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À la recherche du scoop, ou ma vie de paparazzi à Cannes

Cannes, ce n'est pas ce que vous croyez. En ce qui nous concerne en tout cas, nous les paparazzis.
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Cannes, ce n'est pas ce que vous croyez. En ce qui nous concerne en tout cas, nous les paparazzis. Quand on est photographe, c'est un passage obligé de l'année, car toutes les stars et les people y sont. Mais ce n'est pas notre moment préféré. Il y a des endroits plus sympas et moins ingrats pour travailler.

À Cannes, les stars viennent faire de la promotion. C'est l'idéal pour les photographes officiels, avec le photocall, le tapis rouge. Mais notre business à nous, ce n'est pas ça.

Ce que l'on recherche, c'est le scoop, la photo exclusive. Celle qui sera prise quand les stars se baignent, se baladent dans l'intimité avec leur copain sur la plage, vont au restaurant; là où l'on pourra les surprendre. Un scoop, c'est une photo exclusive que personne n'a, avec une histoire intéressante.

Par exemple, si Vanessa Paradis marche toute seule sur la Croisette, zéro intérêt. Mais si ce soir, après les marches, Vanessa Paradis a envie de se détendre en dehors de Cannes, aller au restaurant avec peut-être un nouveau copain, là c'est intéressant. En général, le scoop c'est un nouveau couple, ou une série de photos sur un couple. Parfois ça peut être plus vague; une photo marrante de quelqu'un qui tombe d'un bateau en en descendant. Mais le problème à Cannes, c'est que les stars sont en promotion, elles travaillent, donc elles n'ont pas beaucoup de temps pour le farniente et l'intimité. Et cela complique considérablement notre travail.

Le scoop à Cannes, ça se passe «hors cadre»

À Cannes, les paparazzis ne font pas vraiment le même boulot que celui qu'ils font le reste de l'année. On essaie quand même de faire du scoop, on passe nos journées à arpenter la Croisette, à faire les cent pas du port jusqu'à l'hôtel Martinez, à aller dans les aéroports chercher les premières photos avant que les stars n'arrivent dans la partie officielle. Mais quand on se poste à l'aéroport et que l'on se retrouve tout de suite en concurrence avec plein d'agences, ça nous casse le moral.

Certaines stars se mettent un peu à l'écart dans des hôtels deux ou trois jours avant, et là, avant la promotion, il y a une possibilité pour un scoop. Ou bien ça peut se passer quand les stars vont dans les soirées; comme ce n'est plus de l'officiel, elles se lâchent un peu, il peut y avoir quelques opportunités.

Paradoxalement, ce ne sont pas forcément les stars de cinéma et les people sur tapis rouge qui sont les plus intéressants pour nous. Il y a beaucoup de people de téléréalité ou de type Paris Hilton qui n'ont rien à voir avec le cinéma et qui viennent pour se montrer; en général, l'argent ces dernières années, nous l'avons fait grâce à ces people-là qui jouent le jeu. On va gagner davantage d'argent grâce à une Kendall Jenner qui fera la fête en boîte, qu'avec un grand acteur comme Robert de Niro.

À Cannes, c'est donc rare de se retrouver exclusif sur un gros scoop. J'ai fait Cannes pendant dix ans, de 2006 à 2015, ça m'est arrivé quelques fois, mais il s'agissait de soirées ou de restaurants, parfois en dehors de Cannes. C'était totalement «hors cadre».

Par exemple, je me souviens, c'était en 2010. Une année très calme, il n'avait pas fait beau, c'était l'année où Javier Bardem a gagné le prix d'interprétation masculine. Tous les photographes étaient sur les dents parce qu'on n'avait pas fait grand-chose, et j'ai sauvé mon festival en faisant une photo qui n'était pas prévue, en trente secondes. C'était la série de Javier Bardem avec Penélope Cruz. Il avait eu la palme, il était sur une terrasse, elle l'a rejoint et ils se sont embrassés, il y avait son prix d'interprétation à côté d'eux, c'était une belle photo. Ça s'est passé très rapidement, un peu par hasard. Il y a eu une double-page dans Paris-Match en France, quatre pages dans Hola! Espagne, ça avait fait pas mal d'argent.

Et ça s'est passé comme ça; Javier Bardem s'est échappé d'une soirée officielle pour aller dans une soirée un peu moins officielle de Canal+, il s'est mis sur la terrasse, j'ai vu la voiture de Penélope Cruz se garer devant, elle est arrivée et j'ai pris la photo. C'est alors que le garde du corps m'a vu et ils ont refoulé tout le monde. J'étais le seul à avoir pris la photo...

Les prix des scoops ont chuté

Il y a quelques années, les scoops valaient plus chers, il y avait plus d'argent. Et tout dépend si c'est un scoop international ou national. S'il est national, on va peut-être gagner pas mal d'argent, mais sur un seul pays. S'il est international, on gagnera peut-être un peu moins au niveau national, mais sur l'ensemble des pays on s'y retrouvera financièrement.

J'avais réussi une belle série sur Brad Pitt et Angelina Jolie à l'époque où les rumeurs de séparation couraient. On ne les avait pas vus ensemble depuis longtemps, et Angelina était de passage en Europe pendant que Brad Pitt était en promotion à Cannes; elle avait fait un saut sur la Croisette pour une seule soirée, ils étaient allés au restaurant, c'est dans cette intimité que je les ai pris en photo. En première vente, la série s'est vendue 60 000 dollars.

En France, un scoop français ne vaut pas grand-chose en ce moment, les prix ont chuté. Quand on vend une série 15.000 euros, on est content. Les journaux sont plus regardants qu'autrefois en raison des procès, alors qu'avant lorsqu'on faisait une série, on était sûr de la vendre.

Des journées marathon de 8h du matin jusqu'à... pas d'heure

À Cannes on se réveille tôt, on essaie d'être à 8h sur place, parfois plus tôt si on a eu des informations. Après on enchaîne toute la journée, on ne sait pas sur quoi on va tomber, on se promène, on va à la pêche aux infos. On tourne devant les hôtels, mais les gens passent souvent par derrière. Notre chemin type, c'est de l'hôtel Martinez, celui qui est le plus au bout de la Croisette, jusqu'au port qui est derrière le palais des festivals, ce sont les deux extrémités de la Croisette; et là, on fait les cent pas. Parfois on remarque un attroupement, par exemple des fans devant une bijouterie...

Les journées peuvent être longues, sans pause-déjeuner; on sait à quelle heure on commence, mais pas à quelle heure on finit. Je me souviens d'avoir vu le jour se lever, quand Lindsay Lohan faisait la fête et que j'attendais qu'elle paraisse.

Il y a une seule soirée où l'on est vraiment détendus, où l'on peut dîner entre collègues; c'est la soirée de gala de l'amfAR au Cap d'Antibes. L'amfAR, c'est une soirée officielle et on sait que tous les gens qui sont à Cannes y vont. Comme c'est officiel, ça ne nous concerne pas.

Nos informateurs? Les fans, les réseaux sociaux, la débrouille... nos yeux avant tout

Qui nous informe? Les admirateurs par exemple, mais pas vraiment les gens dans les hôtels, car ils sont très occupés par leur travail, et ce sont des hôtels prestigieux, ils doivent garder une certaine confidentialité. Mais ils peuvent aller discuter au café du coin le matin, et si on va prendre un café ou bien déjeuner au même endroit, on peut récolter des informations.

Mais nos informateurs, ce sont avant tout nos yeux, ce qu'on voit, ce qu'on capte, les entourages des stars, les chauffeurs, les gardes du corps. Par exemple, Blake Lively utilise toujours le même garde du corps quand elle est en Europe. Quand je le croise à Cannes, je sais qu'elle est là.

Les agences avec qui on travaille peuvent aussi avoir des informations. Mais c'est rare, parce que Cannes, c'est un peu la débrouille. Il faut parler aux gens, aux collègues, ou vérifier les réseaux sociaux. Twitter, Instagram, Facebook, c'est pas mal pour savoir qui est à Cannes en ce moment, car on ne peut pas tout savoir. Si quelqu'un annonce qu'Angelina Jolie est là, on essaie de la croiser.

À Cannes, il y a un avant et un après réseaux sociaux

Justement, les réseaux sociaux... Avant les réseaux sociaux, il y avait plus de travail. Aujourd'hui, c'est difficile de garder un sujet exclusif à Cannes. L'année dernière j'étais sur un sujet qui était exclusif au début, et soudain deux admirateurs ont publié sur Twitter que Rihanna était sur telle terrasse, on s'est retrouvé à 15 devant. On se fait piquer le boulot par les fans; car les gens qui vont à Cannes à cette période, ce sont des gens qui viennent spécifiquement pour voir des stars, ils ne veulent rien rater, ils sont tous sur les réseaux sociaux.

À Paris par exemple, si deux cents personnes croisent Ben Affleck dans la rue, il y en a peut-être un qui va penser à poster un tweet sur lui, et encore, s'il l'a reconnu... À Cannes, si cent personnes croisent Ben Affleck, et si les cent personnes sont sur Twitter, les cent vont twitter l'information!

Ce qui a changé aussi, c'est qu'il y a beaucoup plus de concurrence. Avant, les agences étrangères n'envoyaient pas leurs paparazzis, ça restait franco-français au niveau de la planque. Mais ils ont vu qu'il y avait des photos à faire, les Anglais et même les Américains viennent, alors qu'ils ont beaucoup plus de stars chez eux...

Il y a aussi moins d'argent. Et c'est dur, 10-12 jours de marathon. S'il pleut les trois premiers jours, Cannes est fini, les gens se passent le mot et les stars et les it-girls ne descendent pas. Cette année j'ai décidé pour la première fois depuis 10 ans de ne pas faire Cannes, parce que ce n'est pas rentable, je préfère me concentrer sur mes sujets à Paris. Pourtant, tous mes collègues y sont.

Certes, il y a toujours un moyen de tirer son épingle du jeu. À l'époque où Kristen Stewart s'était plus ou moins séparée de Robert Pattinson, ils jouaient un peu au chat et à la souris, et j'avais réussi à les surprendre à une terrasse, ça s'était vendu, et ça avait rentabilisé mon festival. Car on ne demande pas à faire un scoop tous les jours, il suffit d'en faire un bon et ça nous sauve le festival. En général, on arrive plus ou moins à le sortir.

La dernière chose qui a changé, ce sont les photos que l'on envoie au plus vite pour faire des ventes. Du temps des appareils photo argentiques, un coursier emportait nos pellicules qui partaient par l'avion Nice-Paris vers les agences, elles les développaient durant la nuit et les plaçaient dans les journaux pour une parution dès le lendemain matin. Aujourd'hui, avec le numérique, on peut envoyer les photos immédiatement avec les transmetteurs sur les boîtiers. Et Cannes, ces dernières années, est devenu une course stressante à qui travaillera le plus vite.

Et si nous n'y étions pas obligés, en fait, Cannes, on n'y descendrait pas.

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