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Enseigner à (l')être humain

ENSEIGNER AU 21e SIÈCLE - J'entreprends ma 12e année d'enseignement à temps plein. Dès le début de cette merveilleuse aventure, j'ai eu le sentiment d'être à ma place. Enfin, je faisais une différence dans la vie des gens : mes étudiants.
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Le 30 mai 1996, je devenais officiellement travailleuse sociale. Membre en règle de l'Ordre Professionnel des travailleurs sociaux du Québec (OPTSQ à l'époque). Je voulais faire une différence dans la vie des gens, apporter des changements individuels, faire en sorte que ce moment de leur vie, où mes services sont requis, se passe un peu mieux.

Il m'a fallu 9 ans pour être blasée. Le système est trop gros, j'ai peu accès à la clientèle, occupée à faire des statistiques et remplir des formulaires. Mais la vie refuse que j'abdique et, par hasard, je vois qu'un programme de Techniques de travail social s'ouvre à Terrebonne. Ils cherchent des enseignants. Je tente ma chance et me voilà repartie sur une tout autre voie.

Enseignante dans un programme technique, WOW!! J'ai toujours aimé « jouer à la petite école ». Mon père était enseignant au secondaire et il m'a toujours dit qu'il avait adoré son métier, qu'il n'a jamais été un fardeau, « choisit un travail que tu aimes et tu n'auras pas à travailler une seule journée de ta vie », disaient Confusius et papa. Je n'ai jamais regretté ce changement de cap.

J'entreprends ma 12e année d'enseignement à temps plein. Dès le début de cette merveilleuse aventure, j'ai eu le sentiment d'être à ma place. Enfin, je faisais une différence dans la vie des gens : mes étudiants.

Oui, je dois transmettre un savoir, mais dans un programme comme le nôtre, le savoir-être est très important et il flirte beaucoup avec le savoir-faire. C'est cette partie de l'enseignement que j'aime. D'ailleurs, je suis peu confortable avec le terme « enseignement », je préfère « accompagnement ». J'accompagne, bon an mal an, une soixantaine de techniciens en travail social en devenir. Je leur transmets des notions théoriques que j'ai eu la chance d'apprendre avant eux, je les soutiens dans leurs apprentissages, leur développement en tant que futurs intervenants auprès d'une clientèle vulnérable.

Pour moi ce sont eux, mes étudiants, qui constituent ma clientèle vulnérable. Ils arrivent du secondaire, un frais 17 ans d'expérience de vie, catapultés dans la jungle collégiale, déboussolés et anxieux (j'en ai même une qui m'a demandé comment faire pour savoir si le cours commence alors qu'il n'y a pas de cloche au Cégep!). Ils arrivent d'un autre programme d'étude, ayant quelques sessions de Cégep derrière la cravate, moins déboussolés, mais encore anxieux : est-ce que cette fois-ci sera la bonne? Est-ce que ce métier est fait pour moi? Ou encore, ils arrivent du marché du travail, blasés eux aussi ou contraint de se réorienter pour X raisons. Ils sont déboussolés, se sentent d'emblée exclus du groupe, sans même avoir rencontré ce groupe, anxieux de savoir comment ils seront perçus eux, les « vieux » de leur cohorte. Ils sont anxieux.... Ils le sont tous, à des degrés différents et pour des raisons différentes, mais ils sont anxieux.

De mon côté de pupitre, je sens cette anxiété. Je souhaite l'atténuer, leur apprendre à l'apprivoiser s'ils ne peuvent la chasser. Un étudiant anxieux n'est pas un bon apprenant. Il vomit des notions sur sa feuille d'examen. Je n'enseigne pas pour que les étudiants aient de bonnes notes, j'enseigne pour que les étudiants deviennent de bons intervenants. Toute une différence, mais eux, ne la perçoivent pas encore : on leur a martelé le cerveau avec la nécessité d'une bonne cote R.

«C'est mon rôle d'enseignante de les accompagner dans ces apprentissages, ceux qu'on ne peut pas faire en lisant un livre, ceux qui me gratifient et me confortent dans mon choix de carrière. »

Ils avancent dans leur formation. Ils sont de plus en plus confrontés à la détresse humaine. Ça déstabilise. On a beau leur parler de la réalité terrain, ce sont les expériences de stages, surtout, qui les font réaliser à quel point leur travail est important. Pour certain, ça sonne « je ne peux pas faire d'erreurs !!». Pas facile d'apprendre, voire de vivre, sans faire d'erreur... pas possible je dirais! Ils le savent... leur esprit le sait... pas leur cœur. L'aspect émotif n'est pas facile à gérer. Voir une adolescente pleurer sa première peine d'amour, c'est triste, on veut être empathique (parce que rendu ici, on a fait la différence entre empathie et sympathie), on a déjà vu ça, on sait, on va être bons/bonnes! Voir un couple de personnes âgées, marié depuis plus de 60 ans qui doivent se séparer parce qu'un des deux est en perte d'autonomie, on ne sait pas.... Trop loin de notre réalité... on ne sent pas qu'on va être bons/bonnes.... C'est mon rôle d'enseignante de les accompagner dans ces apprentissages, ceux qu'on ne peut pas faire en lisant un livre, ceux qui me gratifient et me confortent dans mon choix de carrière.

Et tout ce parcours scolaire se fait en étant une partie prenante de leur vie personnelle. Parce que pour la plupart d'entre eux, cette vie est remplie de rebondissements. Je n'ai pas eu une année sans qu'un ou une de mes étudiants ne vivent une situation de crise : rupture amoureuse difficile (une étudiante était arrivée la veille au soir chez elle et son conjoint l'avait quitté en vidant l'appartement de tous les meubles. Elle avait dormi au sol et était en classe le lendemain matin à 8h00), un avortement, un décès d'un proche (un autre m'avait laissé son cellulaire pendant un examen me demandant de répondre si ça sonnait parce que sa mère était aux soins palliatifs et vivait ses dernières heures), la maladie d'un enfant si ce n'est une grossesse inattendue, etc. Ajouter à cela tous les petits tracas quotidiens : perte d'emploi, auto qui brise, chicane avec les parents pour certains, avec les conjoints pour les autres. Parmi tout ce tumulte, l'étudiant doit garder le focus sur ses études : c'est ce que l'organisation scolaire demande. Moi, en tant qu'enseignante, je souhaite garder l'accent sur l'étudiant. Faire preuve de souplesse et d'accommodements, mais je dois faire prévaloir l'équité. Toute une gymnastique, mais jamais je refuserai d'au moins me pencher sur la question. Je veux que mes étudiants réussissent, deviennent de bons intervenants. Dans toutes situations, un apprentissage peut être fait, c'est ce que je recherche avant tout, et ce, même si, de prime abord, l'étudiant a l'impression que je fais preuve de rigidité.

Le « terrain » me manque quand même un peu et j'appelle mon ancien employeur pour savoir s'il aurait besoin de moi pour quelques heures par mois. Coup de bol! Je réintègre la pratique clinique tout en demeurant enseignante à temps plein, je renouvelle mes exemples en classe, les miennes devenaient désuètes. J'ai même accueilli une stagiaire du Cégep dans mon autre emploi pour avoir du sens avec ce qu'elle vivait dans son stage. Une très belle journée.

Je suis comblée. J'ai le beurre et l'argent du beurre... Mes deux emplois se complètent parfaitement. Je peux investir la sphère professionnelle de l'enseignement dans un secteur technique. Je vous en reparlerai peut-être un jour... c'est un autre aspect de la profession enseignante que je souhaite explorer.

Je suis surtout comblée par les nouvelles que j'ai de mes anciens étudiants qui sont devenus de nouveaux collègues. Ils me disent merci de les avoir poussés à aller plus loin, se souviennent de ce que je disais en classe et ont été capables d'appliquer les notions. Les milieux de stage et les nouveaux employeurs nous disent que nos étudiants sont bien préparés à la réalité du terrain, qu'ils sont bons. Ma job est faite parce que, j'enseigne pour qu'ils deviennent de bons intervenants... vous vous souvenez?

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