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Lettre ouverte à Monsieur Guzzo

Reprenons vos arguments un à un. Vous dites : «Il faudrait recommencer à faire des films que le monde veut voir». D'abord, je ne connais aucun cinéaste, même le plus ténébreux, qui souhaite faire des films que personne ne veut voir. Ensuite, bien malin celui qui peut prédire à l'avance si un film sera un succès commercial. [...] Personne au Québec, ni à Hollywood ne sait «ce que les gens veulent voir».
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Canadian screenwriter and director Philippe Falardeau, center, of the foreign film
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Canadian screenwriter and director Philippe Falardeau, center, of the foreign film

Monsieur Guzzo,

Il est de bon ton d'évoquer l'argent des payeurs de taxes pour mousser un agenda idéologique ou financier. En évoquant l'intérêt des contribuables dans le financement du cinéma, vous ne défendez ni un principe de justice fiscale, ni une vision cohérente du financement de la culture, mais bien vos intérêts commerciaux. Et vous le faites en citant des choses que vous savez fausses.

Reprenons vos arguments un à un. Vous dites : «Il faudrait recommencer à faire des films que le monde veut voir». D'abord, je ne connais aucun cinéaste, même le plus ténébreux, qui souhaite faire des films que personne ne veut voir. Ensuite, bien malin celui qui peut prédire à l'avance si un film (qu'il soit une comédie ou un drame) sera un succès commercial. Contrairement à un sac de popcorn qu'on achète, car on sait exactement ce qu'il va goûter, les films sont des objets singuliers dont le goût n'est jamais assuré d'avance. Personne au Québec, ni à Hollywood ne sait «ce que les gens veulent voir». Parlez-en au producteur de catastrophes tels John Carter et de l'Appât, deux films semble-t-il que «le monde voulait voir»!

Examinons maintenant votre deuxième affirmation : «Les gens doivent réaliser quelque chose : les films qui font cinq millions, on peut bien les appeler des films de «mangeux» de popcorn, mais au moins ils se payent.» C'est faux, ces films ne se payent pas. Ce fait est extrêmement bien documenté. Ce que vous vouliez sans doute dire, c'est que ces films sont payants pour vous, propriétaire de salle, ainsi que pour les distributeurs. C'est à peu près tout. Ils ne font pas leur frais, ne dégagent aucun profit pour les investisseurs et l'argent ne retourne pas dans les poches du contribuable.

Troisième affirmation : «Les autres (films) à subventions, qui font juste 500 000$ et sont supposément «world renowned acclaimed», c'est correct, mais ils coûtent de l'argent aux contribuables.» D'abord, TOUS les films sont subventionnés, incluant les grosses comédies populaires. Ensuite, les films qui font 500 000 au box-office ont souvent un ratio coût/recette bien plus avantageux que les films populaires dont vous faites allusion. Concrètement, ces oeuvres que vous qualifiez dédaigneusement d'«autres films à subvention» coûtent souvent moins d'argent au contribuable. Il est utile de rappeler que, peu importe si un film rapporte beaucoup ou peu, l'argent va D'ABORD à payer le propriétaire de salle, et RAREMENT OU JAMAIS dans la poche du producteur et encore moins du public. Votre collègue Guy Gagnon a dit qu'Omerta a bien marché avec ses 2,8 millions. Il a surtout bien marché pour les propriétaires de salle qui ont recueilli presque la moitié de cette somme. Mais avec un budget de 7 millions, ce film «se paye» moins que bien des films «world renowned acclaimed».

Finalement, vous dites que «Notre culture n'est pas toujours de faire des films artistiques, «lamentards», où on se plaint toujours de quelque chose. Faisons quelque chose qui va distraire le monde». Il y a un nombre incalculable de préjugés et d'imprécisions dans cet énoncé. Sans doute vouliez-vous dire : «Notre culture ne se reflète pas toujours dans certains films... » Quant aux films lamentards, ce ne sont peut-être pas ceux que vous croyez. Dites-moi franchement Monsieur Guzzo, auriez-vous donné votre aval à un film dont la prémisse est la suivante : un frère et une sœur jumeaux apprennent qu'ils sont issus de l'union incestueuse de leur mère et leur frère lors d'un viol en temps de guerre ? Ou encore : un réfugié algérien dont la famille a été assassinée devient remplaçant dans une classe où la maîtresse s'est pendue ? D'après vous, est-ce que «le monde» comme vous dites veut voir ce genre de films ? Ces deux films lamentards subventionnés (Incendies et M. Lazhar) ont rapporté plusieurs millions de dollars au Québec seulement. Ils vous ont rapporté beaucoup d'argent.

J'ai toujours appuyé publiquement l'idée d'un équilibre entre les films personnels et les films grands publics. Les deux se nourrissent mutuellement. Mais bien malin celui ou celle qui peut tracer la ligne définitive entre le film d'auteur et le film commercial, entre les films lamentards et les films que «le monde veut voir», entre l'art valable et l'art non valable. Si vous souhaitez remettre en question l'idée même du financement public pour le cinéma, dites-le directement et nous aurons un débat clair. Mais cessez de prendre en otage les contribuables pour protéger vos intérêts financiers.

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