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Musulmane en Occident: comment je me suis affranchie des traditions

S'il y a bien une chose où j'excelle, c'est dans le mensonge.
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S'il y a bien une chose où j'excelle, c'est dans le mensonge. J'ai eu le temps de m'exercer: j'ai grandi au Royaume-Uni, dans une famille pakistanaise musulmane traditionaliste. J'ai menti pour la première fois à sept ans, à Mme Longmeure, la dame à la peau blanche dont je rêvais d'être la fille. Elle se mettait du Chanel et m'intimidait beaucoup avec ses longs ongles vernis.

«À Noël, Père et Mère nous ont emmenés, mon frère Kevin et moi, à Los Angeles, et c'était divin. En fait, mon frère s'appelle Khurram, et on avait passé nos vacances dans la chaleur putride de Karachi avec mes 70 cousins, sur les toits, à faire voler nos cerfs-volants et à boire des Lassis dans des boîtes de conserve. Je mentais aux Anglais parce que je voulais être comme eux. Mais je ne me suis pas arrêtée là. J'ai aussi menti à ma famille.»

«Je mentais aux Anglais parce que je voulais être comme eux»

«Abbu ["papa" en ourdou], je vais participer à un débat après l'école, sur l'objectification des femmes dans les médias. J'y présenterai des arguments en faveur de la décence.» Il n'y avait aucun débat. C'était mon premier rendez-vous avec un garçon. Je savais que si je disais la vérité à mon père, il n'y aurait plus de rendez-vous, plus de lycée et plus de liberté. Ils me feraient probablement avaler de force un tube d'aspirine avant de m'enfermer dans un sac-poubelle, pieds et poings liés. On me conduirait, à moitié folle, à l'aéroport - «Un aller simple pour le Pakistan, s'il vous plaît!» - et c'est un Pakistanais du nom Mr. Khan qui me ferait lentement émerger en s'activant entre mes cuisses avant de m'apprendre que j'étais désormais son épouse.

Heureusement, ce n'est pas ce qui s'est passé. Mais j'étais Pakistanaise et musulmane, et je n'avais pas le droit de parler aux garçons, encore moins de sortir avec eux. Je devais dissimuler les courbes de mon corps et celles de mon esprit. Je voulais être astronaute, mais on me disait que les filles n'allaient pas dans l'espace. Elles étaient délicatement enveloppées dans leurs robes, comme des cadeaux de Noël, à préparer des biryanis délicieusement parfumés pour leurs maris. Les biryanis, j'aimais juste les manger, mais plus j'en mangeais, plus mon cul devenait énorme et plus on me disait que personne ne voudrait d'une "grosse bouboule". Car le mariage est l'unique raison d'être des Pakistanaises.

«Passer d'une culture à l'autre était un exercice périlleux»

Quand la culture du pays dans lequel vous grandissez encourage l'individualité et l'indépendance, et que celle de votre famille repose sur la conformité et la tradition, vous vous sentez piégée dans le gouffre qui sépare les restrictions de la liberté. Passer d'une culture à l'autre était un exercice périlleux. Mes mensonges me protégeaient.

On m'a envoyée étudier dans un collège britannique, mais mes racines culturelles étaient celles de mon foyer. Quand Ammi ("maman" en ourdou) m'a dit que j'aurais mes règles à 12 ans, elle ne m'a jamais expliqué pourquoi, sauf que c'était un autre inconvénient de la féminité, et que c'était un passage obligé pour pouvoir, un jour, rendre un homme très, très heureux. Bien entendu, le message était différent lors de mes cours d'éducation sexuelle. Miss Hamilton avait enfilé un préservatif sur une banane devant toute la classe, et elle nous avait expliqué les tenants et les aboutissants de la reproduction animale. Je n'aurais jamais pu dire à mes parents ce que j'avais vu au collège. Ils m'auraient frappé avec la banane avant de me la faire manger, pendant que je me repentais de mes péchés.

Mes parents étaient venus en Occident pour les diplômes, les institutions démocratiques et les dentistes aux souliers vernis. Ce qu'ils n'avaient pas prévu, c'était les drogues, la musique et les copines ivres mortes qui apprenaient à leur chère fille comment bien tailler une pipe. J'aimais ma famille, mais j'avais aussi envie d'être libre.

«Mes parents étaient venus en Occident pour les diplômes, les institutions démocratiques et les dentistes aux souliers vernis»

Quand mes copines blanches revenaient de boîte en me disant qu'elles avaient roulé des pelles pendant des heures, et qu'elles n'avaient pas tenu compte des conseils de Mrs. Hamilton sur la façon d'habiller une banane, je me faisais du souci. J'aspirais à une autre forme de liberté. J'avais besoin de prendre du recul. Je me suis inscrite en fac le plus loin possible de chez moi, et j'y ai rencontré Brendan, un barman irlandais catholique, mon premier grand amour. Je n'avais plus besoin de cacher qui j'étais. L'amour de Brendan était absolu.

Avec ma famille, il était assorti de conditions. Le jour où Abbu a découvert des photos de sa fille en bikini, dans les bras d'un amant irlandais, son cœur s'est mis à battre la chamade, comme un machli ("poisson" en ourdou) à l'air libre. «Ma fille est une playmate!», s'est-il écrié en larmes. «Nadia, le mariage, c'est l'union de deux familles, pas de deux personnes.» Il a déchiré la photo, jeté la moitié avec Brendan, et m'a interdit de le revoir. Puis il s'est mis à s'occuper de mon mariage.

«Nadia, je t'ai acheté un réveil en or», m'a dit son comptable, après m'avoir demandé de m'arrêter pendant une leçon de conduite. «Il fait tic-tac, comme ta beauté. Alors, dis-moi: lequel de mes fils veux-tu épouser ? Tu as le choix, j'en ai trois.» Il s'est mis à me décrire les atouts de chacun de ses prodiges. Mais je ne me voyais mariée à aucun d'eux. Je ne pouvais pas passer Ie reste de ma vie à me conformer à l'idée que mon futur mari aurait de moi: une épouse délicate, obéissante, qui faisait de parfaits chappattis. Je savais que je ne serais jamais cette femme-là, mais j'ignorais ce que je voulais vraiment être.

C'est en me mettant à écrire l'histoire de ma vie que je me suis rendu compte que j'étais pleine de contradictions. Empêtrée dans mes mensonges, j'ai commencé à démêler l'écheveau sur le papier. Je mentais parce que je ne pouvais faire confiance à personne: ni à ma famille, ni à mon entourage, et encore moins à moi-même. C'était épuisant, je me sentais très seule. Je passais tellement de temps à faire croire que j'étais libre, et que je ne faisais rien qui puisse déshonorer ma famille, que la liberté et l'honneur m'étaient interdits.

J'avais passé le plus clair de ma vie à «jouer un rôle». Parfois sous une burqa, parfois en bikini, essayant à la fois de savoir qui j'étais et de me cacher, mais sans jamais pouvoir me poser. Ce n'est qu'en montant sur scène pour raconter mon histoire que mon «rôle» a gagné en authenticité. En partageant ce qui m'était arrivé, j'ai cessé d'avoir besoin de mentir.

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