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En économie, le paradis est une dangereuse illusion

L'économie est une science dangereuse. Quant aux pratiques économiques, elles virent très vite "potion magique" et "jus de toile d'araignée" à la première occasion. En témoigne une information récente: les Allemands ont été appelés à se montrer citoyens et à consommer de l'électricité produite en trop.
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L'économie est une science dangereuse. Quant aux pratiques économiques, elles virent très vite "potion magique" et "jus de toile d'araignée" à la première occasion. En témoigne une information récente: les Allemands ont été appelés à se montrer citoyens et à consommer de l'électricité produite en trop. Les pouvoirs publics ou les compagnies de production d'électricité ont proposé aux utilisateurs de les indemniser à due concurrence de leur consommation d'électricité pendant une période déterminée. Il faut noter cela: le consommateur est rémunéré pour sa consommation.

Tu seras payé pour ce que tu auras consommé

Est-ce une nouveauté ou une tendance profonde des économies modernes? Le producteur qui paie pour qu'on consomme est-il pour surprendre les observateurs? En fait, c'est vieux comme les surplus ou les politiques agricoles, ou le sauvetage des constructeurs automobiles. Cela se nomme en général «subvention» ou «soutien des cours» ou «prime». Dans ces cas-là: ou bien les producteurs détruisent leurs productions, ou bien on paye les consommateurs en espérant qu'ils accepteront de consommer des choux-fleurs, des artichauts, du porc, du bœuf, etc. Dans le cas de l'automobile, on dit prime, mais aussi "bonus" et "super-bonus", pour ne pas donner l'impression qu'il s'agit de subventions contraires à l'esprit du marché européen. Le tout est justifié par le souci de l'environnement. Dans le cas de la banque et de la finance, on dit "intérêts négatifs".

Dans tous les cas, il y a abondance de biens et de services; plus exactement, il y a trop d'abondance. Quand il y a abondance, en économie classique, les prix ne jouent plus leur rôle: tout le monde pouvant consommer puisqu'il y en a pour tout le monde, il n'est pas utile d'exclure des consommateurs, ce qui est justement la mission des prix. Quand ils montent, le nombre des consommateurs qui peuvent rester sur la «scène» se réduit, et inversement quand ils diminuent. L'abondance tue les prix à ce point qu'ils peuvent devenir négatifs.

Bien sûr on objectera les coûts de production. Comment les «couvrir» si on vend «sans prix» c'est-à-dire, sans conteste possible, en dessous du prix de revient ! À moins d'imaginer que l'abondance règne en maîtresse dans le domaine de l'emploi cela ne devrait pas être possible. Quant aux biens intermédiaires et aux équipements, il faudrait qu'ils soient eux aussi «atteints par l'abondance» comme on peut l'être par la grâce ou la peste.

Or, puisqu'on a évoqué "la science économique", cette fameuse abondance n'existe pas. On ne fera pas le procès de ces agricultures européennes qui oublient qu'abondance et surplus n'ont rien à voir, et encore moins, abondance et destruction de production invendue. On remarquera aussi que les aventures électriques de nos voisins relèvent de l'exception et non pas de la norme. On a bien vu les prix du pétrole et du gaz s'effondrer. On n'a pas encore vu des prix "zéro" et des "prix négatifs" sur ces marchés-là. Ils sont bas, mais ils ne sont pas nuls. Apparemment, les facteurs de production du pétrole ne sont pas abondants: il faut les rémunérer.

Pour une économie politique du Paradis

Une société d'abondance au sens paradisiaque du terme est une société du non-coût. Il faut prendre l'exemple du Paradis justement. Tout y était en abondance. Tout y était sans prix, les coûts de production comme les produits eux-mêmes. Il n'y avait ni stocks, ni par conséquent ruptures de stocks, ni aussi invendus. Même le soleil était fourni gratuitement de telle sorte que les habitants pouvaient se promener dans le plus simple appareil. Il ne faisait ni chaud ni froid. C'est évidemment un résumé sommaire, car l'économie politique du Paradis n'a pas donné lieu à beaucoup d'études.

On peut l'imaginer à grands traits en se reportant vers ces fameuses comparaisons qu'affectionnaient les théoriciens de la micro-économie aux débuts de la science économique: parce qu'ils sont abondants, l'eau et l'air n'ont pas de prix alors que leur valeur est infinie. Ils sont disponibles pour le consommateur sans avoir besoin d'être produit. Résumons la situation au Paradis: puisqu'il ne coûte rien de produire, les produits sont fournis pour rien et leur consommation est ajustée à ce qui est nécessaire pour chacun. (Peut-être tout n'est-il pas parfait au Paradis, peut-être y-a-t 'il aussi, comme chez nous, des obèses, des gens qui abusent de l'abondance?)

On a vu un peu plus haut que si, par moment, dans des situations exceptionnelles, les prix disparaissent du paysage économique, les coûts n'en subsistent pas moins: on n'est pas au paradis. Rien n'est finalement donné. En tout cas, rien n'est donné très longtemps dans notre bas monde. Sauf l'argent.

Pour le coup, voilà une nouveauté ! Qui aurait pu penser que l'argent ne vaudrait tellement rien ? Qui aurait pu imaginer qu'il est si abondant qu'on en vienne à supplier le consommateur de le prendre à tout prix, qu'on en vienne même à rémunérer l'emprunteur pour avoir l'amabilité d'emprunter ?

Il serait logique d'appliquer à l'argent ce qu'on a appliqué aux biens et services en arguant que les coûts de production sont les juges de paix, qu'il faut bien les honorer et que, par conséquent, la gratuité ou même les prix négatifs ne peuvent s'appliquer sur de trop longues durées. Mais serait-ce bien logique? Il faut considérer les coûts que représentent les Banques centrales, leurs dirigeants et salariés bien payés, leurs somptueux locaux...et les rapporter aux milliards d'euros et de dollars qu'elles sont capables de produire. Le résultat de la comparaison ? Les coûts sont infinitésimaux. Cela ne leur coûte rien de produire de l'argent. Cela ne coûte que de la bonne volonté.

Au paradis de l'argent, y-a-t'il trop d'abondance ?

On dit que les Banques centrales "prêtent sur leur bilan". C'est dire qu'elles prêtent sur elles-mêmes. Et comme cela ne coûte rien, elles peuvent pratiquer l'abondance sans risquer d'en subir les conséquences sur leurs comptes d'exploitation. Comme au paradis: pas de coût, pas de rareté, pas de prix. Et, pourquoi pas, des prix négatifs. Car dans le paradis des monnaies, il ne peut être question d'une abondance "petit bras" comme dans le paradis classique. Dans ce dernier, l'industrie textile ne trouve pas sa place puisqu'on se promène dans le plus simple appareil. C'est dire que l'abondance est qualifiée par les besoins. Dans le paradis de l'argent, l'abondance n'est qualifiée par personne. L'abondance n'est pas un état de grâce! Elle est le fruit d'une volonté, d'une action.

Ce qui entraîne nécessairement qu'on ne peut pas exclure que l'abondance soit excessive. Il y aurait trop d'abondance de monnaie? Ce trop de monnaie n'a aucune raison de s'arrêter: la contrainte des coûts comme au Paradis n'existe pas et moins encore la limitation qui tiendrait à la satisfaction des besoins. Au Paradis, il y a de l'abondance, mais juste ce qu'il faut. Pour les Banques centrales, l'abondance se définit parce qu'elles ont décidé, indépendamment des besoins.

Nous ne sommes pas au paradis. L'électricité a un coût. Les consommateurs allemands le savent bien. Même la production agricole des paysans bretons a un coût. Ils jettent leur lait dans les ruisseaux, signe symbolique de l'abondance qui renvoie aux rivières de lait du paradis, et pourtant leur sort n'a rien de paradisiaque et leur abondance de lait ou de tout autre produit n'est qu'un vulgaire surplus. Nous ne sommes pas au paradis sauf les banques et spécialement les Banques centrales.

Si c'est vraiment le cas, ne sommes-nous pas très proches de l'enfer?

Pascal Ordonneau - Le retour de l'Empire Allemand ou le Modèle Imaginaire chez JFE éditions.

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Ce billet de blogue a été initialement publié sur le HuffPost France

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