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Aung San Suu Kyi, les Rohingyas et la responsabilité morale

Son silence et son inaction deviennent de plus en plus inexplicables, d'autant plus que le drame humanitaire se produit dans son pays.
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Lorsque des récipiendaires critiquent leurs collègues pour un manquement à leurs devoirs, il faut alors prêter l'oreille.
Suhaimi Abdullah via Getty Images
Lorsque des récipiendaires critiquent leurs collègues pour un manquement à leurs devoirs, il faut alors prêter l'oreille.

Les récipiendaires du prix Nobel de la Paix sont pour la plupart d'authentiques héros ou d'inspirantes personnalités. On pense à des Nelson Mandela, des Liu Xiaobo, des Martin Luther King, des Lech Wałęsa, des Malala, ou encore à Aung San Suu Kyi.

Le prestige international qui vient avec ce Prix est accompagné d'une responsabilité morale immense et d'un devoir de cohérence avec l'esprit du Prix qui, selon la Fondation Nobel, est notamment de reconnaître «...la personne qui aura fait le plus pour promouvoir la fraternité entre les nations».

J'ai longtemps admiré Aung San Suu Kyi et sa lutte pacifique, patiente, pour la démocratie, sa résilience qui témoignait de la force de l'esprit humain.

J'ai longtemps admiré Aung San Suu Kyi et sa lutte pacifique, patiente, pour la démocratie, sa résilience qui témoignait de la force de l'esprit humain. Fille du père de l'indépendance de la Birmanie, Aung San Suu Kyi jouissait déjà d'un immense prestige dans son pays. En résistant aux militaires pendant 25 ans, Aung San Suu Kyi a démontré que si on peut incarcérer des personnes, l'esprit et la noblesse, eux, ne peuvent être emprisonnés. J'étais en Birmanie, à l'époque où elle était prisonnière du régime et j'ai pu voir l'admiration sans bornes que lui vouait la population, admiration mesurée dans des conversations privées, à voix basse, car toute manifestation publique en sa faveur était alors réprimée et de simples conversations pouvaient mener à des délations.

Mais quand les voix d'ex-récipiendaires s'unissent, elles décuplent leur poids moral. Lorsque des récipiendaires critiquent leurs collègues pour un manquement à leurs devoirs, il faut alors prêter l'oreille.

C'est ce qu'a fait récemment Desmond Tutu. Il joignait sa voix à celle de Malala, une enfant qui a défié les talibans et a frôlé la mort dans un attentat. Déjà, à la fin de 2016, une douzaine de récipiendaires de différents prix Nobel et autant de personnalités, dont Richard Branson et Arianna Huffington, signaient une lettre ouvertedemandant à Mme Aung San de réagir à la crise alors naissante.

Quand elle était emprisonnée ou en résidence surveillée et quand des généraux l'ont empêchée de diriger la Birmanie (Myanmar), alors qu'elle avait remporté une éclatante victoire lors d'élections démocratiques, des voix comme celles-là se sont soulevées de par le monde pour dénoncer la junte militaire et réclamer sa libération. Aujourd'hui, aucun écho similaire ne retentit en provenance de la leader birmane. Il est vrai que la situation est complexe et la position de Aung San Suu Kyi elle-même précaire face à un régime largement dominé par les militaires qui surveillent chacun de ses mouvements et qui guettent le moindre faux pas.

La solution à la crise humanitaire dans le golfe du Bengale passe d'abord par la Birmanie, mais les pays voisins et ceux qui y exercent une forte influence doivent aussi faire des pressions.

La solution à la crise humanitaire dans le golfe du Bengale passe d'abord par la Birmanie, mais les pays voisins et ceux qui y exercent une forte influence doivent aussi faire des pressions. La Chine, au nom de sa politique traditionnelle de non-ingérence et, aussi, de ses intérêts économiques, joue un rôle équivoque comme principal soutien au régime birman. Mais Beijing, plus que tout autre, porte les espoirs et les moyens d'amener les dirigeants militaires birmans à modifier leur approche face aux Rohingyas. Le président Obama avait amorcé un dialogue avec la Birmanie afin de tenter de regagner l'influence perdue depuis le dernier coup d'État militaire, ce qui aurait permis, peut-être, d'influencer le gouvernement birman. Pour le président américain actuel, il est probable que le peuple rohingya n'existe pas et on le voit mal s'émouvoir alors que Porto Rico, tout près, eut peine à être l'objet d'un tweet après l'ouragan dévastateur du mois dernier!

Mais, le devoir moral de nobélisée de Aung San exige une réaction plus ferme de la part de l'héroïne populaire. Certes, il lui faudra une nouvelle dose de courage, le même qu'elle a déjà exhibé pendant des décennies, pour défier encore une fois les généraux birmans. Mais le silence face au catalogue des crimes commis dans l'État de Rakhine devient une forme de complicité. Toutes les horreurs dont les hommes sont capables sont perpétrées présentement à l'encontre du peuple Rohingya.

Le déferlement de 500 000 réfugiés, en quelques semaines, ne peut qu'être le résultat d'une situation intolérable pour les victimes, mais qui doit l'être aussi pour tout esprit noble en position d'apporter un soutien aux victimes innocentes de l'arbitraire, de la brutalité militaire et du nettoyage ethnique. Aung San Suu Kyi fait partie de la courte liste de héros dont l'autorité morale dépasse les frontières, ayant de ce fait des responsabilités à l'échelle de la planète. Son silence et son inaction deviennent de plus en plus inexplicables, d'autant plus que le drame humanitaire se produit dans son pays.

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