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La Corée du Nord, royaume ermite ou État chattemite?

Paradoxalement et à leur corps défendant, les médias jouent le jeu de ceux qu'ils dénoncent. Ils relayent le grand mensonge de ces bluffeurs planétaires qui se prétendent ermites alors qu'en bons bonimenteurs, ils ne cherchent qu'une chose : amuser la partie.
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On se demande souvent où trouver les clés pour décrypter la Corée du Nord. Et s'il suffisait de relire Shakespeare ? Kim Jong-un, le dictateur dodu aux manettes du pays depuis décembre 2011 disparaît-il des écrans durant un petit mois à la rentrée 2014 qu'on s'imagine aussitôt que la Tempête va déferler sur Pyongyang. Mais en fait, beaucoup de bruit pour rien. Kim III, à qui le pouvoir donne manifestement bon appétit, souffre de surpoids et a simplement subi une opération des tendons d'Achille. On attendait Mac Beth et on n'a droit qu'à Falstaff.

Fait divers dérisoire donc ? Pas tout à fait. Lorsqu'il s'agit de la Corée du Nord, un cliché fait florès : elle serait un « royaume ermite », cadenassé par l'implacable dictature des Kim, figé dans un stalinisme hors d'âge, claquemuré dans son refus pathétique d'être contaminé par le monde extérieur. Persuadé qu'il détient la vérité au nom de laquelle il lui incomberait de résister encore et toujours contre la démocratie, la libre entreprise et la circulation des hommes et des idées, le régime s'est doté d'une idéologie ad hoc, le juche (prononcer «djou-tché), qui prône l'autosuffisance, l'isolement, pour ne pas dire la claustration. En somme, pour vivre heureux, vivons cachés.

Mais ce n'est pas parce que la propagande du régime ne cesse de le claironner qu'on est obligé d'y croire. L'affaire des chevilles de Kim Jong-un en apporte une fois de plus la preuve. En fait, Pyongyang joue aux Tartuffes. Le véritable objectif de la dynastie Kim, ce n'est pas qu'on lui fiche la paix, c'est qu'on parle d'elle.

C'était déjà le cas avec Kim Il-sung, fondateur du régime et maître du pays pendant un demi-siècle (1945 - 1994). On a désormais tendance à l'oublier puisqu'il est mort avant l'apparition de l'internet et des réseaux sociaux, mais pour y parvenir, il a presque réussi déclencher une troisième guerre mondiale (la guerre de Corée, 1950 - 1953), avant de s'acoquiner avec tous les dictateurs de la planète pour faire de Pyongyang une Mecque du terrorisme. Son fils Kim Jong-il, qui lui a succédé à défaut de pouvoir tourner à Hollywood, ce qui était sans doute son rêve secret, n'a pas agi autrement. Après avoir hurlé au loup pendant une décennie, il a mis ses menaces à exécution en dotant son pays de la bombe atomique (essais du 9 octobre 2006 et du 25 mai 2009). Ruiné par l'incompétence de ses dirigeants et le poids des dépenses militaires, son pays, confronté à une épouvantable famine (1995-1997), est exsangue. Quant aux médias occidentaux, ils le dépeignent en croquemitaine sadique. Qu'à cela ne tienne. Au moins parle-t-on de lui.

Kim Jong-un a magistralement relevé le gant. Belliqueux comme son grand-père, il menace jour après jour de « noyer Séoul sous un déluge de feu ». Partisan de l'atome comme son père, il a procédé à un nouvel essai (12 février 2013) et n'en finit pas de tester ses missiles balistiques. Trentenaire dans le vent, il ne jure que par le net, s'essaye au cyber-terrorisme et se plait à laisser filtrer rumeurs et vérités comme s'il s'agissait des facettes complémentaires d'un même récit fantasmagorique. Il s'est marié, c'est vrai, mais non, il n'a pas fait fusiller son ex-girl friend. Il a précipité la chute de son oncle Jang Song-taek, corrompu et compromis avec Pékin, mais non, il n'a pas jeté ses restes aux chiens. Il s'est absenté pour cause médicale, c'est vrai, mais non, il n'a pas été renversé. Qu'on l'envisage et surtout qu'on l'espère n'est guère flatteur. Mais qu'importe tant qu'on parle de lui : il n'y a que cela qui compte.

La question qui vient alors à l'esprit est pourquoi ? Vanité ubuesque, obsession médiatique de ne pas quitter le devant de la scène ? Les Kim seraient prêts à tout pour la célébrité, quitte, comme Erostrate, à incendier le temple d'Artémise à Éphèse ? Peut-être. Mais la Realpolitik a des raisons bien plus impérieuses. La Corée, dit un proverbe local, ne serait qu'une crevette égarée parmi des baleines, la Chine, le Russie, le Japon et les États-Unis. Si ces baleines venaient à se combattre, qu'adviendrait-il de la crevette coréenne ? Moulinets militaires, innovations techniques, agressivité commerciale, les Coréens ont donc toujours cherché à se rappeler au souvenir de leurs puissants voisins pour éviter d'être considérés comme quantité négligeable et traités en marge secondaire.

Cette stratégie du faible au fort n'est pas absente au Sud qui joue de ses chaebols (les multinationales Hyundai ou Samsung) et de sa mirobolante vague culturelle pour peser sur la scène internationale. Mais au Nord, de provocations atomiques en rodomontades médiatiques, elle constitue une véritable marque de fabrique, comme si menacer, c'était exister. Et quand l'heure n'est ni aux essais nucléaires ni aux escalades verbales, il reste la menace en creux, c'est-à-dire l'absence, aussi inquiétante que l'action. Étonnant régime où une opération bénigne défraye autant la chronique qu'un tir de missile !

Mais pour Pyongyang, la menace est d'autant plus importante que le régime en vit. En 1948, au moment de la partition de la péninsule, le Nord avait tous les atouts dans sont jeu : des ressources en abondante, une industrie moderne, une main-d'œuvre qualifiée. Les gabegies staliniennes et les caprices idéologiques les ont rapidement dilapidés. Il a donc fallu faire appel à l'aide extérieure. Pendant des décennies, afin d'obtenir les subsides et surtout le pétrole dont il a un besoin vital, les Kim ont ainsi joué Pékin contre Moscou et Moscou contre Pékin. Mais depuis 1989, ce n'est plus possible. Kim Jong-il invente alors le chantage atomique. Aidez-moi ou je déclenche l'apocalypse nucléaire. Jusqu'à présent, le bluff fonctionne au point que, bon an mal an, l'économie nord-coréenne semble avoir repris.

Combien de temps durera la partie ? Difficile à dire. Tant qu'il y aura des joueurs sans doute, c'est-à-dire tant que ses puissants voisins auront intérêt à laisser Pyongyang éructer, Washington, pour justifier sa présence au Sud, Pékin, pour dissimuler ses propres turpitudes et Tokyo pour éviter la concurrence coréenne. Mais aussi tant que les médias continueront à faire échos aux fanfaronnades de la Corée du Nord. Ils ont raison bien sûr. Il faut dénoncer la tyrannie des Kim, l'incurie, l'absurdité, les camps de concentration. Mais paradoxalement et à leur corps défendant, les médias jouent le jeu de ceux qu'ils dénoncent. Ils relayent le grand mensonge de ces bluffeurs planétaires qui se prétendent ermites alors qu'en bons bonimenteurs, ils ne cherchent qu'une chose : amuser la partie.

Première biographie des trois Kim qui ont imposé sans partage leurs volontés et leurs caprices depuis trois quarts de siècles, ce livre, nourri aux meilleures sources, donne à comprendre comment la Corée du Nord en est arrivée là, entre violences endémiques, idéaux dévoyés, nationalisme exacerbé, absolutisme frénétique et terreur généralisée. En filigrane, se pose aussi la question essentielle de la « servitude volontaire » : les esclaves de la dynastie Kim sont-ils à jamais condamnés à vivre dans les fers ?

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