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Les élections en Grèce à l'heure du consentement

Le simple fait que les deux adversaires politiques aient pu échanger devant les caméras et s'affronter sans franchir les limites dictées par le principe de respect mutuel porte une charge symbolique spéciale.
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Les deux hommes politiques en course pour emporter les élections qui se dérouleront ce dimanche se sont retrouvés face à face lundi soir pour un dernier débat pré-électoral. La moitié de la population grecque, soit un minimum de cinq millions de personnes, ont regardé au moins une partie de la confrontation. Il est vrai que rien de marquant n'en est ressorti. Il n'est pas non plus évident de déterminer un vainqueur ou un perdant. Difficile également de distinguer des éléments qui pourraient avoir un effet notable sur le résultat des élections. Et, sur tout ce qui s'est dit, bien peu de choses ont laissé des souvenirs. Fait révélateur, le seul thème que l'agitation médiatique ait prolongé jusqu'au lendemain est l'accrochage entre M. Meimarakis et le réalisateur de l'émission, le premier reprochant au second de filmer de telle façon que Tsipras paraisse plus grand à l'écran que M. Meimarakis (alors que M. Tsipras est en fait le plus petit d'eux deux). Malgré tout, ce débat fut un instant politique important, par le seul fait qu'il ait pu avoir lieu.

La dernière fois que les leaders politiques du pays ont été rassemblés pour un débat remonte à 2009. Depuis, les Grecs se sont rendus cinq fois aux urnes (pour trois élections législatives, les européennes et le référendum), et ont vécu ces cinq confrontations électorales à haute tension sans voir leurs dirigeants politiques échanger leurs points de vue. C'est un symptôme secondaire de la maladie qui a rongé les entrailles du pays au cours des cinq dernières années: la vie publique a été tellement intoxiquée, tellement empoisonnée par les émanations de la polarisation qu'il était devenu impossible d'organiser ne serait-ce qu'un dialogue télévisé classique entre les dirigeants des principaux partis. Cette toxicité de la vie politique a souvent dérapé pour prendre des formes presque violentes, donnant à voir les failles béantes de la sphère publique, envahie de temps à autres par des brutes épaisses évoquant affectueusement Hitler.

De ce point de vue, le simple fait que les deux adversaires politiques aient pu échanger devant les caméras et s'affronter sans franchir les limites dictées par le principe de respect mutuel porte une charge symbolique spéciale. C'est une évolution en matière de mœurs publiques. Et c'est d'autant plus remarquable que ce débat s'est tenu à peine 70 jours après l'ultime instant de polarisation: le référendum du 5 juillet.

Cette évolution est en partie le fait des personnes en présence. Le nouveau chef du parti conservateur, Vaggelis Meimarakis, a adopté dès le départ une approche consensuelle et modérée, soit l'exacte opposée de son prédécesseur. Et Alexis Tsipras en a fait de même.

Mais au-delà des deux hommes en présence, c'est l'atmosphère politique dans son ensemble qui a radicalement changé. Le débat de lundi a confirmé cette transformation. Quelle que soit la profondeur de leurs désaccords et quel que soit le nombre de sujets sur lesquels ils ont affiché leurs divergences, les deux leaders se sont accordés sur trois points essentiels:

- ils pensent tous deux que la Grèce doit à tout prix rester dans la zone euro;

- qu'au vu du climat européen actuel, il est impossible d'y rester sans accepter à un certain degré le dogme économique dominant;

- et que le prochain gouvernement, même s'il essaie de faire autrement, sera obligé de mettre en œuvre avec loyauté le récent accord Athènes-Bruxelles.

Toute correction ou modification de ce compromis -sur lequel les deux hommes, pour des raisons différentes, portent encore un œil critique- et toute demande d'emprunt et de financement de l'économie sont subordonnées à l'application de l'accord.

Sur ces bases, l'ère de la guerre froide civile laisse la place à l'ère du consensus. Quel que soit le résultat des élections, on peut espérer que le prochain gouvernement aura au moins la possibilité d'échanger avec l'opposition, et ce indépendamment de la formation qui tiendra l'un ou l'autre rôle.

Certains, pas toujours de bonne foi, affirment que cette heureuse coïncidence qui voit les deux leaders s'accorder sur la nécessité de mettre en œuvre l'euro-compromis pourrait être le signe d'une homogénéisation de la vie politique, d'une atténuation des divergences et d'une réduction des grandes lignes de fracture. Nombreux sont en fait ceux qui réclament que ces élections débouchent sur un gouvernement de "grande coalition" ou "d'unité nationale". Mais même si un caprice des chiffres obligeait les deux principaux partis à collaborer pour former une majorité parlementaire, je doute que cette solution soit favorable.

Au contraire, je crois qu'il serait éminemment avantageux que tout ceci aboutisse à un déplacement de l'axe autour duquel tourne la vie politique. De la ligne "pro-mémorandum/anti-mémorandum", qui a dominé ces dernières années et qui mettait en scène la gauche, la version grecque du Tea Party et la "droite patriotique" de l'ANEL cohabitant tous en un même lieu, la vie politique grecque est peut-être en train de revenir lentement vers l'axe "gauche/droite" et "progressisme/conservatisme".

Voilà exactement le dilemme que posent les élections de dimanche: un gouvernement d'alliance centro-gauchiste se formera-t-il autour d'un Syriza transformé, pour tenter de refonder les liens usés qui raccordent les secteurs public et privé en Grèce, et dissoudre l'arc politique qui favorise l'évasion fiscale et qui a tenu le pays en otage? Ou un gouvernement d'alliance centro-droitier se rassemblera-t-il autour d'une Nea Dimokratia rénovée, qui assurera la stabilité politique nécessaire au retour à la normale du système financier? C'est la question qui planait sur le débat de lundi.

Ce post a été publié à l'origine sur le HuffPost Greece et a été traduit en anglais, puis en français par Mathieu Bouquet.

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