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Comment j'ai fini par aimer ce corps de 185 livres

Un soir que je n'arrivais pas à m'endormir, j'ai décidé que j'allais devenir maigre. Dès le lendemain matin, je me suis mise au travail, et j'ai converti mon amour propre en une série de chiffres concrets que je pouvais maîtriser. J'ai fait une liste des graisses et des calories que j'ingurgitais, et reporté méthodiquement dans un carnet à spirales jusqu'à la moindre miette.
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Comme beaucoup de femmes, j'ai longtemps réduit mon corps à une série de statistiques: mon poids, la taille de mes robes, les calories, les glucides, etc. Mais cela n'a pas toujours été le cas. D'ailleurs, la première fois que j'ai pris conscience du rôle que les kilos allaient jouer dans ma vie, c'était plutôt une question de vocabulaire. J'avais 10 ans et j'étais bien en chair. À l'école, pendant la récré, les allusions ont commencé. Elles n'étaient pas très recherchées - "Eh, la baleine!", "Ouh, la grosse!", "On dirait une vache..." - mais elles allaient droit au but.

Un soir que je n'arrivais pas à m'endormir, j'ai décidé que j'allais devenir maigre. Dès le lendemain matin, je me suis mise au travail, et j'ai converti mon amour propre en une série de chiffres concrets que je pouvais maîtriser. J'ai fait une liste des graisses et des calories que j'ingurgitais, et reporté méthodiquement dans un carnet à spirales jusqu'à la moindre miette. Résultat: en quelques mois, j'avais perdu neuf kilos et les gens commençaient à me regarder différemment. Je me souviens qu'au tout début de mon régime, j'étais allée dans une fête foraine avec un garçon que je trouvais mignon, le copain d'une copine. Il s'était moqué de moi parce que je me baladais avec mon carnet, et que je n'avais pas pris de glace avec les autres. Quand je l'ai revu sans mes kilos en trop, il m'a dit que j'étais canon. C'était la première fois qu'un garçon s'intéressait vraiment à mon physique. Le message était clair: pour être jolie, il fallait être mince. Et je voulais être jolie.

Après ça, j'ai commencé à me trouver horrible sur les photos et à envier les autres filles, avec leurs longues jambes, leur ventre plat et leurs bras menus. J'ai essayé les régimes sans glucides, sans graisses et sans sucres, et je me suis mise à dialoguer intérieurement quand je passais à table: "Ne mange pas cette tranche de pain." "Oh, juste une seule. Ça ne peut pas me faire de mal..." "Une seule, non, mais si tu en manges sans arrêt, ça te fera grossir." Et ainsi de suite, jusqu'à ce que je finisse généralement par manger ma tranche de pain en me traitant de tous les noms.

Quand j'avais une vingtaine d'années, alors que j'étais en train de me séparer d'un type qui ne cachait pas son attirance pour les autres filles, je me suis regardée dans la glace et je me suis dit que j'en avais assez. Finis les régimes draconiens, les conversations avec moi-même, les filles à la beauté inaccessible. J'ai soulevé la lunette des toilettes, j'ai inspiré profondément et je me suis enfoncé un doigt dans la bouche. C'était peut-être la seule solution. Je m'étais toujours dit que je ne serais jamais victime de troubles alimentaires - j'étais bien trop mûre et raisonnable pour ça - mais j'en avais ma claque de passer mes journées à faire le calcul de tout ce que je mangeais. Et tout ça pour rien, puisque ces filles aux jambes interminables, au ventre plat, et aux bras menus seraient toujours plus désirables que moi.

Et puis je me suis immobilisée. Je me suis vue, penchée sur les toilettes, une fille fragile qui n'avait aucune confiance en elle. À cet instant précis, j'ai pris une décision, comme quand j'avais dix ans et que je n'arrivais pas à m'endormir. Je me suis mordu le doigt et j'ai décidé de changer le regard que je portais sur moi. Ça n'a pas été facile mais j'ai fini par me forcer à changer certains comportements: j'ai jeté ma balance et arrêté de compter les calories, les graisses et les glucides. De porter un regard négatif sur mes photos, et de m'interroger sur ce que je pourrais améliorer. Je me suis concentrée sur ce qui me plaisait vraiment: ce gros cul, ces larges hanches et ces cuisses de marathonienne. J'ai aussi appris à ne plus me préoccuper du regard des hommes. Notamment en sortant avec des types qui avaient sincèrement l'air de me trouver belle. Mais le plus dur a été de croire ce qu'ils me disaient, et de me rendre compte que je n'avais pas besoin d'eux pour me sentir sexy ou sûre de moi.

Quelques années ont passé depuis la scène des toilettes, et deux décennies depuis mon premier régime mais je n'ai bien sûr pas complètement changé. L'autre jour encore, quand j'ai lu que Keira Knightley avait été la cible de commentaires désobligeants parce qu'elle "avait l'air anorexique", ma première réaction n'a pas été de la plaindre, mais de l'envier. Et quand, récemment, le médecin m'a dit combien je pesais, j'ai eu tellement honte que je suis allée consulter ailleurs pendant un moment. Sauf qu'aujourd'hui, quand je réagis de la sorte, je me remets en question et j''essaie de ne pas fantasmer sur la minceur idéale.

Quant aux chiffres, je n'ai jamais réussi à m'en débarrasser totalement. Pour information, voilà où j'en suis: je pèse 85 kilos et je fais du 42, voire du 44. Aujourd'hui, j'ai bu le tiers d'une bouteille de blancs d'œufs, avec une tranche de pain complet et une salade aux crevettes. J'ai couru une demi-heure. Ce soir, je pense me faire trois parts de pizza, avec deux verres de vin, parce que la semaine a été dure! Mais au-delà de ces statistiques, je sais désormais que je suis bien davantage qu'une série de chiffres dans un carnet à spirale.

Guisela Rhein, volley et vélo

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