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L'ABC de la religion du Canadien de Montréal: les lettres A à D

Inspiré par la bellede Benoît Melançon et pour conclure mes recherches sur la foi dans le Canadien de Montréal, j'ai rédigé mon, dont voici les quatre premières lettres.
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Inspiré par la belle Langue de puck de Benoît Melançon et pour conclure mes

recherches sur la religion du Canadien de Montréal, j'ai rédigé mon ABC de la

religion du Canadien, dont voici les premières lettres.

A comme «Âme»

À la question paradoxale posée par Lamartine «Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s'attache à notre âme, et la force d'aimer?», les fidèles de la religion du Canadien répondent par l'affirmative. Et les hagiographes de la Sainte-Flanelle savent même où la situer: «Le Canadien a perdu Carey Price. C'est une famille qui perd son âme.» (Alain Crête, Le 5 à 7, RDS, 20 mai 2014) «En 1993, comme cette année, le cœur et l'âme du tricolore, c'était un gardien vedette.» (Lio Perron, Le Huffington Post Québec, 31 mai 2014)

Dans la religion du Canadien, l'âme n'est donc ni cette chose sans trop de consistance (même si l'on a essayé de la peser) que l'on pense s'envoler au moment précis du décès, ni ce petit supplément qui s'ajouterait à la chair, aux os, aux muscles, aux bras (qu'ils soient ou non meurtris). Ici, en bonne théologie, pas de dualisme, mais la réalité de l'incarnation. Dans la religion du Canadien, l'âme est une personne, une personne tout entière, avec son corps et son esprit, un gardien de but de préférence. Comme en judaïsme, comme en christianisme, elle est principe de vie, elle est souffle (ruwach en hébreux, pneuma en grec). Elle est ce qui inspire le Canadien; elle est ce qui pousse ses joueurs vers l'avant; elle est ce qui exalte ses partisans. Elle est enfin ce qui s'attache à l'âme du Québec, ce qui la force à aimer «nos Canadiens».

B comme «Blanchissage»

Il est en religion des valeurs sûres. Ainsi la blancheur, très généralement associée au beau et au bien, au fameux kalos kagathos cher à la Grèce antique, très généralement associée à la tout aussi fameuse pureté, à la célèbre virginité chère au christianisme (même si on se demande toujours comment le sang de Jésus pourrait bien laver les péchés).

Et il n'en va pas autrement dans la religion du Canadien où la blancheur est associée à la virginité. On dit ainsi du gardien de but (ou du cerbère pour rester dans la Grèce antique) qu'il a réussi un blanchissage lorsqu'il a gardé son sanctuaire vierge, c'est-à-dire qu'il a réussi à garder son filet inviolé, c'est-à-dire qu'il n'a pas laissé pénétrer la moindre rondelle dans sa cage, c'est-à-dire qu'il n'a pas encaissé (on se rend compte qu'on n'échappe pas aux métaphores, qu'on ne fait que les emprunter a différents registres: le sexe, le zoo, la banque) ou qu'il n'a pas accordé (enfin une expression métaphoriquement neutre) le moindre but. De la blancheur comme vertu.

Et pourtant, dans la religion du Canadien, il est un moment où la blancheur devient un problème, une faute, un handicap, un mal, un péché. Car lorsque que le Canadien est lui-même blanchi, c'est qu'il s'est montré impuissant à la mettre au fond (ah le sexe, toujours le sexe), c'est-à-dire qu'il a été incapable de marquer le moindre but, ajoutant alors l'opprobre à la défaite.

Il ne reste alors aux fidèles plus qu'à espérer que le Canadien reprenne ses deux autres couleurs.

C comme «Calice d'argent»

Comme la plupart des histoires, une saison de hockey est construite selon le schéma actanciel repéré par le sémioticien Julien Greimas: un héros se voit chargé d'une quête, celle d'un objet manquant; des adjuvants viennent à son aide, tandis que des opposants lui cherchent noise; au terme de sa quête, le héros obtient l'objet convoité et le remet à son mandataire.

Bien évidemment, c'est la quête de la Coupe Stanley que chaque équipe de hockey entreprend. Une quête qui prend des allures spirituelles, car la Coupe Stanley est bien plus que la Coupe Stanley. Elle est le Saint Graal, la coupe où Jésus aurait bu le vin de son dernier repas, cette même coupe qui aurait servi à recueillir son sang alors qu'il agonisait sur sa croix.

Mais dans la religion du Canadien, la Coupe Stanley est encore quelque chose de plus, de mieux. Échappant à la mythologie pour rejoindre la liturgie, elle devient cette réalité visible et palpable, ce vase des plus sacrés dans ce catholicisme qui si fortement imprègne le Québec, cette coupe que seuls quelques élus mâles (cela vous rappellerait-il quelque chose?) sont appelés à manipuler, ce cratère dans lequel d'aucuns prétendent que du vin se transsubstantifierait en sang. Bref, dans la religion du Canadien, la Coupe Stanley devient le Calice d'argent.

Comme toutes les histoires d'amour, paraît-il, cette quête aussi finit mal, en général. Mais on peut toujours se consoler en répétant que la valeur de la quête dépasse celle de l'objet qui la motive...

D comme «Dieu(x)»

Les religions ont pris l'habitude de nommer «Dieu» l'absolu dont elles postulent l'existence. À partir de ce point commun, les avis divergent sur son identité, son genre et son nombre, sur son mode d'être, sur ses qualités et ses défauts.

Convaincus qu'il est possible de limiter les aléas d'une rencontre de hockey, de diminuer la glorieuse incertitude du sport, certains vont appeler au secours du Canadien Dieu, leur Absolu, ou d'autres absolus forcément plus relatifs: leur(s) dieu(x), les dieux du hockey, Saint-Frère-André ou Saint-Jude, le patron des causes perdues.

Mais d'autres vont chercher leur Absolu dans le Canadien lui-même, l'élevant de fait (d'autres penseront le rabaissant de fait) au rang de religion. Ce sont alors les fantômes du Forum, les mânes, les ancêtres, ces anciens joueurs d'exception dont le nombre et la liste, comme celle des disciples de Jésus, est sujette à caution.

Mais cessons de tergiverser. La religion du Canadien est fondamentalement un monothéisme et son Dieu unique s'appelle Maurice Richard. «Quand il compte, les sourds entendent», écrivait Félix Leclerc, et une Québécoise préférant rester anonyme a déposé cette prière sur le cercueil du Rocket: «Mais nous t'avons, bien malgré toi, un jour, sacré "grand dieu des glaces". / Salut Maurice! On t'oublie pas dans notre cœur de Québécois / Tu s'ras toujours numéro 9, le héros, le champion, le roi / Étoile parmi les galaxies, t'as pas l'temps d't'ennuyer au ciel, / Car dans ton coin de paradis, tu dois porter la sainte flanelle.»

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