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Doit-on faire la guerre aux « cons » ?

Doit-on faire la guerre aux « cons » ?
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Après le massacre de Charlie Hebdo, la guerre était peut-être inéluctable. À peine quelques jours après la tuerie, François Hollande déclarait vouloir faire la « guerre » au « terrorisme » et à « l'islamisme ». En parallèle au discours du président français, les bonnes âmes nous disent qu'il ne faut pas confondre l'islam et l'islamisme, car les frères Kouachi et leurs complices ne seraient que des « cons » et des « fous ». Être « cons » et « fous » les dissocieraient donc d'un islam véritable et pacifique et, par conséquent, les enfermeraient dans l'islamisme. On doit donc comprendre que c'est celui-ci ; l'islamisme, qui devrait être la cible de notre bellicosité. Suivant cette logique discursive qui envahit nos téléviseurs, nos radios et les médias en ligne, si les islamistes sont des « cons » et que suite aux déclarations publiques de François Hollande nous avons déclaré la guerre à l'islamisme, sommes-nous en guerre contre les « cons » ?

Il faut dire que ce discours hostile aux cons n'est pas si récent. Le langage belliqueux envers les cons avait déjà commencé en 2006 alors que Charlie Hebdo avait conçu une page couverture qui avait particulièrement choqué les esprits enclins à l'être. Dessiné par Cabu, le caricaturiste disparut, le journal caricaturait un Mahomet tenant un signe sur lequel il était écrit, « C'est dur d'être aimé par des cons » en référence aux islamistes. Ce 10 janvier dernier, Fabien Deglise signait un article dans Le Devoir intitulé « Mort aux cons ! » en référence au livre du défunt directeur de Charlie Hebdo, Stéphane Charbonnier qui, d'après Deglise, en aurait « souhaité des morts, celle des cons dans leur ensemble. » L'humoriste français Christophe Alévêque déclarait, d'un ton des plus sérieux, sur un plateau de télévision deux jours après les attentats contre Charlie Hebdo, qu'un « nouveau combat nous attend, la folie ». Avec des termes comme la « guerre à l'islamisme », la « Mort aux cons » ou le combat contre la « folie », difficile d'ignorer les tambours battants.

Mais posons-nous la question : peut-on faire la guerre aux « cons » et à la folie ? Si la connerie est une malchance génétique qui force l'individu « con » à vivre avec un quotient intellectuel bien en deçà de la moyenne, il devient difficile de le blâmer pour quoi que ce soit. On ne peut blâmer quelqu'un pour avoir commis un acte, aussi violent soit-il, si cela est le résultat d'une stupidité héréditaire qui exclut la possibilité de l'exercice du libre choix entre le bien et le mal. Si la folie, passagère ou permanente, est un désordre psychologique, alors qu'on envoie les psychologues au front ou alors qu'on déclare les frères Kouachi criminellement non responsables. Suivant cette logique, on peut alors imager une armée de parachutistes-psychologues vêtus de leurs longs manteaux blancs et munis de stéthoscopes et de Prozac parachuté en Syrie et en Iraq avec comme mission de guérir ces malades de l'État islamique.

Si la connerie est à la source de cet islamisme, force est de constater que la connerie semble l'emporter mondialement, d'Ottawa à Sydney, de Saint-Jean-sur-le Richelieu aux cafés de Sydney, de Paris à New York, des deux côtés de la frontière pakistano-afghane, sans oublier l'état de « cons » qu'est l'État islamique. Un esprit critique dirait qu'ils ne sont peut-être pas si cons s'ils ont créé un État tout en faisant la guerre à deux autres États, soit la Syrie et l'Iraq, et cela en narguant le monde entier une décapitation à la fois. Ces « cons » de l'État islamique ont tout de même réussi à démontrer l'inutilité des milliards de dollars dépensés dans la reconstruction et la « nation-building » en Iraq alors que ces « cons » de talibans reprennent l'Afghanistan aisément avec le départ des troupes de l'OTAN.

Se pourrait-il que notre pronostic, notre « médicalisation » de la condition psychologique des islamistes soient plutôt un reflet de notre propre déni de la réalité, notre déni du politique et de l'invariable tragédie qu'est l'histoire des nations, des civilisations ? En voulant refouler toute analyse politicosociale et en déclarant que l'ennemi ce ne sont que des désordres psychologiques, la folie et la connerie, ne refusons-nous pas de véritablement combattre l'islamisme, un système de pensée complexe ? Ne refusons-nous pas de reconnaître l'islamisme pour ce qu'il est : une forme de ressentiment contre l'Occident qui s'exprime par le rejet de la modernité et qui se perçoit comme l'expression conquérante et la réincarnation des plus grands empires islamiques ?

Cette médicalisation de notre discours face à l'islamisme et la guerre contre ces « cons » cache donc le désir d'ignorer que le terrorisme n'est qu'une tactique, l'outil guerrier d'une vision politique, d'une stratégie et d'une pensée qui ne relèvent pas de la folie, mais bien d'une alternative à la modernité occidentale qu'un nombre grandissant de gens partagent, y compris en Occident. Cette guerre aux « cons » et à la folie n'est qu'une dissimulation de notre lâcheté devant un adversaire qui est prêt à mourir pour sa cause, contrairement à nous. Il nous reste alors à nous demander qui est le plus affligé par la folie, qui est le plus « con » : des fondamentalistes prêts à tout pour leur cause, ou un peuple pacifié qui refuse même de reconnaître la nature véritable d'un conflit quand on la dépose à ses pieds. L'histoire en sera le juge.

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