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Les bonnes manières chinoises

Pékin, Chine. Avachi sur un banc d'ébène au bord d'une rue dérobée de l'immense capitale, je laisse trotter un regard las des passants à leur reflet distordu dans le goulot de ma Tsingtao.
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Pékin, Chine.

Avachi sur un banc d'ébène au bord d'une rue dérobée de l'immense capitale, je laisse trotter un regard las des passants à leur reflet distordu dans le goulot de ma Tsingtao.

Lorsqu'après douze heures d'un vol coquet, assis à côté des latrines et au milieu d'une chorale de bébés en psychose, je me suis lancé en sol chinois, s'était pour me frotter à une populace douce comme un rouleau de barbelés.

Ça a commencé à l'aéroport, avec les voyageurs qui jetaient des valises par terre, pensant d'abord avoir saisi la leur sur la ceinture ; puis, c'était dans les files d'attente coupées sans vergogne, et la bousculade pour pénétrer les wagons du métro.

On poussait presqu'à deux mains sur mon dos, alors que je servais malgré moi de bouclier humain devant une petite vieille, qui menaçait à chaque instant de s'effondrer sur elle-même comme une tour de Jenga.

La plupart des gens que j'interpellais gentiment pour des indications balayaient mon sourire du revers de la main ; on fixait par ailleurs sur mes tatouages une expression que je réserve personnellement à mon premier extra-terrestre.

C'est ainsi que je suis atterri sur ce banc de bois, consolé par une bière froide, et bercé par l'étonnante trame sonore du magasin adjacent, qui a opté, par rancoeur ou par autisme, pour une seule chanson jouée à journée longue.

"Il faut différencier les Chinois de Pékin et ceux de la campagne", m'explique un photographe Français expatrié ici. "En dehors de la capitale, les gens sont très gentils".

Kevin m'apprend que les bonnes manières chinoises ont tout de même mobilisé le gouvernement : les autorités ont publié le Guide du touriste bien élevé, destiné à ne plus laisser leurs ressortissants ternir l'image nationale à l'étranger.

Long de 64 pages, il indique notamment aux lecteurs qu'il n'est pas délicat de tenir un bébé à bout de bras pour qu'il dépose un numéro deux par terre en public, ni de cracher sur le sol d'un autobus.

Mea Culpa.

...

Ce matin, reposé, j'entame l'exploration de Pékin en demandant à quelques personnes où se trouve le Chinatown.

Mon humour subtil ne trouvant pas preneur, je me poste sur un petit muret de Chine, cousin éloigné de la Merveille du monde, et d'où je puis apprécier la profondeur incroyable de la place Tian'anmen.

Seul dans une mer de touristes affublés de ces accessoires abracadabrants dont les Chinois ont le secret, comme la casquette à visière panoramique de 12 pouces, je recrée en imagination les événements du Printemps de Pékin, où l'armée avait ouvert le feu sur une foule d'étudiants, intellectuels et ouvriers dénonçant la corruption et exigeant une réforme démocratique.

Bien en vue au-dessus de la Porte de la Paix Céleste, entrée de la Cité Interdite, trône le visage serein de Mao Zedong, qui a proclamé ici la République Populaire de Chine, et dont les programmes sont responsables d'innombrables arrestations, humiliations publiques et disparitions.

Vous pouvez d'ailleurs acheter des assiettes à l'effigie de celui qui a orchestré une famine tuant entre quinze et trente millions de Chinois.

C'est la vie.

Jour après jour pourtant, des milliers de personnes font la file pour lui rendre hommage, déposant dans son mausolée des fleurs achetées à l'entrée, et admirant le spectacle lugubre de son cadavre embaumé.

- "Est-ce qu'il est en 3D ?", demandai-je au préposé à l'accueil, qui me fit une démonstration magistrale d'indifférence.

Momifier les despotes est une mode au goût du jour, et Mao a rejoint dans l'immortalité postiche d'autres bonshommes de marque : Staline, Lénine, Ho Chi Minh et Kim Jong-Il.

Lorsque la longue file où je patiente finit de sinuer devant l'édifice, et qu'elle m'emmène au-delà des fleurs déposées mécaniquement par la foule, j'aperçois finalement le corps pétrifié de celui qu'on surnommait "le Grand Timonier". Avec la tête légèrement inclinée vers les pèlerins, il est en parfaite position pour une selfie. Toutefois, comme il est interdit de s'arrêter de marcher devant la tombe, que AK-56 des gardes ont l'air plus tangibles que des "j'aime", et qu'entre rigolo et offensant il y a une frontière que le backpacker se doit de connaître, je passe mon tour.

...

Pour clôturer mon court séjour dans cette contrée spéciale, et pour remplacer la poussière accumulée dans ma bouche (la pollution de l'air est impressionnante), je traque un boui-boui qui se réclame du meilleur canard laqué en ville.

Perdu dans les Hutongs, les dédales historiques de maisons traditionnelles, assis devant un florilège de saveurs puisées à même la source de l'authenticité, je suis renversé par une pensée soudaine : j'en mange aussi du bon à Montréal. Jamais dans un décor aussi parfait, ou un contexte aussi unique, mais je ne trouve pas le canard de Pékin meilleur à Pékin. Et pour le savoir, il me fallait venir jusqu'ici.

Êtes-vous heureux au Québec ? Faites le tour du monde pour le savoir.

À suivre...

Drapeau chinois sur la place Tian'anmen

Pékin

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