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Mona Eltahawy: du voile à l'engagement féministe

Son livreest le prolongement logique de sa tribune publiée, qui dénonçait la misogynie fondamentale du monde arabe et qui avait fait grand bruit.
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Mona Eltahawy n'est pas seulement une journaliste engagée dans la lutte pour la liberté de l'information au Moyen-Orient, célèbre pour ses reportages au New York Times. Elle est aussi une féministe convaincue qui ose s'attaquer à ce qu'elle définit comme «le plus grand tabou du monde arabe»: la parole des femmes.

Son livre Foulards et hymens est un cri en faveur d'une grande révolution sociale et sexuelle. C'est aussi un texte qui rend hommage aux femmes arabes qui, avant elle, se sont opposées aux diktats culturels imposés par le monde arabo-musulman.

La subversion de la parole

Mona Eltahawy s'impose, se montre, s'expose presque, comme on le dirait d'une créatrice contemporaine. Son allure «glamour-artsy» ne laisse pas supposer que cette journaliste égyptienne de 47 ans est une rescapée des geôles du Caire.

Correspondante pour des médias américains, Mona Eltahawy a été en effet arrêtée, violentée et agressée sexuellement par la police après une manifestation place Tahrir en 2011. Malgré ces tragiques évènements, elle affirme plus que jamais sa féminité, avec provocation affirment ses détracteurs, force et liberté selon ses fans.

Car Mona Eltahawy, qui est retournée vivre au Caire en 2013 après un séjour à New York, est une icône de la presse, adulée outre-Atlantique et dans le monde arabe libertaire.

Femme à abattre pour les fondamentalistes, elle n'a jamais cessé ses actions en faveur de la «révolution des consciences». Son livre Foulards et Hymens est le prolongement logique de sa tribune publiée en 2013, intitulée Pourquoi ils nous détestent, qui dénonçait la misogynie fondamentale du monde arabe et qui avait fait grand bruit lors de sa publication dans le New York Times.

Dans le calme feutré d'une adresse confidentielle parisienne, nous allons à la rencontre de cette combattante, dont les armes sont les mots, le courage et l'espoir.

Combattante de la liberté

Pourquoi ce livre? Et surtout pour qui? «Pour toutes les femmes du monde arabe. Pour les femmes du monde occidental aussi, qui ont le choix, et qui ne se rendent pas compte qu'en portant un voile, elles contribuent à asservir les femmes pour lesquelles le port du voile est une contrainte. Et que ce voile cache bon nombre d'autres maltraitances».

Car Mona Eltahawy a connu, elle aussi, l'obligation du foulard lorsqu'elle a habité avec ses parents en Arabie saoudite. Elle a ôté ce voile lorsqu'elle était étudiante et a décidé qu'elle regarderait désormais le monde à visage découvert. Nous connaisssons le prix que Mona Elatahawy a payé ensuite pour son engagement. Comment vit-elle avec la peur? «La peur, mais aussi la détermination. Rien ni personne ne m'empêcheront de parler, ni d'écrire. C'est pourquoi je porte mes cheveux rouges. J'ai pris cette décision lors de mon emprisonnement. Colorer mes cheveux de manière très voyante. Une manière d'affirmer que je ne suis pas intimidée et que je suis visible.»

Le corps étendard

Et les tatouages (que Mona porte sur les avant-bras)? «Après les violences, mes bras avaient été cassés. Pendant 3 mois je ne pouvais plus écrire. J'ai réalisé que mon corps meurtri pouvait toutefois toujours être un support d'écriture pour porter des messages».

Quels symboles? «Sur mon avant-bras droit, il s'agit de la déesse Sekhmet, qui dans la mythologie égyptienne représente à la fois une guerrière, instrument de vengeance de Rê, mais qui est aussi la guérison et le foyer. Elle est surnommée "la puissante", "celle devant qui le mal tremble", la "colère de Rê" ou "la maîtresse des maladies". Et elle est souvent reconnue comme une divinité liée au féminin, gouvernant le domaine des cycles menstruels. C'est une déesse qui exprime bien la force de la femme et son universalité. Sur mon avant-bras gauche, ce sont des calligraphies qui désignent le nom de la rue où j'ai été attaquée qui en arabe signifie "liberté".»

Liberté, j'écris ton nom... Mona Eltahawy a inscrit dans sa chair ce maître mot. Liberté pour chacun et, en particulier, pour les femmes.

La lutte contre le gender apartheid

Le monde arabe est-il misogyne? «Je pense qu'on peut parler de gender apartheid (apartheid de genre), comme on a pu parler en Afrique du Sud d'apartheid entre les Noirs et les Blancs. Car il s'agit bien de cela: de séparer les hommes et les femmes. De donner tous les pouvoirs aux uns, et aucun aux autres».

La journaliste égyptienne utilise même dans son livre une formule sans appel: les hommes arabes haïssent les femmes (p.12-13): «Inutile de prendre des gants pour décrire la réalité. Nous les femmes arabes, vivons dans une culture qui nous est fondamentalement hostile, fondée sur le mépris que les hommes nous portent (...). Oui: ils nous détestent.» Et Mona Eltahawy de poursuivre, le verbe haut porté comme un étendard: «L'acte le plus subversif qu'une femme puisse commettre est de parler de sa vie comme si elle importait réellement.»

Etre féministe au Moyen-Orient

Parler de sa vie, pour faire entendre sa voix. Dans le livre, hommage est rendu à quelques grandes figures du féminisme du Moyen-Orient, qui ont émergé au début du XXe siècle: «J'ai découvert un héritage féministe propre au Moyen-Orient, un héritage qui n'était pas importé d'Occident. Je peux citer Huda Shaarawi qui a lancé le mouvement des droits de la femme en Égypte en ôtant son voile en public en 1923. Et Doria Shafik qui dans les années 1950, est entrée de force dans le Parlement égyptien à la tête d'un groupe de 1500 femmes, avant d'entamer une grève de la faim pour obtenir la libération des femmes de son pays. Ou encore Naal El Saadawi, psychiatre, écrivain et militante; Fatima Mernissi, une sociologue marocaine et la tunisienne Fatoum Elaswad...»

Monde arabe et religion musulmane

Quelle différence entre le monde arabe culturel et le monde musulman - culturel - en ce qui concerne la place qu'ils réservent aux femmes? «L'islam ne porte absolument pas le mépris des femmes en son message, ni même l'obligation du port du voile. Ce sont les hommes qui se sont emparés de la chose religieuse qui ont voulu construire cette forteresse anti-femmes. Je soutiens d'ailleurs le mouvement Musawah, né en Malaysie en 2009, qui prône l'égalité et la justice dans la famille musulmane. Ce mouvement montre qu'islam et respect des femmes n'est pas incompatible.»

Un sujet de désaccord avec Tarik Ramadan, qui, lors d'un débat télévisé, s'est opposé violemment à la journaliste égyptienne: «Tarik Ramadan a essayé de me discréditer, mais c'est lui-même qui s'est piégé par son agressivité à mon égard, car il ne pouvait pas s'empêcher de m'interdire de parler. Il incarne une interprétation rétrograde de la religion musulmane. Il porte un visage moderne, mais en fait, c'est un conservateur très antiféministe.»

Pour une révolution «de la rue à la maison»

De retour depuis deux ans dans la capitale égyptienne, quel bilan pour la révolution? Mona Eltahawy connue pour son parler vrai ne cache pas sa déception: «Pour moi, la situation politique n'a pas changé - dictature et oppression sont toujours à l'œuvre aujourd'hui.»

Alors, à quoi a servi le printemps égyptien? «À faire bouger en profondeur les mentalités. La révolution a fait émerger des consciences. Certaines femmes commencent à retirer leur voile. Une partie de la population revendique davantage de droits. Elle est en train de s'unir contre le harcèlement, par exemple.»

Le combat continue donc? «Nous avons commencé une révolution politique et sociale. Il nous faut aussi la poursuivre sur le plan sexuel. Je dis souvent que nous devons mener la révolution de la l'État à la maison, en passant par la rue.»

Quel espoir? «Ce sont les femmes qui libèreront notre pays. Sans elles, les choses n'avanceront pas. Voilà pourquoi ce livre était important pour faire entendre ma voix, notre voix.».

À ces mots, le regard n'a pas cillé, les boucles rouges ont dansé autour du visage. Le message de Mona Eltawawy a été entendu. Partout dans le monde, de nombreuses femmes se retrouvent en elle. Partout où elle intervient, dans les universités, les plateaux de télévision, elle ose la subversion d'une révolution des consciences au coeur du monde arabo-musulman. Combattante de la liberté au nom de toutes celles qui ont perdu le droit à la parole et auxquelles cette guerrière flamboyante redonne une voix.

Ce billet a été précédemment publié dans Viabooks

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