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La mondialisation avec des caractéristiques chinoises

La Chine occupe le terrain laissé libre par le président Trump et bientôt il ne sera pas possible de rattraper le temps perdu.
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Aujourd'hui, qui pourrait arrêter la Chine?
Thomas Peter / Reuters
Aujourd'hui, qui pourrait arrêter la Chine?

Un vieil adage dit que tous les chemins mènent à Rome. Au 21 siècle, on peut dire que toutes les Routes de la soie partent de Chine et nous y ramènent!

On entend souvent parler de la « Nouvelle route de la Soie », en référence mythique au voyage de Marco Polo et aux caravanes qui, pendant des siècles, ont servi de liens de communication et de commerce entre deux parties du monde aux antipodes. L'idée de la Nouvelle route de la Soie était de permettre à la Chine de projeter une image bénigne et altruiste face à un monde inquiet de sa rapide montée en puissance.

Au cours des dernières années, le projet a connu des mutations. Un certain temps, on a parlé de « Une Route, une Ceinture », car en ajoutant une voie maritime, la Chine pouvait ainsi rejoindre encore plus de pays dans son effort de projeter une image de main tendue. Sous le président Xi Jinping, qui a fait de cette idée une pierre d'assise de sa politique étrangère, le projet prend maintenant le nom de « Initiative de la Ceinture et la Route ». Ce qui ne change pas, ce sont les ambitions commerciales évidentes et les desseins géopolitiques, subtilement gardés sous silence, derrière ce grand canevas, notamment faire contrepoids aux États-Unis. Ce qui demeure constant, aussi, c'est l'engagement de l'ensemble de l'appareil d'État chinois, banques, sociétés d'État, financement concessionnel, corps diplomatique, etc. à soutenir le déploiement de la stratégie chinoise.

Un projet d'une ampleur inégalée

Au-delà des changements de nom, en quoi consiste ce projet? Il s'agit probablement du plus ambitieux projet de prolongement économique et d'influence politique qu'ait connu le monde. On parle d'infrastructures routières, ferroviaires, aéroportuaires, et portuaires, de télécommunications, de satellites et, selon un de mes contacts, même d'investissements dans la mise en place de systèmes de santé privatisés, gérés par des entreprises chinoises, dans certains pays d'Asie centrale. Les diverses routes et corridors envisagés touchent environ 70 pays, en Asie, en Afrique et en Europe.

Des investissements immenses

Et combien cela va-t-il coûter? À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Plan Marshall par lequel les États-Unis ont accordé une aide d'urgence à la reconstruction des économies européennes dévastées a été évalué à 13 milliards de dollars de l'époque, ce qui reviendrait à 150 milliards d'Euros aujourd'hui. Le plan chinois représente des investissements qui rendraient le Plan américain plutôt chiche en comparaison. Le New York Times évoquait 1 000 milliards de dollars. Mais l'Asie revient de loin! CNBC parlait, en juin dernier, de 26 000 milliards $ de besoins en matière d'infrastructures en Asie seulement. Cela dépasse de toute évidence les capacités de la Chine, mais, selon le même article, la Chine, via sa Banque Import-Export, sa Banque de développement, son Fonds de la Route de la Soie, a déjà réservé plusieurs dizaines de milliards de dollars. Et c'est sans compter cet outil complémentaire qu'est la Banque asiatique d'investissement et d'infrastructures (AAIB), pilotée par la Chine et capitalisée à hauteur de 300 milliards de dollars, dont 50% par ce pays.

Bref, il est très difficile d'en chiffrer le coût véritable, car la bête continue de grossir et se donne de nouveaux tentacules. De plus, le secteur privé chinois suivra les consignes de l'État et sera impliqué lui aussi.

L'Inde, principal concurrent de la Chine en Asie, se sent encerclée et en réponse renforce ses liens militaires, politiques et économiques avec le Japon.

Certes, au-delà des sommes gigantesques, il y a aussi des coûts politiques qui accompagnent cet ambitieux projet. L'Inde, principal concurrent de la Chine en Asie, se sent encerclée et en réponse renforce ses liens militaires, politiques et économiques avec le Japon. D'autres pays, qui ont une peur séculaire de la domination chinoise, s'inquiètent aussi. Ce qui amène Beijing à des efforts diplomatiques soutenus pour contrecarrer à la fois l'axe New Delhi-Tokyo, mais aussi pour calmer les préoccupations de certains de ses voisins.

Certains dénoncent le projet chinois comme un Cheval de Troie visant à s'accaparer des marchés étrangers. Peut-être! Mais c'est une approche que les États-Unis ont déjà utilisée aussi! Et la Chine, qui se rapproche de la maturité économique, a besoin de continuer à faire rouler son économie. Pendant que les États-Unis disent « America First » au reste du monde, la Chine dit « développons-nous ensemble ». Lequel des deux pays marque plus de points actuellement?

Prélude à un monde chinois?

Ce n'est pas parce que des ambitions politiques non avouées sont derrière le projet qu'il est illégitime pour autant. En fait, sa réalisation reflète la réalité qui veut que la Chine devienne la première puissance du monde au milieu du présent siècle. La poursuite de ses intérêts économiques est dans l'ordre des choses. Les Américains, avec le Plan Marshall, avaient aussi des objectifs politiques et commerciaux évidents, dont le principal était de s'attacher l'Europe de l'Ouest, au plan militaire et commercial, dans sa lutte contre l'URSS au début de la Guerre froide. Les pays d'Europe de l'Est auraient sans doute désiré se prévaloir de l'aide américaine à la reconstruction, mais, déjà dans l'orbite soviétique, ils refusèrent l'aide offerte (et ont payé ce refus d'un retard économique chronique pendant des décennies). Cet axe transatlantique aura permis aux États-Unis de dominer le monde pendant 75 ans!

Et aujourd'hui, qui pourrait arrêter la Chine? Le seul pays en mesure de lui faire concurrence sur ce terrain serait l'Amérique, mais ce pays a démissionné. La Chine occupe le terrain laissé libre par le président Trump et bientôt il ne sera pas possible de rattraper le temps perdu. Alors, serons-nous appelés à vivre sous une Pax Sinica pour quelques générations? Autant s'y préparer...

Avril 2018

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