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Comment expliquer une telle ardeur des féministes occidentaux dans une société qu'on peut objectivement décrire comme profondément transformée par le féminisme et les valeurs progressistes depuis les années soixante ? J'explique ce phénomène par ce que j'appelle la tentation féministe. Cette même tentation pourrait s'appliquer aux progressistes et à ce qui reste de marxistes de nos jours.
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Alors que je surfais sur Twitter pendant le rituel quotidien des transports en commun montréalais, un texte intitulé Diversité en philosophie: pour un réel état des lieux, par Marie-Anne Casselot, attirât mon attention. Je me doutais du contenu, mais bon, j'ai cédé et j'ai lu. Comme quoi on ne peut que succomber pour en finir avec la tentation.

Le texte en question se résume comme suit : il manque de femmes dans le milieu de la philosophie académique québécois et il y aurait un « manque flagrant de diversité culturelle », ce qui ferait de la philosophie un monde « majoritairement masculin et blanc ». Cela s'expliquerait par une attitude discriminatoire masculine, un genre de boys club philosophique qui refuse de se laisser influencer par la « théorie féministe ».

Le même sentiment et la même réaction se produisent chez moi pour chaque texte féministe et activiste que je lis, et pour chaque cours universitaire dominé par des féministes auxquels j'ai pu assister. Je reste toujours stupéfait de la vigueur et de la ferveur idéologique dont ces féministes font preuve, ce qui n'exclut pas les hommes qui se disent féministes bien sûr.

Cette passion, qui prend des formes de croisades de la théorie féministe, s'explique mal de façon rationnelle de nos jours alors que l'Occident, et en particulier le Québec, sont devenues, toute proportion gardée, des sociétés que le professeur en philosophie politique de l'université Harvard, Harvey Mansfield, qualifie degender-neutral, c'est-à-dire d'égalitaire entre les genres.

Alors, comment expliquer une telle ardeur des féministes occidentaux dans une société qu'on peut objectivement décrire comme profondément transformée par le féminisme et les valeurs progressistes depuis les années soixante ? J'explique ce phénomène par ce que j'appelle la tentation féministe. Cette même tentation pourrait s'appliquer aux progressistes et à ce qui reste de marxistes de nos jours.

La tentation commence par un amour de soi à faire rougir Narcisse de jalousie. Le philosophe Alain Finkielkraut disait en entrevue que notre société est tombée en amour de son propre amour pour l'autre, de la diversité et des victimes, dans le cadre de la présentation de son nouveau livre L'identité malheureuse. Le féminisme s'inscrit dans cette même pensée, alors qu'il nous fait tomber en amour avec notre propre personne, car on découvre l'effervescence et l'ivresse du pouvoir que l'autoélévation et l'indignation morale procurent à celui qui se trouve une cause, une victime à sauver et une révolution (féministe) à achever.

Le paradoxe est que cette révolution féministe, pendant les années 60 et 70 du moins, semblait être attachée à une certaine pensée marxiste de l'histoire et des systèmes de productions. Mais depuis, ce féminisme semble avoir abandonné l'analyse marxiste.

Sous l'emprise du féminisme, les femmes se sont affranchies de la famille, de la religion et du patriarcat à une vitesse surprenante, et surtout avec un appui grandissant de la gent masculine, que pour s'empresser de devenir des agentes atomisées du libéralisme laissant Marx pourrir. Le paradoxe est qu'une fois affranchi du patriarcat, les féministes semblent avoir oublié une leçon marxiste importante : le système capitaliste aliène l'homme de son travail et de l'apport existentiel que le travail peut et a déjà apporté à l'homme. Les femmes n'ont pas échappé à cette même aliénation.

Notre représentation de la réalité est tout autre. L'homme est représenté comme épanoui au travail et la femme, elle, est misérable à la maison avec les enfants. On peut voir que l'idée de l'homme tout puissant et misogyne que veut combattre le féminisme pénètre la culture populaire. L'image du personnage de Don Draper, joué par Jon Hamm, de l'émission américaine Mad Men, n'est qu'illusion, autant pour les femmes que pour les hommes. L'homme de la classe ouvrière n'a jamais vécu comme Don Draper, il n'a pas connu le luxe, l'argent et le pouvoir, au contraire. Il n'a surement pas connu le bonheur grâce au travail déshumanisant de la révolution industrielle.

Même si aujourd'hui notre économie du savoir, et surtout du service, fait qu'hommes et femmes travaillent ensembles dans des bureaux stériles à la superficie sans fin, ils ne font que partager la crise existentielle inévitable découlant des interminables « rapports de dépenses » à remplir et autres tâches abrutissantes, comme ironisait l'icône Hipster et créateur de Vice, Gavin McInnes. Ce dernier avait alors causé la controverse en affirmant que les femmes en général retrouveraient un certain bonheur si elles sacrifiaient une partie de leur carrière pour devenir mères. McInnes avait alors subit l'ire et l'indignation populaires, arme par excellence de l'activisme féministe.

L'exemple récent de McInnes démontre comment la tentation féministe est d'autant plus difficile à résister, car on risque très peu en se déclarant féministe dans l'espace public de nos jours, même si le contraire était vrai à une certaine époque. Se déclarer laïque et républicain, de nos jours, est beaucoup plus risqué... ou pire, se déclarer contre le féminisme, le progressisme et même (surtout?) le multiculturalisme et vous courrez le risque de faire face aux goudrons et aux plumes.

La tentation est donc triple, car avec ce féminisme contemporain on tombe en amour avec notre propre amour pour la victime, donc de sa propre personne; on ressent l'extase révolutionnaire sans les risques de la révolution comme telle, et finalement, on se sait à l'abri de l'exclusion et de la condamnation publique tout en étant autoassigné comme garde de l'indignation publique. Il y a donc tout à gagner et rien à perdre.

Finalement, cette obsession avec la représentation de la diversité par le féminisme et ses activistes et ses alliés, pose souvent la question : de quelle diversité parlons-nous ? Est-ce la diversité quantitative où on la juge par le nombre de femmes et de personnes venant des minorités ethnicoreligieuses ou est-ce la diversité intellectuelle? Est-il mieux d'avoir dix philosophes d'ethnies différentes et de religions différentes, des deux sexes (ou encore mieux aucun homme) qui conçoivent le monde tous de la même façon ou serait-ce mieux d'avoir dix philosophes masculins, blancs, vieux, aux cheveux grisonnants qui ne marchent qu'avec l'aide d'une canne, mais qui peuvent concevoir le monde, la société et l'homme de dix façons différentes ?

Reste à voir si certains de ces féministes et progressistes de la représentation seraient prêts à vivre avec la deuxième option si elle se présentait à eux ou si la tentation féministe serait trop forte.

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