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Entrevue avec Hans Blix: «Les États-Unis ne sont pas la police mondiale»

Si une intervention militaire a pour but de "punir" Assad afin de satisfaire l'opinion publique avant même d'avoir vu les rapports des inspecteurs de l'ONU, ce sera malheureusement un bien triste jour pour le droit international.
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Hans Blix était responsable des inspecteurs chargés d'enquêter sur les stocks d'armes de destruction massives de l'Irak, en 2002, en tant que président de la Commission de contrôle, de vérification et d'inspection des Nations unies, et il a également dirigé l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) de 1981 à décembre 1997. Auparavant, il a été ministre des Affaires étrangères de la Suède (1978-79). Lundi dernier, le 26 août, il s'est entretenu avec notre correspondant Nathan Gardels du Global Viewpoint Network.

Nathan Gardels: En vous basant sur vos expériences antérieures et ce que vous avez pu observer depuis quelques jours, croyez-vous que les renseignements des agences occidentales concernant l'utilisation d'armes chimiques par le régime Assad sont crédibles et fiables?

Hans Blix: Tout semble indiquer qu'il y a bel et bien eu utilisation d'armes chimiques, et les indices circonstanciels semblent pointer dans la direction du régime Assad qui serait responsable de l'utilisation de ces armes.

Néanmoins, et puisque les gouvernements occidentaux ont fait appel aux Nations unies pour qu'une inspection soit effectuée -- ce que la Syrie a accepté et des inspecteurs sont présentement déployés sur le terrain --, nous devrions tous attendre que ces inspecteurs produisent leurs rapports avant de passer à l'étape suivante, quelle qu'elle soit.

Ce que je constate en ce moment et que j'ai déjà vécu auparavant, c'est que la dynamique politique s'est emballée et devance l'application régulière des procédures normales.

Gardels: Faites-vous référence à l'Irak à l'époque du président Bush fils?

Blix: En quelque sorte. À l'époque, les Américains et leurs alliés avaient réclamé une inspection pour découvrir l'existence d'armes de destruction massive, et à l'époque, toujours, ils avaient déclaré "au diable l'inspection, nous avons assez de preuves en nous basant sur nos propres renseignements pour passer à l'action. Nous sommes la police mondiale, et nos électeurs réclament une action immédiate!"

Je suis en désaccord avec l'affirmation des États-Unis voulant qu'il soit "trop tard", désormais, pour espérer la collaboration de la Syrie. De plus, c'est une bien piètre excuse pour justifier une action militaire.

Pas plus tard qu'en mars dernier, l'occident se disait satisfait des inspections concernant l'utilisation d'armes chimiques. Pourquoi, soudainement, ne peuvent-ils plus faire preuve de patience? Dans un mois, lorsque des prélèvements tissulaires fiables auront été effectués, nous pourrons déterminer avec précision quelles armes chimiques ont été utilisées et qui possède de telles armes.

Gardels: À cette différence près que c'est maintenant Barack Obama qui joue le rôle de policier mondial, et non George Bush?

Blix: En effet. Il était le seul, il n'y a pas si longtemps, à parler de légalité internationale, ce qui m'a rassuré. Malheureusement, il semble que le climat politique interne aux États-Unis le pousse à agir d'une façon que nous avons déjà pu observer.

Le premier ministre britannique David Cameron ne semble pas trop concerné par la légalité internationale, et, contrairement à l'Irak, les Français non plus.

En ce qui les concerne, pour le moment, un acte criminel a été commis et ils croient qu'ils doivent maintenant passer à l'étape des représailles, ce qui ne fait aucun sens à mon avis, car je ne vois pas contre quoi ils veulent réagir. Les armes, quelles qu'elles soient, n'ont pas été utilisées contre eux. Ce devraient être les rebelles qui crient aux représailles.

Si l'objectif est de faire cesser des infractions aux lois internationales et de mettre en garde les autres nations qui possèdent des armes chimiques, une action militaire avant même d'avoir reçu le rapport des inspecteurs des Nations unies n'est pas la bonne façon de procéder.

C'est donc une question de jouer le rôle de police mondiale et non pas de faire respecter les lois internationales.

Gardels: Est-ce que les agences de renseignements occidentales savent où se trouvent les armes chimiques? Sont-elles vulnérables? Est-ce qu'une frappe aérienne serait envisageable?

Blix: Eh bien!, les Israéliens savent où elles se trouvent, mais attaquer ces stocks avec des missiles cruise, du moins c'est ce que je comprends de la situation, a le désavantage de risquer de voir ces agents chimiques se répandre autour du site.

Gardels: Quelles seraient les implications d'une nouvelle attaque menée par les États-Unis et ses alliés sans l'accord des Nations unies? Il y a eu le Kosovo, l'Irak, la Lybie, et maintenant, il semble que la Syrie s'ajoutera à la liste.

Blix: Au Kosovo, l'intervention militaire était basée sur l'approbation de l'OTAN, mais ce n'était pas suffisant. Selon moi, l'approbation de l'OTAN n'est pas suffisante en termes de droit international. L'approbation du Conseil de sécurité est absolument nécessaire, à mon avis.

Dans le cas de l'Irak, l'administration Bush a complètement fait fi des Nations unies. Ils sont passés à l'action avec l'aide de la Grande-Bretagne et des quelques autres alliés, et ils ont fait preuve d'une attitude totalement méprisante à l'égard des Nations unies.

Je me souviens à quel point on s'est moqué de John Kerry, qui était alors sénateur et qui est aujourd'hui Secrétaire d'État, lorsqu'il a déclaré que les États-Unis devraient attendre le rapport d'inspections des Nations unies avant de s'engager dans une action militaire.

Dans la foulée de la guerre en Irak, le président Obama, dans son discours pour le prix Nobel de la paix, a lui-même dit qu'aucune action militaire internationale ne devrait être prise sans l'accord du Conseil de sécurité de l'ONU. Les temps, semble-t-il, changent, à n'en point douter.

Quant à la Libye, il y a eu une résolution du Conseil de sécurité, mais elle a été interprétée de façon très large et détournée de son intention de protéger les civils lors d'une attaque imminente visant à renverser le régime Kadhafi.

Gardels: Mais tout le monde sait que les Russes et les Chinois n'approuveront jamais une intervention militaire contre la Syrie, alors pourquoi se donner la peine de passer par les Nations unies?

Blix: Les Russes et les Chinois ont déclaré qu'ils exigent "une inspection juste et professionnelle" en Syrie. Les Iraniens ont aussi accepté ces termes, et ils ont beaucoup en jeu dans la situation actuelle. Ce sont après tout les Iraniens qui ont le plus souffert, au cours de l'histoire, de l'utilisation d'armes chimiques lors du conflit qui les a opposés à l'Irak sous Saddam.

Ils sont loin d'approuver l'utilisation d'armes chimiques par leurs amis de Damas.

De mon point de vue, il est loin d'être impensable d'obtenir une condamnation unanime de la Syrie par le Conseil de sécurité, incluant la Russie, la Chine et l'Iran, si les inspections démontrent que les soupçons étaient fondés.

Gardels: Néanmoins, ils n'approuveraient sûrement pas une intervention militaire?

Blix: Il est vrai que la Russie et la Chine n'accepteraient pas une intervention militaire. Mais prenons un instant pour nous poser la question suivante: «Quel genre d'intervention militaire est envisageable et quelles en seraient les conséquences réelles?» Une attaque au missile sur les stocks d'armes chimiques en Syrie n'aurait que peu ou pas de résultats significatifs.

Souvenez-vous des attaques punitives au missile cruise du président Clinton, en 1998, qui visaient des camps d'entraînement en Afghanistan et une supposée usine de fabrication d'agent neurotoxique à Khartoum, au Soudan. Les attaques en Afghanistan n'ont absolument pas changé la détermination d'Al Qaida et celles de Khartoum étaient une erreur totale; il s'agissait d'une usine pharmaceutique.

Si une intervention militaire a pour but de «punir» Assad afin de satisfaire l'opinion publique avant même d'avoir vu les rapports des inspecteurs de l'ONU, ce sera malheureusement un bien triste jour pour le droit international.

Guerre en Irak

L'utilisation d'armes chimiques dans les guerres

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