes par pseudogénisation constitue donc l'un des moteurs les plus importants de l'évolution des espèces.

Le gène était presque parfait

Dans notre laboratoire (INRA, centre du Val de Loire), nous avons ainsi pu montrer que plusieurs gènes codant une "barrière" de protéines qui entourent l'ovocyte, la cellule germinale femelle, sont présents en grand nombre dans le génome des poissons, alors qu'ils se retrouvent bien moins nombreux chez les mammifères (nombre d'entre eux se sont donc "pseudogénisés").

Une possible explication est à chercher dans le mode de fécondation: la fécondation étant externe chez les poissons (la femelle dépose ses œufs dans une zone de frai, qui peut être le fond d'une rivière, et le mâle vient les féconder en y répandant du sperme), il est nécessaire de protéger l'ovocyte par un maximum de barrières empêchant sa fécondation par un poisson d'une autre espèce. Il s'agirait donc d'éviter un croisement entre espèces différentes. Chez les mammifères, la fécondation étant en revanche interne, il existe un certain nombre de "barrières naturelles" permettant aux différentes espèces de se reconnaître entre elles (une jument en chaleur n'attirera pas un rat mâle etc.), cette fonction est rendue moins nécessaire, ce qui aurait favorisé le relâchement de cette pression et la perte des gènes codant ces protéines.

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Représentation de l'arbre des vertébrés et des pertes de gènes codant les protéines de la barrière entourant l'ovocyte. Chaque point noir représente un "nœud" ancestral évolutif, carrefour à partir duquel divergeront deux groupes d'espèces "filles". En vert, moment d'apparition de gènes ZP de la barrière de l'ovocyte. En rouge, différents moments de "pseudogénisation" des gènes ZPAX chez l'ancêtre des mammifères, de ZP1 chez l'ancêtre des carnivores et des ruminants, et de ZP4 chez la souris.

Enfin, on sait également que l'acquisition de la vision "trichromatique" (le fait de percevoir les couleurs) chez l'homme et les singes du nouveau Monde a été accompagnée, sans que l'on sache pourquoi, par une perte massive de gènes codant les récepteurs olfactifs (l'odorat). Une hypothèse serait que la reconnaissance des odeurs sexuelles, clé de voute de la reconnaissance des partenaires sexuels chez de nombreuses espèces animales, serait devenue plus secondaire par rapport à la vision, la reconnaissance des nuances de couleurs, en particulier chez l'homme.

Dans certains cas, on peut même estimer la date relative de la perte d'un gène. Par exemple, la pseudogénisation du gène codant la protéine de liaison des odeurs sexuelles s'est accompagnée des mêmes altérations génétiques chez l'Homo sapiens et l'Homo Neandertalensis (-250 000 à -28 000 avant notre ère), montrant que la perte de ce gène s'est faite chez leur ancêtre commun. En outre, la présence dans les arbres phylogénétiques (arbres "généalogiques" classant les différentes espèces) d'un nombre toujours plus grand d'espèces séquencées, permet "d'affiner" l'étude de l'histoire évolutive des gènes.

La systématisation de la recherche de moments de pertes de gènes permettra ainsi d'élucider certains mystères de l'évolution des espèces : comment les oiseaux ont-ils perdu leurs dents? Comment les animaux ovipares sont ils devenus vivipares ?

Pour aller plus loin lire l'étude

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Avril 2018

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