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Femmes fatiguées, reposez-vous sur nous

Être une femme est quelque chose qui me rend fière, que je chéris, dont je prends soin, et que je défends. Ardemment. Parfois, je suis une femme en colère. Parfois, aussi, j'ai peur. C'est ce que je déteste le plus de mon état.
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Être une femme est quelque chose qui me rend fière, que je chéris, dont je prends soin, et que je défends. Ardemment. Parfois, je suis une femme en colère. Parfois, aussi, j'ai peur. C'est ce que je déteste le plus de mon état. Je suis une femme chanceuse, contrairement à d'autres, ma peur ne s'éveille que très rarement. Jamais, quand je marche tard le soir dans une rue mal éclairée. De moins en moins quand je dois performer devant 500 000 personnes soir après soir et jamais quand je me retrouve à 100 pieds sous mer en exploration sous-marine.

Non, ma trouille à moi, je l'ai devant une vision du monde qui n'a pas de frontière et qui ne se limite malheureusement pas à un seul homme. Une vision du monde qui se retrouve amplifiée par les réseaux sociaux. Comprenez-moi bien: elle n'est pas issue des réseaux sociaux, ce n'est pas leur faute si elle existe, ce n'est pas à cause d'eux qu'on est plusieurs à avoir cette peur au ventre. Cette vision du monde machiste, misogyne, sexiste, violente envers les femmes s'est immiscée dans un discours qui ne perd pas en importance année après année, au contraire. Ces valeurs sexistes, homophobes, transphobes, racistes, de divisions et d'exclusions se sont installées non seulement dans une grande maison blanche, mais s'accrochent avec un peu plus de force chaque jour à toutes les parois de toutes les sociétés.

La beauté de cette laideur, c'est que des voix s'élèvent de plus en plus nombreuses, de plus en plus fortes, de plus en plus solidaires. Elles sont de plus en plus plurielles et de plus en plus féminines pour porter les voix de celles qui n'en ont pas, celles qu'on ne veut pas entendre. Les invisibles, les exclues, les dérangeantes, celles qu'on se permet de «graber by the pussy», au sens propre comme au sens figuré.

Au-delà d'être en colère et d'avoir peur, je suis galvanisée, je me sens propulsée par les combats menés avant moi par des femmes puissantes qui ont payé cher pour que je vive dans une société améliorée.

Au-delà d'être en colère et d'avoir peur, je suis galvanisée, je me sens propulsée par les combats menés avant moi par des femmes puissantes qui ont payé cher pour que je vive dans une société améliorée. Et je suis aussi portée par les jeunes femmes qui reprennent avec fougue et sans compromis le flambeau, non seulement pour qu'on ne perde pas nos acquis, si fragiles en ce moment, mais pour que nous avancions d'un seul pas vers l'égalité.

Ce que vous venez de lire, je l'ai d'abord pensé pour la grande manif des femmes du 21 janvier, qui a monopolisé des centaines de milliers de citoyens à la grandeur du globe. C'était avant que mes collègues Judith Lussier (anciennement Journal Métro), Geneviève Pettersen (anciennement du magazine Châtelaine) et Manal Drissi (ICI Première) décident de dire haut et fort qu'elles sont épuisées mentalement de devoir faire face aux commentaires agressifs et violents qui sont plus fréquents et virulents pour les femmes qui s'affirment dans notre société et pas que les femmes dans les médias. Selon l'ONU, c'est 73% de toutes les femmes présentes sur internet qui sont victimes, d'une manière ou d'une autre, de violences, d'une forme ou une autre. Et ça touche les femmes qui prennent la parole, de façon controversée ou non, en public ou non, qui prennent position, comme mes collègues, ou non.

Si ces trois femmes ont quitté une de leur tribune parce qu'elles sont épuisées par la lourde tâche et l'immense responsabilité de dire, de nommer, de dénoncer ce qu'elles observent et ressentent. Si elles se taisent à leur âge -elles n'ont pas 35 ans-, je n'ose même pas imaginer la force que pourraient prendre les voix haineuses à leur place.

Ces départs rendent difficile, pour moi et pour d'autres, j'en suis certaine de croire que je puisse continuer à faire ce métier que j'aime plus que tout au monde. Pour une 24e année, sans moi-même tomber au combat. Parce que oui, il est de plus en plus difficile de le faire au féminin. Non, ce n'est pas le fruit d'une quelconque imagination empreinte de fragilité victimaire. Et c'est exactement pourquoi je revendique comme jamais. J'utilise toutes les tribunes, je marche à toutes les occasions, je réplique à toutes les agressions. Je ne veux pas me couper de ces voix haineuses. Je ne veux pas me taire. Je ne veux pas me faire dire: «lis-les pas, parles-en pas, donnes-leur pas d'attention et d'importance.» Je veux contribuer à ce que la pensée derrière ces mots-là perde de leur force au profit d'une humanité.

J'aimerais dire à ces jeunes femmes comme à leurs mères et leurs grands-mères fatiguées : reposez-vous sur celles qui en ont la force pour l'instant. Nous sommes là pour vous, comme vous l'avez été et continuerez de l'être pour nous toutes et tous à nouveau, bientôt.

Un papa d'une petite fille 7 ans m'écrivait ceci sur Facebook alors que je m'apprêtais à prendre la parole Place des festivals au lendemain de l'assermentation du président des États-Unis:

« Ma fille ne se connait aucune limite. Je voudrais qu'elle puisse continuer de grandir sans penser que le monde est limité. Pour moi, cette volonté qui l'anime est la plus belle chose qu'elle puisse posséder. Vivre. Sans limites. Voilà ce que je lui souhaite. »

En cette journée des femmes, voilà ce que je nous souhaite tous et toutes.

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