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Quand tu arriveras à l'aéroport de Nice

Si tu pars à Nice par le prochain vol direct d'Air Transat, je voudrais te dire de prendre ton temps. Je voudrais que tu profites de chaque instant, que tu marches dans les pas de mes souvenirs insouciants, que tu t'imprègnes de lafaçon azuréenne. Mais le pourras-tu?
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Tu as plusieurs possibilités. Le moins cher et le plus rapide, c'est encore le train. S'il n'y a pas de grève. La gare de Nice Saint-Augustin n'est pas bien loin. Si ta valise n'est pas trop lourde, ça vaut la peine. Tu sors de l'aérogare, tu fais le tour du rond-point, tu prends l'avenue Lindbergh, tu verras le chemin de fer un peu plus loin. La gare est à droite, tu longes le boulevard René Cassin et tu passes sous le train en prenant la route de Grenoble. Tu verras, c'est facile.

Si tu as loué une auto, je ne te conseille pas d'embarquer sur l'A8 qui t'amène trop loin dans la vallée, t'oblige à quitter la mer sur laquelle tu viens juste de te déposer et te fait faire un détour de plusieurs dizaines de kilomètres par-dessus les banlieues tristes de Nice. Prends ton temps. Hume l'air de l'azur. Laisse le soleil du matin te caresser le visage. Prends tranquillement la Promenade des Anglais, elle commence juste là, à la sortie de l'aéroport, comme une invitation à la balade.

Nonchalante, la Promenade des Anglais fait le tour de la Baie des anges. Laisse les gens pressés d'aller travailler pétarader sur leur mobylette au pot d'échappement percé. Ne t'occupe pas de ces nouveaux riches enfoncés dans le cuir de leurs rutilantes berlines climatisées. Ouvre tes fenêtres, regarde le soleil qui danse sur les vagues. Regarde les retraités qui font du jogging. Là, une Anglaise en vacances promène son chien. Il est encore tôt, mais il y a déjà un groupe de touristes chinois qui se photographient à contre-jour avec au loin le ciel qui se confond avec la mer. Un jeune homme fripé a passé la nuit sur la plage. Un papy bronzé revient de sa baignade. Un bambin tire sa maman encore endormie pour l'emmener à la plage. Un peu plus loin, sur ta gauche, c'est déjà le Negresco. Un vestige de l'époque révolue où des princesses russes étaient amies avec ma grand-mère. Puis le musée Massena. N'oublie pas de regarder la route, il y a beaucoup de circulation. Profite aussi de la mer. Le bleu d'ici n'existe nulle part ailleurs.

Déjà, le jardin Albert 1er, nommé ainsi en l'honneur du roi des Belges. Et puis le marché aux fleurs caché derrière les façades et les arcades. Bientôt le port. Tu le contournes par le quai de la douane et puis tu verras au bout un bel immeuble rouge avec des colonnes blanches. C'est un peu là que les vacances commencent. Juste après l'église Notre Dame du port, tu verras la première pancarte « Menton » vers la gauche. C'est comme si on était arrivé. Il reste à peine 25 kilomètres. Mais par la moyenne corniche, ça te prendra encore au moins 45 minutes. S'il n'y a pas de grève, d'embouteillages ou de travaux à Monaco.

Tu laisses derrière toi Nice. La route serpente. Elle sort de la ville, mais sur la Côte d'Azur, c'est toujours un peu la ville. Il y a des maisons partout accrochées à la montagne. Tu arrives à Èze. C'est peut-être là que tu t'arrêtes pour un café. Les croissants sont bons. La route redescend vers Monaco. Ne va pas te perdre dans le labyrinthe des sens uniques, reste sur la D6007 qui surplombe le Country Club, fait une épingle avant le Golfe Bleu, se glisse sous le village de Roquebrune et redescend enfin vers le Cap Martin. Te voilà arrivé à l'appartement. Avant, quand j'étais petit, il y avait des villas et des jardins. Mais ça fait longtemps que le béton a conquis la Côte d'Azur.

Regarde les montagnes derrière, la mer devant, elle est d'un azur infini, les maisons sont jaune sable et rouge terre, les palmiers majestueux, les mimosas chantants... Le microclimat n'est pas une légende, il règne ici un parfum d'insouciance et une nonchalance contagieuse. Sur la plage, des habitués font des mots croisés sous le parasol qu'ils ont réussi à coincer entre les galets. À la gare, les gens se pressent pour prendre le train vers le marché de Vintimiglia. Le vieux monsieur du magasin de journaux a sorti le présentoir avec les maillots, les crèmes solaires et les matelas de plage. Tu iras lui acheter le Nice Matin pour éplucher les nouvelles locales, les activités du club de pétanque de Carnolès, le spectacle de danse de l'école de Monte-Carlo, l'horaire du cinéma Éden, l'histoire de la procession des limaces de Gorbio. Peut-être apprendras-tu qu'un retraité s'est noyé à Villefranche ou qu'il y avait une fuite de gaz dans un appartement de la Trinité.

Mais depuis ce 14 juillet 2016 où un terroriste au volant d'un camion a fauché 84 vies, blessé des centaines d'autres innocents, semé la peur et l'incompréhension, l'azur est noir et la mer a le goût des larmes.

Si tu pars à Nice par le prochain vol direct d'Air Transat, je voudrais te dire de prendre ton temps. Je voudrais que tu profites de chaque instant, que tu marches dans les pas de mes souvenirs insouciants, que tu t'imprègnes de la dolce vita façon azuréenne. Mais le pourras-tu? Auras-tu envie? Et moi? Aurais-je la force de t'insuffler la douceur des plaisirs qui me portaient autrefois? Après Paris, après Bruxelles, c'est maintenant la Côte d'Azur. Bien sûr, il y a Bagdad, Istanbul, Orlando, Lahore, on ne compte plus les attentats et les morts. Mais ici, ça fait exploser les souvenirs rassurants de mon enfance. Et je pleure encore.

Ce billet a également été publié sur le blogue personnel de Pascal Henrard.

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