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Les monnaies cryptées et les fonctions de la monnaie

Le bitcoin est-il une monnaie bidonnée ou une opération marketing qui a réussi? Résumons en disant que c'est la seule monnaie dite cryptée dont le public entend parler depuis deux ou trois ans. Elle n'est pourtant pas la seule dans son genre!
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Le bitcoin est-il une monnaie bidonnée ou une opération marketing qui a réussi? Résumons en disant que c'est la seule monnaie dite cryptée dont le public entend parler depuis deux ou trois ans. Elle n'est pourtant pas la seule dans son genre! On décompterait un peu plus de 500 monnaies cryptées... Paradoxe? Au moment où les zones monétaires réduisent le nombre des monnaies traditionnelles se multiplient les monnaies "internet".

Les monnaies se multiplient

On ne rappellera jamais assez qu'il y a plusieurs types de monnaie: monnaies de jeton, monnaies obsidionales, monnaie marchandise, monnaie électronique, e-monnaie etc. Dans ce foisonnement monétaire, trois monnaies "générales": l'une qui correspond à l'antique "pièce de monnaie", aussi nommée monnaie métallique ou divisionnaire, l'autre qui fut une révolution conceptuelle, le Billet de banque, aussi nommée monnaie fiduciaire, et la dernière, la monnaie de banque qu'on connait aussi sous les noms de monnaie de compte ou monnaie scripturale. Parmi toutes les différences qui les distinguent, l'une est essentielle: la production des billets de banque et de la monnaie scripturale n'étaient pas limitée sauf "règles contraires" posées par une puissance publique ou économique, à l'inverse des monnaies métalliques dont la production dépendait du... stock de métal disponible et de son coût de production.

Libéralisation des marchés financiers et bancaires aidant, la monnaie dite de banque, créée par les banques sur la base des crédits qu'elles consentaient, fut en quelque sorte privatisée, devenant la chose des banquiers sous le regard, soupçonneux disent les uns, endormis disent les autres, des banques centrales.

Les monnaies cryptées s'inscrivent dans un courant un peu curieux de liberté économique et de monnaie raréfiée. Elles ont toutes en commun d'être fabriquées par des ordinateurs selon des algorithmes plus ou moins sophistiqués. Comme les monnaies métalliques, elles sont produites en dehors des systèmes bancaires. Pour cette raison et parce qu'elles sont par principe limitées dans leurs productions, elles sont souvent qualifiées d'or numérique. Les orpailleurs du Klondike ou les mineurs de Californie travaillaient dur pour récolter l'or-métal. L'or numérique apparait après un travail que les partisans des diverses monnaies cryptées nomment "le minage". Il est opéré par des propriétaires d'ordinateurs qualifiés de «mineurs» parce qu'ils font tourner des programmes spécialement conçus pour "miner" la monnaie cryptée. Ils sont récompensés par l'attribution d'une partie de leur production. Dans le cas du Bitcoin, plus nombreux sont les éléments "calculés", plus long et lourd, et donc de plus en plus coûteux, le temps du calcul. Les monnaies cryptées sont souvent limitées dans leur volume: ainsi pour le Bitcoin est-il prévu qu'une fois atteint 21 millions d'unités (mais on trouve aussi le chiffre de 25 millions), la fabrication sera interrompue. Une société Ethéreum entend lancer une monnaie cryptée "l'Ether" dont la production serait limitée à 15 millions d'unités par an. Mais, on notera que d'autres monnaies cryptées n'ont pas prévu de limitations.

Crypté ou protégée, l'enjeu de la sécurité

Le caractère crypté de ces monnaies tient aux conditions de sécurité qui entourent leurs échanges. En ce sens on pourrait juger que les monnaies cryptées ne sont pas seulement le produit de calculs, elles "sont" ces calculs. Plus complexe est le processus de création, plus difficile la production de fausse monnaie, c'est le pendant de la sophistication de plus en plus poussée des papiers "fiduciaires" destinés aux billets de banque; de même que le cryptage, qui concerne principalement la régulation des échanges électroniques relatifs aux transactions et aux compensations, est pour ces monnaies le pendant de la sophistication technologique des systèmes bancaires classiques.

Mais surtout, ces monnaies ne dépendent plus d'autorités qui en réguleraient la fabrication comme c'est le cas pour les monnaies traditionnelles. Les processus de calculs sont donc essentiels pour la légitimité de la monnaie cryptée. Ils doivent être inattaquables: le faux monnayage est possible dans cet univers comme dans les autres, pirates en tous genres ne doivent pas pouvoir "entrer" dans la "mine". Ils ne doivent pas pouvoir se tenir "à la sortie de la mine" pour détourner la monnaie cryptée produite, et enfin ils ne doivent pas pouvoir créer des leurres se substituant virtuellement à la vraie et bonne monnaie et détournant sa fonction de paiement. On est ici dans un domaine fondamental commun à toute monnaie. La sophistication des "algorithmes" est la pierre angulaire sur laquelle repose la confiance des partenaires dans les transactions compensées via une monnaie cryptée; elle est essentielle pour attester de sa "réalité" d'instrument monétaire; d'elle enfin dépend la croyance (au sens fiduciaire, c'est-à-dire au sens de la "foi") qu'en l'utilisant les partenaires à une transaction apureront effectivement et sans conteste leurs dettes et leurs créances réciproques.

Anonymat et liberté

En revanche, les monnaies cryptées divergent sur un point par rapport à l'or et à la monnaie fiduciaire: la traçabilité. Le génie "monétaire" a longtemps reposé sur ce principe: la remise de la valeur sous forme monétaire assure, par elle-même et par le seul fait de la remise, la compensation des dettes et des créances. L'or comme les billets de banque "oublie" les transactions, les partenaires, les valeurs compensées. La remise d'une pièce d'or vaut paiement d'un cheval, sans que plus tard, il puisse y avoir un argument tiré du fait que cette pièce a été une partie ou le tout dans la vente de ce cheval. Il en est de même pour le billet de banque qui "oublie" les raisons de son changement de mains comme il ne se souvient plus des personnes qui s'y sont livrées. En reprenant une expression contemporaine, on ne peut pas "tracer" une transaction dont la compensation a été réalisée via une remise d'or ou de billets. C'est d'ailleurs, on le sait, une des raisons pour lesquelles tous les fiscs de la terre cherchent à substituer la monnaie scripturale à l'or ou aux billets.

Pourquoi se soucier de tracer l'usage d'une monnaie et de celle-ci en particulier? C'était justement un des points qui fit le caractère novateur de la monnaie de banque que de ne plus se soucier de ce que devenait le moyen de paiement une fois la compensation réalisée. C'est le dernier maillon des constituants de la confiance et de la croyance dont la validité de la monnaie dépend. Ou bien la monnaie repose sur la conviction des parties aux transactions économiques que le respect des éléments constitutifs de sa valeur est assurée par les dieux ou par les princes, ou bien chaque élément constitutif de la masse monétaire doit être identifié en tant qu'ayant été créé, mais aussi en tant qu'ayant été échangée ou non-échangée: dans ce cas chaque unité de monnaie contient tout le passé des transactions à la compensation desquelles elle a participé. C'est un principe d'origine des monnaies cryptées. De cela, on peut tirer que plus une unité de monnaie a circulé, plus son identification en tant que composante de la masse de monnaie cryptée est forte.

Curieusement, c'est le point qui rapprocherait le plus monnaie scripturale et monnaie cryptée, puisque les opérations de compte, dès lors qu'il n'y a pas de fuite dans le système bancaire, sont traçables... via la trace comptable qu'elles laissent sur les comptes en banques. Une différence, de taille, la monnaie bancaire est traçable au sens où ses utilisateurs sont identifiables sauf le cas atypique des comptes "à numéro", alors que la monnaie cryptée ne l'est pas, le système d'échange étant organisé pour rendre cette identification extrêmement complexe. Ainsi, l'identité des parties aux transactions qui utilisent ce type de monnaie ne peut être révélée qu'à la suite d'opérations très complexes et très lourdes. Tout le monde n'est pas convaincu par cette dernière "intraçabilité". Elle est cependant revendiquée par les défenseurs des crypto-monnaies.

Ainsi, les crypto-monnaies apparaissent-elles comme des trublions dans le monde autrefois serein de la banque. Les systèmes bancaires s'étaient vu reconnaître un pouvoir éminent sur la création monétaire. Leur recherche d'une globalisation la plus mondiale possible s'expliquait par la nécessité de réduire les "fuites" le plus strictement possible pour que la création monétaire fonctionne impeccablement. La fonction monétaire des banques leur apportait un droit de seigneuriage très puissant et des gains considérables perçus sur l'ensemble des mouvements monétaires de l'ensemble des agents économiques. Il comportait aussi une fonction indirecte, mais très réelle de contrôle des activités et des acteurs de l'économie.

Les propagandistes des monnaies cryptées prétendent assurer les fonctions bancaires de compensation et de conservation de la valeur dans des conditions beaucoup moins onéreuses pour les utilisateurs. Ils veulent "libérer" la création monétaire et les transactions et substituer les réseaux "peer to peer" aux réseaux intermédiaires des grandes institutions bancaires mondiales. Et ainsi rendre la production de monnaie à ceux qui en ont besoin: les acteurs de la vie économique et sociale.

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