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Rencontre à Washington: une leçon de realpolitik

Est-ce que M.Trudeau aurait pu en faire plus? Oui, sans aucun doute. Mais je crois qu'il avait pour mission d'aller jauger le président Trump et voir ses véritables intentions.
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À moins que vous ne suiviez pas les nouvelles et que vous n'avez pas de compte sur un réseau social, bref, que vous n'êtes pas encore au 21e siècle, vous savez que Justin Trudeau et Donald Trump se sont rencontrés lundi dernier pour discuter des futures relations canado-américaines, particulièrement les relations économiques.

Oui, parce que Justin Trudeau n'a pas parlé officiellement d'immigration, du décret anti-musulman ni proposé de faire un concours de qui «grab the pussy» le mieux entre les deux (j'imagine mal le premier ministre se vanter de faire une telle chose, pour être bien honnête). La rencontre, très protocolaire et extrêmement calculée, a laissé néanmoins quelques indices sur le futur des relations entre les deux partenaires de l'ALENA, et un oeil vif ou une oreille attentive n'aurait pas pu déceler de flèches lancées sur la vision du monde de part et d'autre. On a bien vu la poignée de main qui a fait le tour du monde et qui a été analysée au point d'en devenir absurde, pour une chose somme toute mineure, et c'est peut-être le seul indice véritable qui a laissé voir ce qui se cachait derrière le rideau de la diplomatie, mais en général, la rencontre était plutôt terne.

C'est le genre de visite qui a un potentiel explosif pour les deux dirigeants. D'un côté, le président Trump a eu un court répit de la part des médias (il faut dire que les journalistes étaient triés sur le volet) sur les liens étroits de membres de son administration et des services de renseignement russes. De plus, il pouvait redorer un peu son blason en n'ayant pas l'air d'un débile mégalomane qui domine les dirigeants du monde comme il l'a fait avec le premier ministre du Japon la semaine dernière.

D'un l'autre côté, le premier ministre ne veut pas revenir au pays et se faire lyncher sur la place publique par l'opposition et/ou la population. Un sondage du Globe and Mail mentionne que 57% des répondants veulent que Trudeau tienne son bout contre son voisin du Sud, même si ceci occasionne une guerre commerciale. Le NPD hurle que Trudeau a servi de faire-valoir pour Trump et qu'il n'a essentiellement rien fait pour promouvoir les valeurs canadiennes.

Attentes irréalistes ou soumission canadienne?

En fait, le NPD a dit tout haut ce que beaucoup de Canadiens aimeraient qu'on dise au président Trump, qui n'est pas très populaire au pays. Dans les faits, le parti d'opposition a probablement compté des points dans l'opinion populaire, mais je crois que Thomas Mulcair n'aurait pas agi de façon différente de Trudeau s'il était premier ministre. C'est facile de critiquer quand on a peu de comptes à rendre, mais c'est quand même essentiel de le faire.

Soyons réalistes, Trudeau a fait ce qu'il devait faire.

Soyons réalistes, Trudeau a fait ce qu'il devait faire. Il est allé faire la promotion des intérêts canadiens, le message semble avoir passé, il n'a pas été complaisant avec Trump et il est revenu au pays sans dommage à sa réputation. L'ALENA sera renégocié, mais si on croit le président, ce sera surtout pour pénaliser les Mexicains, qui semblent avoir le malheur (ou l'honneur) de partager le podium des nations détestées par M. Trump, avec la Chine et «les musulmans».

Si M. Trudeau avait été dire au président Trump: «Hey l'gros, t'es cave», je suis certain qu'on aurait vu des tweets du genre «Trudeau is so ARROGANT! Don't mess with me on my turf! Trade war!» Est-ce que le Canada pourrait vraiment se permettre une guerre commerciale contre son puissant partenaire?

Selon les dernières statistiques disponibles, le Canada a exporté pour 34,1 milliards de dollars aux États-Unis pour le mois de décembre 2016 seulement. Les importations sont de l'ordre de 29,7 milliards pour la même période. Et là vous vous dites «Oui, mais le Canada peut avoir d'autres partenaires».

Notre deuxième partenaire est l'Union européenne, chez qui on a exporté, attention tenez vous bien: 3,7 milliards de dollars en décembre. Et 4,3 milliards en importation. Oui, c'est très loin derrière les États-Unis.

Il faudrait une réorientation majeure du commerce du pays pour diminuer le poids des États-Unis sur nos marchandises. Certes, on pourrait espérer qu'un tremblement de terre nous sépare du continent américain pour qu'on parte rejoindre l'Europe et que celle-ci devient notre partenaire principale, mais les chances que ça se produise sont minimes. Et je n'ai pas envie de voir les pauvres Islandais se faire écraser par notre pays en chemin.

Et les États-Unis? Le Canada est effectivement son partenaire commercial le plus important, mais il diminue, comme le démontre ce document. Les exportations américaines au Canada sont passées de 312 milliards US en 2014 à 266 en 2016. Les importations de 349 à 278 milliards, tombant ainsi en deuxième position derrière le Mexique. Pour ceux qui ne sont pas très «chiffres», ça veut dire que beaucoup de nos emplois sont liés au commerce canado-américain. Une guerre commerciale risque de ne faire aucun gagnant, juste des perdants.

Mais au-delà des chiffres, à quel point le Canada peut-il s'opposer à la politique américaine?

Deux choses. En premier lieu, le gouvernement canadien a déjà pris position sur le décret anti-immigration, comme l'a «tweeté» d'ailleurs Justin Trudeau en mentionnant que le pays accueillera les gens peu importe leurs croyances et origines. Donald Trump le sait aussi, ne vous inquiétez pas. Deuxièmement, on ne sait pas ce qui s'est dit en privé. Bien que je doute qu'une telle discussion ait eu lieu, ce n'est pas impossible que le sujet ait été abordé et qu'ils aient convenu de ne pas en parler publiquement.

Est-ce que M.Trudeau aurait pu en faire plus? Oui, sans aucun doute. Mais je crois qu'il avait pour mission d'aller jauger le président Trump et voir ses véritables intentions. Il ne voulait pas provoquer quelqu'un de particulièrement imprévisible sur des questions essentielles pour l'avenir du Canada.

Il n'est pas non plus allé faire le fanfaron en disant qu'il approuvait la politique américaine. Il s'est bien gardé de commenter là-dessus, avec raison. Il ne faut pas avoir un doctorat en psychologie pour voir que Trudeau n'apprécie pas particulièrement son interlocuteur, mais qu'il n'a pas le choix de lui parler jusqu'aux prochaines élections. À moins d'un «impeachement»?

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