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Le Bitcoin est-il l'instrument d'une secte?

La communauté bitcoin, comme tout organe social, est traversée par des courants politiques de grande ampleur.
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Dado Ruvic / Reuters

Jusqu'ici, la plupart des analystes et des commentateurs qui s'intéressent au bitcoin lui ont fait la politesse de le penser comme un évènement autant économique que technologique.

Personne ne s'est trop étendu sur la conception erronée de la monnaie qu'il met en jeu : les charmes des « hash », des « arbres de Merkel », des « généraux byzantins » et plus généralement la science « cryptographique » ont très largement détourné l'attention. Les clefs privées et publiques, les « blocks », « les chaînes », les « mineurs », les « developers », les « nœuds » toute cette cohorte d'acteurs et d'outils plus ou moins sophistiqués a permis de s'affranchir de toute explication claire.

On a montré que le bitcoin « c'est du vent » ! Une sentence biblique (Livre d'Osée 8,7) a donné que «celui qui sème le vent rapporte la tempête». Avant que la tempête « Ponzi » n'éclate, faisons un tour du côté des mécanismes sociologiques et psychologiques qui font du bitcoin un moment assez étonnant de la vie des sociétés modernes.

« Croyez-vous en le bitcoin ? »

Si on examine de près les discours sur la fameuse monnaie cryptée, hormis ceux qui se cumulent injures et invectives, on remarque vite que le bitcoin côtoie le mode religieux de la pensée. S'il faut une preuve par le ridicule, la voilà dans la formule « croyez-vous en le bitcoin ? » trouvée sur un site de promotion du « bitcoin trading ».

C'est une caractéristique de notre langue que le verbe croire n'est suivi de « en » que lorsqu'il exprime une absolue adhésion, un acte de foi.

C'est une caractéristique de notre langue que le verbe croire n'est suivi de « en » que lorsqu'il exprime une absolue adhésion, un acte de foi. Foi civile avec, par exemple, « je crois en Emmanuel Macron », foi religieuse, « je crois en Dieu ».

On objectera que ce n'est pas parce qu'un site de trading se laisse aller qu'il faut en déduire que le fondement du bitcoin réside dans un acte de foi. C'est un indice. D'autres complètent cette symbolique. Ce qui va suivre ne ressort pas simplement de questions de vocabulaire.

Le bitcoin est né aux États-Unis où la liberté individuelle est au cœur de la culture américaine: la lutte (idéalisée) contre le Moloch étatique est une donnée fondamentale de la vie politique et culturelle américaine. Le combat contre les puissants et spécialement les puissances d'argent en est une dérivée naturelle. Ce qui explique que les États-Unis n'ont pas eu de banque centrale durant le XIXe siècle en raison de l'hostilité du président Andrew Jackson à l'égard des banques.

Le rôle des communautés, civiles ou religieuses, est très puissant ainsi que le caractère électif de la mission des conducteurs de pensée.

Aux États-Unis, le bitcoin fait donc partie du paysage sociologue voire ethnique. S'il y a là une appartenance aux traditions libertariennes qui ont traversé les États-Unis depuis les guerres d'indépendance, il ne faut pas oublier qu'elles sont doublées des traditions religieuses multiples, particulièrement les diverses communautés confessionnelles protestantes. Le rôle des communautés, civiles ou religieuses, est très puissant ainsi que le caractère électif de la mission des conducteurs de pensée.

Les idées et les discours à teneur et esprit religieux sont donc très prégnants dans la société américaine. (in God we trust). En témoigne ce commentaire sur les « fourches » (forks) « Bitcoin, c'est Bitcoin et le reste ne sont que des altcoins ». Ce propos est de l'ordre de la prédication. « L'Éternel, notre Dieu, est le seul Éternel. ». Le même commentateur continue en affirmant qu'il « n'existe qu'un seul Bitcoin correspondant à la vision de Satoshi Nakamoto, et c'est très logiquement celui que ce dernier a mis au point ».

Ces propos sont de l'ordre de l'extase qui saisit le défenseur du « vrai bitcoin » contre « les faux » (les démons et les faux dieux de la bible) ? Mais on ne peut pas ne pas être frappé par la parenté du propos avec ceux qui dénonçaient les faux évangiles. Jamais on n'a assisté à pareilles postures religieuses à l'égard d'une quelconque monnaie !

Communauté, confrérie ou église ?

Ce n'est que tout récemment, avec les « forks », que la vérité a éclaté. Jusque-là, mineurs, développeurs et utilisateurs vivaient en bonne intelligence (le paradis). Ils participaient d'une même conviction : se réapproprier la monnaie, mettre en place un système monétaire indépendant de toutes les puissances, instaurer une démocratie économique essentielle puisque touchant à la monnaie et, couronnement de tout ceci, anonymat et irréversibilité des opérations.

Tout baignait donc et le calme régnait. Malheureusement, on découvrit l'église trop petite face au succès des nouvelles idées : on vit même que des opérations ne pouvaient être traitées, sauf paiements de grosses commissions. Il traînait des monceaux d'or numérique dans les tuyaux. La machine crachotait. On vit même les modes concurrents de paiements entre les mains des banques faire beaucoup mieux, plus vite et parfois avec les mêmes exigences d'anonymat que le bitcoin.

Si on voulait que la foi « en le bitcoin » ne se fissure pas, il fallait « réformer » la chaîne bitcoin.

Si on voulait que la foi « en le bitcoin » ne se fissure pas, il fallait « réformer » la chaîne bitcoin. On sait ce que les mots veulent dire. Ou bien, le terme est platement civil : la « chaîne » aurait été réformée comme les chevaux usés qu'on envoie à l'abattoir, soit la chaîne aurait été transformée comme il en fut autrefois des grandes religions. En langage blockchain on nomme cela « a fork ». Les changements dans la formule originale, la vraie, celle de Satoshi, menés par la « communauté bitcoin » auraient dû aller de source (open). Au contraire : des opposants ont surgi qui se prétendaient les vrais descendants du prophète qui portaient en eux et sur la toile la vraie foi.

C'est ainsi qu'est né le Bitcash. Dénonçant les croyants version « mouton de panurge », les inventeurs de cette nouvelle monnaie se sont voulus pareils aux « vieux orthodoxes » ou aux « traditionalistes catholiques », défenseurs des protocoles initiaux et s'opposant aux nouveautés d'une Bitcoin-blockchain où les blocks deviennent des entrepôts énormes et où les mineurs gagnent en productivité.

Autant dire que les défenseurs de la vraie foi n'ont pas attendu pour réagir : «...la communauté renseignée, elle, n'a pas laissé passer cet affront. Ainsi, le site BadBitcoin.org les a désormais listés, ce qui équivaut plus ou moins à une condamnation officieuse de la part de la communauté »

Les vrais défenseurs du bitcoin pur et dur, ennemi de toutes les déviations, dont celle de l'hérétique bitcoincash, ont mobilisé la communauté. Celle qui produit les meilleurs consensus. La communauté, c'est « l'ecclesia ». Chez les Grecs, elle rassemblait les citoyens, c'est-à-dire pas tout le monde ; il était dans ses pouvoirs de prononcer l'ostracisme : exclure le(s) méchant(s)-(es).

Ce consensus à l'intérieur de « l'ecclesia bitcoin » permet de dire que « Bch n'est pas bitcoin, B2x n'est pas bitcoin, seul bitcoin est bitcoin ». Depuis : « Dieu est Dieu » on n'avait rien entendu d'aussi beau, d'aussi pur.

En d'autres termes, bitcoin cash qui se prétend bitcoin est tout aussi truqueur que le marrane espagnol qui se faisait catholique à l'extérieur mais qui pratiquait tout autre chose en son fors intérieur. L'inquisition naquit du douloureux combat contre les idées non conformes, et, aujourd'hui hors protocole: assister la communauté, rendre la pureté au « consensus » (je crois en toi, bitcoin) et expédier les hérésies dans les poubelles des 0 et des 1 (delete). On n'insistera pas ici sur le Bitcoin Gold. Les partisans du vrai bitcoin ne tarderont pas à lui écraser le protocole avec leurs tables de code.

Tout est donc à peu près clair. Le phénomène « bitcoin » est marqué par une très forte connotation religieuse.

Ceci explique les conceptions très approximatives que les défenseurs du bitcoin entretiennent avec l'économie.

Hérésies, Réformes sont aussi des luttes de pouvoir : la communauté bitcoin, comme tout organe social, est traversée par des courants politiques de grande ampleur.

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