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Pourquoi choisir le Canada si l'interprétation des lois qui y est faite nous déplaît au point d'entamer des procédures judiciaires avant même d'y être accepté?
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Alors que tant d'enjeux mériteraient l'attention de la population, celui du port du niqab lors de la cérémonie de citoyenneté est en train de s'imposer, au point d'orienter les intentions de vote des Québécois.

Autour de cet enjeu, deux positions irréconciliables s'affrontent: les tenants du multiculturalisme à la britannique s'indignent que l'on ose vouloir imposer des limites à l'exercice de la religion, alors que les tenants de l'intégration à la française dénoncent le fait que les valeurs de la majorité doivent s'effacer devant les coutumes des immigrants.

Le Parti libéral du Canada et le Nouveau Parti démocratique ont clairement choisi leur camp. Justin Trudeau et Tom Mulcair clament à tous vents qu'imposer le retrait du niqab à une cérémonie de citoyenneté équivaudrait à restreindre un droit équivalent à la liberté de presse. Ils invoquent tous deux le respect de la liberté de religion, protégé par la Charte des droits de Pierre Elliott Trudeau.

Pourtant, aucun des deux ne parle jamais de l'article 1 de cette charte, qui permet de limiter les droits «par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique». Aucun des deux ne mentionne jamais non plus que le juge Boswell de la Cour fédérale, qui avait à juger la plainte de Zunera Ishaq, une immigrante d'origine pakistanaise, ne s'est jamais prononcé sur la Charte des droits et libertés.

Un jugement qui n'aborde pas les droits et libertés

Le juge Boswell s'est limité à établir que la directive qui oblige un futur citoyen à prêter serment en public à visage découvert contredit l'article 17 du règlement sur la citoyenneté, qui ordonne au juge de citoyenneté de «faire prêter le serment de citoyenneté avec dignité et solennité, tout en accordant la plus grande liberté possible pour ce qui est de la profession de foi religieuse ou l'affirmation solennelle des nouveaux citoyens». La plaignante plaidait que cette interdiction ne peut pas se justifier pour des motifs de sécurité ou de vérification d'identité, puisqu'elle avait accepté de se dévoiler avant la cérémonie. Le juge lui a donc donné raison sur cet argument seulement, et a expressément évité de se prononcer sur les droits de la Charte.

Quoiqu'en disent Trudeau et Mulcair, rien n'indique que les tribunaux ne jugeraient pas qu'une interdiction de prêter serment à visage couvert ne serait pas une limite «dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique». C'est d'ailleurs ce que pense Gilles Duceppe, du Bloc québécois, qui s'oppose non seulement au serment de citoyenneté à visage couvert, mais également au vote dans ces conditions. Il a d'ailleurs reçu l'appui unanime des parlementaires québécois sur cette question.

Le Parti conservateur de Stephen Harper a, quant à lui, probablement la position la plus dommageable dans cette affaire. Le jugement Ishaq a été rendu en février dernier, et il s'est obstiné à porter l'affaire en appel, alors qu'il ne pouvait la gagner. Il lui aurait été facile comme gouvernement majoritaire de modifier le règlement, et peut-être même sa loi habilitante, pour les rendre concordants avec sa directive, mais il a préféré attendre, pour faire du port du niqab en enjeu électoral.

Une affaire de droit ou de privilège

La citoyenneté est-elle un privilège ou un droit? Peut-on s'attendre à ce que quelqu'un qui n'est même pas encore citoyen concède un accommodement à la majorité? Est-ce un signe de respect envers les valeurs de ce pays que d'en contester les directives avant même d'être citoyen? Pourquoi choisir le Canada si l'interprétation des lois qui y est faite nous déplaît au point d'entamer des procédures judiciaires avant même d'y être accepté?

Inutile de simplifier le débat pour en faire une question de divergence de point de vue entre le Canada anglais et le Québec. Force est toutefois de constater que le multiculturalisme à la britannique équivaut souvent à de l'aplaventrisme. On se souvient de Charles Taylor, qui recommandait en 2005 l'instauration de la charia en Ontario. En dépit des tergiversations et des déclarations intempestives des partis politiques, la question essentielle demeure toutefois de savoir s'il est exagéré de demander à une immigrante qui postule pour devenir citoyenne d'un pays d'adopter certaines des valeurs fondamentales du pays d'accueil qu'elle a choisi en toute liberté.

Inutile non plus de faire le parallèle avec une dictature comme l'Arabie saoudite pour se demander s'il y a beaucoup de pays sur la planète qui acceptent le niveau de compromission à l'égard des coutumes religieuses des postulants à la citoyenneté que proposent messieurs Trudeau et Mulcair.

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