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Burberry, Tom Ford, Paul Smith, quand la mode remet ses pendules à l'heure

Après une année 2015 tout en excentricités, paillettes et frivolités, saturée de collections et de célébrités sur-likées, il semblerait que 2016 a fait à la mode raison retrouver.
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Après une année 2015 tout en excentricités, paillettes et frivolités, saturée de collections et de célébrités sur-likées, il semblerait que 2016 a fait à la mode raison retrouver.

On ne sait si ce sont les événements parisiens tragiques de la fin de l'année passée, l'aboutissement de requêtes maintes fois exprimées par les experts de tous bords, ou plus pragmatiquement les chiffres du luxe en berne sur certains marchés, mais un vent de réalisme souffle sur la planète mode. D'abord avec les collections de Haute Couture présentées à Paris du 24 au 28 janvier: une grande majorité de créateurs, des plus grands aux plus petits, de Dior à Armani, en passant par Bouchra Jarrar et Alexandre Vauthier, expriment, tant dans leurs propos que dans leur travail, un retour à la réalité du vêtement, certes encore inaccessible pour le commun des mortels (une robe Haute Couture coûte en moyenne 15.000 euros), mais qui transparaît dans l'omniprésence de tenues "portables". Les robes affriolantes à la traîne démesurée raccourcissent drastiquement ou sont remplacées par des pantalons et des smokings du soir, les lignes qui emprisonnaient le corps dans une démarche contrainte se floutent et libèrent l'allure.

À ce premier moment d'affranchissement succèdent plusieurs annonces-chocs qui sonnent comme autant d'appels à la rébellion: trois des créateurs les plus influents de l'écosystème, Christopher Bailey pour Burberry, suivi par Tom Ford et Sir Paul Smith pour leur propre marque, ont décidé de réduire leur nombre de défilés, et de fusionner leurs collections Homme et Femme. Une petite révolution dans une industrie jusqu'alors étranglée dans des règles de saisonnalité, de genre et de production mises en place il y a tout juste 50 ans avec l'avènement du prêt-à-porter.

La réflexion de ces créateurs sonne on ne plus juste face à un terme qui n'a plus de prêt-à-porter que le nom. Son avènement en 1966 avec la collection "Rive Gauche" d'Yves Saint Laurent, première du genre, et le calendrier de collections qui s'est en est peu à peu suivi correspondaient à une logique de production et de diffusion aujourd'hui remise totalement en question par l'avènement du digital. En effet, on ne peut plus attendre 5 à 6 mois entre la présentation d'une collection et sa mise sur le marché, au risque de se faire massivement copier par les enseignes de "fast fashion" telles que Zara, dont la capacité de production accélérée est le fer de lance, et qui ont immédiatement les modèles à disposition.

De plus, les défilés étaient autrefois destinés uniquement aux "professionnels de la profession", les acheteurs et les journalistes ; ils s'adressent à présent directement via la diffusion en direct et sur les réseaux sociaux aux clients du monde entier qui souhaiteraient pouvoir acheter directement ce qu'ils ont vu, sans avoir à lorgner les pages des magazines de mode 6 mois durant. En outre, le fait de s'adresser à une clientèle mondiale annule toute notion de saisonnalité: les termes de "Printemps/Été" et d'«Automne/Hiver" sont largement dépassés, sans compter les changements climatiques récents qui modifient drastiquement la manière de s'habiller.

Enfin, la frontière des genres tend à s'estomper, les femmes piochant souvent dans le vestiaire des hommes ; l'inverse est encore rare, mais envisageable, avec l'avènement d'une nouvelle façon de s'identifier à laquelle le milieu de la mode n'est pas étranger.

Ces arguments ont largement pesé dans la balance des créateurs concernés, qui veulent revenir à plus de proximité avec leur clientèle, et être en adéquation avec leurs attentes d'une mode plus concise dans son propos, et immédiatement disponible, sans perdre le désir et l'excitation suscités par la présentation d'une collection.

Cette volonté d'efficacité transparaît chez Christopher Bailey, qui a non seulement décidé de réduire de moitié le nombre de ses défilés (de 4 actuellement, deux pour l'Homme, deux pour la Femme, à deux défilés conjoints Homme et Femme en février et en septembre) mais aussi de fusionner l'ensemble des lignes secondaires de Burberry (Brit, London et Prorsum) en une seule intitulée tout simplement "Burberry". Un retour aux sources et un désir de concision qui vont aider la chaîne de production à s'adapter au mieux à ce nouveau calendrier, et à produire cette unique collection semestrielle suffisamment en avance pour qu'elle puisse être vue en avant-première par les acheteurs et les journalistes, puis photographiée pour la campagne de publicité qui sera lancée au même moment que le défilé. Dès celui-ci terminé, la collection sera immédiatement disponible à l'achat, en ligne comme en magasin.

Même changement chez Paul Smith, où le créateur a décidé de passer de 27 collections au total à deux collections fusionnant l'Homme et la Femme, présentées quatre fois par an, afin de remédier selon lui à la "l'expansion folle, à la surproduction massive et inutile" dont il a été lui-même la consentante victime depuis 40 ans.

Mais pourquoi ces changements de concert de la part de trois grands solistes de la mode, qui possèdent, contrairement à beaucoup de leurs pairs, le contrôle de leur marque et ont donc la latitude pour opérer à grande vitesse ?

À la guerre de production déclarée ouvertement aux enseignes de "mode rapide" qui se sont multipliées ces dernières années, on peut ajouter une prise de conscience de la limite du système d'inondation mondial ouvert par les grandes marques de luxe au début des années 2000. Les clients ciblés, sur-abreuvés de collections et d'autant de vêtements et d'accessoires, arrivent à saturation. La multiplicité de l'offre proposée par les marques de luxe leur a fait perdre toute notion d'exclusivité, tandis que la temporalité "lointaine" des défilés réduisait parallèlement la désirabilité des vêtements présentés, incitant les consommateurs à aller se procurer une copie vite exécutée afin de pouvoir tout de suite la porter.

Restent trois questions majeures face à cette première révolution de calendrier: la chaîne de production saura-t-elle s'adapter? Et si oui comment le prix d'achat va-t-il évoluer? Enfin comment le secret d'une collection saura-t-il être gardé, à l'heure de l'instantanéité et des photos volées?

Par ailleurs, si cette première salve de changement est concluante, sera-t-elle suivie par les groupes de luxe dont la structure titanesque ne permet que des évolutions pachydermiques? Et quel sera alors l'avenir des enseignes de "mode rapide", dont la survie dépendait jusqu'alors de la lenteur des géants du système?

Beaucoup de questions encore en suspens, mais elles ont au moins le mérite d'être posées en ce début d'année. Certains mécanismes restent à régler, mais une chose est sûre: dans cette grande migration qui s'est enclenchée vers plus de rationalité, la mode va tenter de remettre ses pendules à l'heure, et on ne pourrait l'en blâmer.

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