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Je ne sais pas ce qui s'est passé à Lac-Mégantic. Je n'ai qu'une triste vérité qui m'habite, des gens souffrent et le spectacle les avale pour nous les vomir dans la bouche. Ce spectacle, nous le demandons, nous le réclamons et nous le créons.
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Une boule de feu dans la nuit, une température infernale, une population, déchirée. Une catastrophe épouvantable, du doute et des inquiétudes. Puis la foule, des milliers de caméras, pour rapporter, d'abord, puis créer. Créer de l'émotion, du ressentiment, de la colère et une impression. Il est trop tôt pour la précision, la vérité est encore opaque, mais il faut donner l'image qu'on s'en approche. Alors on film, on point de presse et on communique, on dégage l'image de responsabilité.

Puis, il y a nous, ceux que l'on gave, une meute de téléspectateurs anthropophage, avachis par une vie qui manque cruellement de mieux. Alors on s'interroge, on cherche dans les corps fumants un sens supérieur. Incapable de se répondre, on suce la moelle des morts et on la recrache en chronique grossière.

À défaut de savoir pourquoi, on creuse le comment. On cherche un coupable, un responsable à lyncher, un bouc émissaire sur lequel on évacue une partie de la vérité. Dans tous les drames, dans toutes nos crises médiatiques, il nous faut un coupable, il nous faut une personne de qui c'est la faute.

Alors on devient guerrier, on chasse le capitaliste américain, les trains, le pétrole, le gouvernement, les éco-terroristes, le conducteur, n'importe qui; tant que ce soit simple. N'importe qui, tant que ça comble le vide. Au bout du compte, peut-être qu'on réaliserait que c'est nous, au fond du trou.

Le vide fait peur, parce qu'il est incertain. Son écho, cependant, s'articule dans des impressions de certitudes. C'est beaucoup plus confortable comme ça.

Je ne sais pas ce qui s'est passé à Lac-Mégantic, je n'ai pas la moindre idée de qui pointer du doigt dans la suite fatidique d'évènements qui ont créé ce drame. Je n'ai qu'une triste vérité qui m'habite, des gens souffrent et le spectacle les avale pour nous les vomir dans la bouche. Ce spectacle, nous le demandons, nous le réclamons et nous le créons.

Internet et les médias sociaux en frontline, on hypercommunique notre manque de sens collectif. Ce n'est pas de la solidarité que d'écouter «Tragédie Lac-Mégantic», c'est de la procuration. Parce qu'on se fout de la vie qui disparait, ce qui émeut, c'est de s'imaginer que c'est notre vie qui disparait.

À chaque drame se trouve une personne pour nous rappeler que notre Lac-Mégantic est le quotidien Irakien, à chaque drame se trouve son lot de critique pour dénoncer cette surabondance de caméras, de journalistes, cette théâtralisation de la souffrance humaine. À chaque drame sa métacommunication, cette attention médiatique qui se penche sur l'attention médiatique, pour la dénoncer ou la souligner.

Puis je suis là, le doigt pointé vers l'incendie et le bidon d'essence dans la main, un pyromane honteux. J'essaie de me convaincre que c'est nécessaire. La vérité, c'est que je ne serai qu'une voix perdue dans la multitude, une voix de plus dans le brasier incessant du drame de notre époque. Notre soif de simplicité aura eu raison du signifiant. Le confort de l'insignifiance, comme du rien qui se réverbère contre lui-même, un écho du néant.

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