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Topazmania de ville

Mon voisin me l'avait vendue 300 $ parce que ça le faisait rager de ne pas pouvoir faire jouer la radiocassette quand les essuie-glaces fonctionnaient. Je me doutais bien qu'il ne s'agissait pas de la raison principale.
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Je suis né, j'ai grandi et resté maigre à Ville Vanier, dans la magnifique Ville de Québec.

Malgré le fait que j'aie une mémoire sélective et que je ne me souvienne que de choses anodines, voire complètement inutiles comme le nom du meilleur ami de Perlin dans Passe-Partout (Merlot... vous voyez le genre?), je me souviens aussi de choses un tant soit peu plus importantes, comme le nom de mon premier meilleur ami (Éric); de ma première blonde (Mélanie); du premier chien que j'ai eu soit un «pas de race» qui ne répondait pas au nom de Puppy; de la première fois que j'ai eu du sexe; de la première fois que j'ai eu du sexe avec un autre humain que moi (Manon); de la première voiture que j'ai eue à 19 ans, un Mercury TOPAZ 1984. Non, c'était plutôt un Mercury T....AZ, car les lettres O et P avaient perdu espoir et s'en étaient détachées, ne voulant sûrement plus y être associées.

Le TAZ était couleur rouille avec des taches de blanc. En observant très attentivement à quelques endroits, on pouvait encore apercevoir que son blanc original avait l'air d'avoir eu une clarté étincelante.

Les sièges en velours bourgogne étaient d'un confort à te fendre le nerf sciatique en deux et l'on pouvait facilement deviner le poids du conducteur et du passager principal seulement par l'état des sièges renfoncés.

Je n'osais même pas vérifier le frein manuel de peur que, comme l'indique son nom (frein à main), il ne me reste dans la mienne.

Mon voisin me l'avait vendue 300 dollars. La première raison qu'il m'avait donnée était que ça le faisait rager de voir que lorsque les essuie-glaces fonctionnaient, tu ne pouvais pas faire jouer la radiocassette. Je me doutais bien qu'il ne s'agissait pas de la raison principale, car moi j'aurais pu lui en donner 5 autres raisons juste en faisant le tour mais, bon, chacun ses priorités, et comme la mienne n'était pas d'ordre esthétique mais plutôt le fait que mon succès auprès des filles en était à une voiture près.

Je lui donnai donc un premier acompte de 200 dollars.

Allez savoir pourquoi: lorsqu'il pleuvait, pas de musique! Je me suis dit que si c'était juste ça le problème, et bien pourquoi pas?

Ce n'était pas juste ça, le problème.

Un samedi matin, quelques semaines plus tard, je m'étais fait convaincre par mes chums Éric et Martin de, comme le veut l'expression, «monter en ville» afin de découvrir qu'il y avait aussi de la civilisation à l'extérieur de Vanier Beach, comme tout le monde la surnommait même s'il n'y avait pas de beach.

Nous en étions venus à la conclusion qu'il valait mieux pour nous trois et le TAZ d'y aller en mode exploration en début de journée dans l'éventualité, fort probable pour trois gars crinqués qui viennent d'avoir enfin une voiture pour s'y rendre autrement qu'en autobus et être pogné pour revenir à minuit et demie à l'heure de la dernière 801, d'y retourner en soirée. Excellente décision.

Les vitres baissées laissaient entrer un méchant courant d'air, probablement aussi avec l'aide du trou dans le plancher.

Nous sommes donc partis avec la même détermination que Christophe Colomb lorsqu'il a traversé l'Atlantique. Le volume de la musique qui jouait de façon intermittente dû à une légère bruine qui avait commencé à tomber nous rappelait le «léger problème». On se serait cru à La Fureur car, comme la musique coupait au rythme des essuie-glaces, nous chantions Marie-Stone d'Éric Lapointe et nous essayions d'arriver sur les mêmes paroles que lui quand le son revenait... Trois caves, toi... «ELLE VEUT VIVRE ET VIVRE ENCORE, ELLE DIT QUE LA VIE .. .. ...... ... ...... ...... .... .. ........ ... ET ELLE DANNNSE COMME TU N'AS JAMAIS VU DANSERRRR!... » Yeeaaahhh les boys! « ...Marie-Stooooone»... C'était d'une harmonie savoureuse.

Lorsque nous sommes sortis de Vanier, les trois membres du nouveau groupe rock de karaoké urbain Van(ier) Halen ont mis fin à leur solo. La pluie avait cessé, en même temps que le défi de chanter.

Ça ne faisait pas 10 minutes que nous étions partis que Martin me regarde et me dit:

«Tu ne trouves pas que ça sent le chauffé?»

Je me disais que ça devait être la chaleur dégagée par les cinq avertissements lumineux dans le tableau de bord qui devaient nous faire ressentir ça.

«Pas plus que d'habitude», que je lui ai répondu, en trouvant que ça sentait crissement plus que d'habitude. Pendant cette constatation, un nouveau signe faisait son apparition: le «check engine».

Me rendre à tout le moins sur le Chemin Sainte-Foy via la côte Belvédère était la seule façon que je connaissais car, ti-cul, mon père s'y rendait toujours de cette façon quand on allait chercher ses talons de paies. À trois, nous devions connaître trois rues de la Haute-Ville, donc imaginez pour trouver le Dagobert sur la Grande-Allée. C'était comme le Point G: savoir qu'il existe te garantit pas que tu vas le trouver.

Alors, moi qui conduisais, on était sur la rue que je connaissais. Rendu là, j'ai dû répéter au moins 12 fois:

«Vous voulez passez par où? Vous voulez passez par où? Vous voulez passez par où?»

«Décide, c'est toi qui conduis», que mes deux boussoles inutiles m'ont répondu.

Éric à l'arrière me dit: «Pat? Le monde nous regarde bizarre.»

Pourtant on ne chantait plus.

C'est à une lumière qu'un étrange de la Haute-Ville nous a pointé le dessous du char en disant: «Les gars! Le diable est pogné en dessous de votre char.»

J'ai ouvert ma porte et sans même descendre, j'ai vu de quoi il parlait.

Il y avait une fumée noire qui sortait d'en dessous avec un liquide clair qui coulait. J'ai refermé la porte, j'ai pesé sur le gaz et j'ai dit aux gars: «Tabarnac, on se rend pas!»

J'ai tourné vers la Basse-Ville à la première rue que j'ai vue et, malheureusement pour nous, j'ai découvert une deuxième rue: la côte Salaberry, que j'ai nommée affectueusement depuis «la côte à pic qui descend longtemps en sacrament!». À peine un coin de rue plus loin, le moteur a coupé et le diable ne trouvait plus suffisant de sortir seulement par en-dessous, il avait maintenant décidé de sortir aussi par le capot.

J'essayais, sur notre élan, de freiner doucement pour pouvoir nous stationner en un seul morceau. Je ne me voyais pas essayer de me ranger dans la côte ou, pire, arrêter dans le milieu car y a un petit je-ne-sais-quoi qui me chicotait concernant l'utilisation possible du frein à main.

Pendant que le radiateur se vidait dans la côte Salaberry, laissant une trace de Prestone derrière nous, les gens sur le trottoir de chaque bord de la côte nous criaient: «Hey! Hey!!! Ça coule! Ça couuuule!!» en pointant derrière le char pour nous prévenir comme si, avec toute la fumée qui sortait de tous les bords, on ne savait pas ce qui était en train de se passer!

Je ne sais pas si je dois mettre ça sur le dos de la gêne, de la honte ou de l'orgueil (ou des trois), mais j'ai quand même cru bon de regarder droit devant moi, d'écraser le volant à deux mains et de froncer mes sourcils en faisant semblant de ne pas comprendre ce qui se passait. Plus comédien que ça, j'arrêtais et je demandais aux passants ce qu'ils avaient à nous dévisager comme ça.

Martin à mes côtés, avec la main dans le front pu capable d'arrêter de rire, essayant de dire aux gens de façon intermittente: «On le sait, on le sait!»

Éric sur la banquette arrière, qui regarde, la bouche ouverte, la trace liquide verte fluo qu'on laisse derrière nous, nous suivre en dévalant la pente, digne de Hulk qui viendrait de lâcher une méchante pisse.

Mes deux copilotes m'étant aussi utiles que le «p» dans le mot «baptême», il y a enfin eu un endroit avec une rue à droite dans la Salaberry qui redevient plane où j'ai pu tourner. C'était la rue de la Tourelle.

Pourquoi je me souviens du nom de la rue?

C'était un sens unique. Inverse au mien où les voitures qui s'en venaient ont sûrement eu la chienne car je ne les voyais pas à travers le pare-brise, dû à cette épaisse fumée, mais je les entendais klaxonner en malade! Je me suis donc garé et d'un dépanneur nous avons appelé les services d'urgences, qui sont venus ramasser le véhicule.

Les trois «Colomb» sont donc revenus bredouilles de leur exploration prévue initialement jusqu'au roi Dagobert. Leur Santa Maria partie en fumée durant leur parcours aura mis fin à leur quête de façon abrupte.

En revenant à la maison, mon voisin m'a vu descendre du taxi et voyant ma face assurément noircie et m'a lancé: «Tu laisseras faire pour le 100$ qui reste.»

J'aurai donc eu le TAZ possédé du diable pendant un mois.

Vous savez combien ça fait par jour 200 dollars pour quatre semaines?

6,66 $ par jour... d'enfer.

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