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L'ubérisation de la monnaie est-elle en cours?

L'uberisation de la monnaie, c'est au niveau de la chaîne de blocs qu'il faut la trouver ou, plutôt, car elle n'existe pas, l'inventer.
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Le terme "uberisation", assez vilain néologisme, permet de faire l'économie de mots plus savants. Communément, il renvoie au fonctionnement d'internet et des techniques de réseaux que le web a rendus possible et qui autorisent un rapport direct entre les parties à une transaction portant fourniture de biens et de services d'une part et qui, d'autre part, permet à toute personne disposant d'une capacité à fournir biens et services à les proposer sur le marché.

Pour se résumer: vous avez du temps libre et une voiture, vous êtes un offreur de temps-voiture; vous avez un appartement et une disponibilité temporaire totale ou partielle de son usage: vous êtes un offreur de temps-résidence.

Uber et les monnaies cryptées?

Pour ces dernières, si on les reconnaît à la hauteur de leurs ambitions, la monnaie ou, plus généralement, les moyens de paiement traditionnellement aux mains des banques sont désintérmédiées et "rendues" aux utilisateurs. On parle de "réappropriation de la monnaie": les banques qui s'étaient attribué le droit de battre monnaie seraient alors exclues d'un système dont elles s'accaparent les profits et surtout dont elles fixent les prix.

Dans cet esprit qui est à la fois libertarien et anti-banques, les défenseurs des monnaies cryptées donnent des exemples... exemplaires et montrent que Mr Dupont de Paris a pu acheter un T-shirt à Mr Smith en Australie et a su régler sa dépense presque instantanément sans passer par une banque c'est-à-dire avec un minimum de frais, pour ne pas dire pas de frais du tout. On peut objecter que c'est une vision très réductrice, pourtant, la plupart des transactions citées comme des exemples très représentatifs de l'intérêt des monnaies cryptées sont de montants modestes. Ce n'est pas totalement innocent: les monnaies cryptées ne sont pas encore "fiables" dans l'esprit du grand public. Les offreurs, c'est-à-dire les créanciers potentiels, n'ont pas envie de prendre des risques anormaux. Leur confiance dans des modes de paiement originaux est limitée et les conduit à cantonner l'expérience à de petits montants.

Tout ceci est très classique et n'a rien de dégradant ni quant à l'usage ni quant à l'image des monnaies cryptées. Il faut garder en tête que l'usage du chèque a été longtemps entouré de prudences sinon de suspicion et lorsque les cartes de paiement sont arrivées sur le marché des paiements, elles ont eu à asseoir leur crédibilité. Dans ce sens, elles sont passées sous les fourches caudines du petit montant et de la limitation des encours clients à des niveaux qui ne risquaient pas de mettre en péril les "créanciers" utilisateurs, c'est-à-dire les vendeurs.

Bien sûr, reconnaitra-t-on, parfois sans trop y croire, les monnaies cryptées permettent de faire l'économie des frais de transferts ou de virements. Elles vont, dit-on plus vite et les fameux "jours de banque" ne sont plus là pour ralentir les transactions. Elles ne contraignent pas les parties à se faire mutuellement preuve de leur existence, de leur sérieux et de leur solvabilité... C'est que le système empêche de créer de fausses preuves de paiement: ou bien elles existent et on sait les retracer depuis leur origine sans interruption, ou bien elles n'existent pas et l'élément essentiel à la reconnaissance de l'opération de paiement manquant, la transaction n'est pas possible.

Monnaies cryptées vs billet de banque

À tout prendre, ces qualités sont très exactement celles qu'on reconnaît au billet de banque qui est entre les mains d'un émetteur souverain (si c'est une banque centrale) ou privé (si on vit dans un système de banque moderne)?

La référence vaut pour les caractéristiques de fonctionnement du Billet. Il est anonyme, beaucoup plus que les monnaies cryptées dont une des caractéristiques, et l'essence même, est de pouvoir raconter tout ce qu'a pu faire "la preuve de paiement" depuis qu'elle a été créée jusqu'au dernier moment où elle est déployée. Il est abstrait au sens où, comme les monnaies cryptées, ayant "effacé" les parties aux transactions, il a aussi "effacé" la réalité de la transaction et sa dimension temporelle. Tout autant que les monnaies cryptées, il intervient dans la valorisation des biens et des services objets des transactions au sens où sa valeur propre n'interfère pas dans la fixation des rapports d'échange. (Ce n'est donc pas là qu'il faut aborder la question de la nature réelle des monnaies cryptées). Il est fondamentalement une preuve de solvabilité et joue un rôle de transmutation: en tant que créance absolue, c'est-à-dire totalement déconnectée du monde des biens et des services, le billet permet d'abolir les créances particulières qu'elles impliquent ou non des débiteurs et des créanciers multiples.

Mais, dira-t-on, justement, parce qu'il est la créance absolue, universelle en quelque sorte, il ne devrait pas être accaparé par les banques: or, il l'est, car il ne nait pas à une autre occasion que celle des opérations de crédit des banques. Ce qui signifie aussi que sauf contraintes imposées dans la production de crédit, l'émission de billets de banque n'est pas limitée, à l'inverse de l'or... à l'inverse du Bitcoin ou d'autres monnaies cryptées.

La vérité ne réside pas tant dans cette "horreur" qu'est la mainmise des banques sur la création monétaire que sur le fait qu'il n'est pas possible de faire autrement ! Après tout, qui empêche tout un chacun de produire ses billets et de payer avec. Dans la législation française, le billet à ordre est un instrument de paiement. C'est un billet de "non banque" si on le souhaite. Mais voilà la question: chacun émettant ses "billets" pour solder ses transactions, les preuves du paiement seraient-elles solides? Pour que solidité il y ait, c'est-à-dire "preuve de solvabilité", il faudrait l'intervention d'un tiers, des banques ? Une banque "centrale"? Ou le souverain. Il faudrait, en d'autres termes une autorité de confiance en qui on pourrait mettre sa croyance, une autorité qui serait la preuve ultime et irréfragable que les paiements ont eu lieu. Ainsi constate-t-on que pour que des moyens de paiement soient efficaces, il faut un système qui indique qu'il n'y a pas de raison de ne pas y croire et qui est à lui-même la preuve dont ont besoin les agents économiques: au-dessus des monnaies privées (le moi-monnaie de l'uberisation), la monnaie de banque ou bien la monnaie du souverain.

Où est donc à ce stade l'uberisation monétaire qu'on a évoquée de façon un peu légère ? Les monnaies cryptées, si on les considère de près ne sont après tout qu'un moyen rapide et astucieux de virements de compte à compte... Elles n'évitent pas le modèle bancaire, elles font comme s'il n'existait qu'une seule banque: c'est le grand livre. Mais, à l'intérieur de ce grand livre, elles ne sont qu'instrumentales, comme un virement n'est qu'un instrument de la machine à prouver les paiements qu'est une banque. Dans ces conditions, les monnaies cryptées sont-elles vraiment le cœur du débat ou un accessoire, utile, important même, comme le billet de banque, comme la monnaie scripturale, mais pas davantage.

L'uberisation de la monnaie, c'est au niveau de la chaîne de blocs qu'il faut la trouver ou, plutôt, car elle n'existe pas, l'inventer.

Pascal Ordonneau - Le retour de l'Empire Allemand ou le Modèle Imaginaire chez JFE éditions.

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