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Niqab et Kalachnikov: le djihad au féminin, face cachée de l'État islamique

En projetant une image de la participation volontaire de tous les segments de la société dans leur combat, l'on comprend pourquoi la féminisation du mouvement jihadiste est un élément essentiel dans la propagande de l'organisation.
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Depuis le déclenchement du Printemps arabe, la condition des femmes a connu une dégradation catastrophique en Syrie.

Aujourd'hui dans un quart des familles déplacées le chef de famille est une femme, ce qui pousse les organismes de défense des droits humains à tirer la sonnette d'alarme et d'insister sur le fait que les réfugiées constituent l'une des populations les plus vulnérables. Entre trafic et exploitation, elles sont nombreuses à subir des abus et du harcèlement sexuel.

Les viols, les enlèvements ou plus particulièrement le phénomène de « mariage temporaire », visant à donner une soi-disant approbation religieuse à des abus sexuels, sont en train de se banaliser d'une manière extrêmement alarmante. Dans ce pays ravagé par bientôt 4 ans de conflit, les femmes ne sont pas qu'avilies sexuellement, mais également symboliquement, et notamment dans les zones sous contrôle de l'organisation de l'Etat islamique (EI). À Raqqa, fief de l'auto-proclamé « califat », ce groupe extrémiste ultra radical impose aux femmes des restrictions rigoristes qui portent atteinte à leurs libertés et qui n'ont aucun fondement dans le droit syrien.

Bien que le Code pénal ainsi que les lois sur le statut personnel, qui régissent des questions comme le mariage ou la succession contiennent des dispositions discriminatoires à l'égard des femmes, la constitution syrienne garantit tout de même l'égalité de genre. Les femmes ont toujours participé activement à la vie publique, ce qui a toujours constitué l'une des forces de la société syrienne. Mais dans l'imaginaire d'un soi-disant authentique « État islamique », la sphère publique se doit d'être dépourvue de femmes, pour eux il est crucial qu'elles deviennent invisibles. Pour cela, les jihadistes de l'EI exigent le respect strict de leur propre conception de la Sharia et édictent des règles d'un autre âge qui ont un impact sur le quotidien des femmes et des filles en affectant leur capacité à s'instruire, à travailler et à se déplacer librement. Depuis que la ville est tombée entre leurs mains, ils ont imposé aux femmes un code vestimentaire strict reposant sur le port du niqab obligatoire et elles doivent constamment être accompagnées d'un chaperon mâle pour leurs moindres déplacements. Celles qui refusent d'obtempérer sont alors arrêtées et punies. Ces restrictions obscurantistes, des milliers de femmes syriennes les subissent, mais d'autres les choisissent, car contrairement à ce que l'on peut penser, certaines s'engagent volontairement dans les rangs de l'EI, et font même partie d'une brigade armée 100% féminine qui applique cette violence rétrograde à l'égard des femmes.

Derrière le voile des femmes jihadistes

La brigade "Al Khansa", qui ironiquement porte le nom d'une des plus grande poète du monde arabe, compte déjà une cinquantaine de femmes et avait été initialement constituée dans le but de fouiller les femmes aux checkpoints de l'EI. Elles disposent, bien entendu, de leurs propres installations afin d'éviter toute mixité. Elles sont jeunes, d'origines ethniques et sociales diverses, entraînées à manier les armes et constituent maintenant une vraie milice des mœurs patrouillant dans les rues de Raqqa, n'hésitant pas à punir brutalement les récalcitrantes aux diktats de l'EI.

Ces jeunes femmes s'enrôlent dans les rangs de cette brigade, principalement pour les mêmes motivations que les hommes. Certaines, s'engagent pour raisons économiques, car rejoindre Al Khansa leur offre un bon moyen de subsistance, elles touchent environ 200$/mois, une somme substantielle dans la Syrie d'aujourd'hui. D'autres, car elles ont décidé de prendre les armes pour se protéger, veulent agir et ne plus subir en restant constamment des potentielles cibles dans ce violent conflit où le viol est une arme de guerre. Puis il y a celles qui s'enrôlent par conviction, car elles partagent l'idéologie de l'EI et estiment servir « l'Oumma » en sanctionnant par la force celles qui auraient un comportement « anti-islamique » à leurs yeux. Aujourd'hui, elles voient leurs prérogatives évoluer en fonction de la conjoncture et de la stratégie suivie par l'organisation terroriste. La présence de femmes rejoignant les rangs de la lutte armée de l'EI peut sembler contradictoire connaissant la vision ultra rigoriste de l'islam de l'organisation ; mais l'EI n'est pas qu'un simple groupe terroriste transnational composé de fanatiques religieux barbares et misogynes qui ne veulent qu'oppresser les femmes. L'EI est une force politique à visée internationale qui se déclare faire partie d'un mouvement social prônant un mode sociétal partagé par une part non négligeable de la population, y compris une proportion conséquente de femmes.

Féminisation des mouvements ultra-radicaux

La création de cette brigade est indicative du rôle changeant des femmes dans la stratégie du mouvement jihadiste qui y trouve son intérêt. Ces femmes ont désormais accès au pouvoir, car la violence en est un. Considérant la structure ultra-conservatrice de ce mouvement terroriste, là où les femmes sont en grande partie sans pouvoir, en donner un minimum à d'autres crée de la dissension dans leurs rangs et neutralise toute opportunité de protester. En d'autres termes, la colère de celles qui sont oppressées n'est plus automatiquement dirigée que contre l'oppression patriarcale imposée par ces hommes, ici par l'usage de distorsions religieuses, mais aussi envers d'autres femmes comme elles.

En leur donnant un rôle plus actif dans la lutte armée, on assiste à l'émergence d'un processus « d'émancipation féminine » dans le mouvement extrémiste. Sur les réseaux sociaux beaucoup d'entre elles n'hésitent pas à se présenter comme des femmes fortes et se moquent des stéréotypes de la « femme musulmane opprimée » et vantent haut et fort leur nouveau « jihadi girl power », qui paradoxalement émerge aux dépens d'autres femmes. Elles ont d'ailleurs une proportion conséquente et grandissante de sympathisantes sur les réseaux sociaux qu'elles incitent à émigrer vers les terres sous domination de l'EI. Elles ont désormais un vrai rôle opérationnel d'embrigadement d'apprenti(e)s jihadistes car aujourd'hui plus de 80% du recrutement se fait via Internet. Par le passé, Al Quaïda avait déjà ciblé les femmes pour les sensibiliser au jihad par le biais de magazines féminins en ligne. Entre conseils beauté et articles de mode et de décoration, on retrouve des interviews de veuves de jihadistes, des articles qui traitent du jihad féminin avec des extraits du « journal intime d'une jihadiste » ou encore comment trouver un bon mari jihadiste. Le but de ce magazine est d'impliquer les femmes dans la « guerre contre les ennemis de l'Islam », car le jihad ne s'impose pas qu'aux hommes, les femmes doivent aussi faire leur part en soutenant leurs maris, frères ou pères combattants et éduquer les nouvelles générations en leur inculquant les préceptes de « la guerre sainte ».

Aujourd'hui ce phénomène de jihad féminin prend de l'ampleur et on assiste à un afflux croissant de jeunes femmes étrangères happées par les sirènes du jihad qui, entre fantasmes et idéalisation, tentent de rejoindre la Syrie. Même si quelques unes d'entre elles sont intégrées dans Al Khansa, la plupart reste confinées aux tâches secondaires, telles que la logistique, le soutien médical, les tâches ménagères et l'éducation de leurs enfants. De profils, de nationalités et de milieux différents, ces femmes ont différentes motivations qui les poussent à rejoindre ce mouvement terroriste transnational. Beaucoup de ces jeunes femmes veulent fuir une « pression » culturelle, religieuse ou familiale ; là où d'autres veulent aller faire de l'humanitaire, certaines y vont pour défendre et servir l'idéologie de l'EI, pendant que d'autres accompagnent leurs maris jihadistes sur le front syrien ou y vont dans le but de se marier avec l'un d'eux.

Cependant elles ne peuvent rejoindre le « califat » que par le mariage, si elles ne le sont pas déjà avec l'un d'eux, elles doivent obtenir une promesse de mariage avec un jihadiste là-bas pour pouvoir le rejoindre sur place. On assiste également de plus en plus à une émigration jihadiste « familiale », où des familles entières partent dans une logique d'implantation communautaire durable au Levant, ce qui constitue une grave menace en affectant en profondeur le tissu sociétal syrien. L'implication des femmes n'était pas désirée au début par l'EI, mais en approchant de leur but de créer un « État islamique », il est devenu nécessaire pour eux de les y intégrer, car les femmes sont indispensables au fonctionnement d'un « État », quel qu'il soit. En projetant une image de la participation volontaire de tous les segments de la société dans leur combat, l'on comprend pourquoi la féminisation du mouvement jihadiste est un élément essentiel dans la propagande de l'organisation où les genres sont peut-être complémentaires, mais certainement pas égaux.

L'engagement et la participation des femmes à des mouvements violents n'est pas un phénomène récent, mais l'association de la féminité à une violence extrême a tout de même toujours choqué. La guerre est perçue comme étant l'apanage des hommes où les femmes n'ont pas leur place, si ce n'est que en tant que victimes passives des atrocités. La raison réside dans la perception simpliste que la société a de la nature féminine qui tendrait à des comportements pacifistes, incapables de verser le sang, qui requiert une protection et qui se doit d'être non-violente. Pourtant l'Histoire nous montre que les femmes ont elles aussi joué un rôle dans les conflits armés et ont même été parfois les principales protagonistes en franchissant le seuil de la violence armée. L'existence de femmes impliquées dans la violence de guerre ne contredit certes pas la constatation que les femmes restent encore majoritairement dans la catégorie des victimes de la guerre. Le phénomène des jeunes femmes participant au jihad au Levant profite d'une médiatisation grandissante, car il confronte cette dichotomie entre masculinité et féminité et questionne la division sexuée des rôles en temps de guerre. La guerre et la violence ne sont certainement pas une question de sexe, mais plutôt d'individus,et les hommes n'en ont pas le monopole, car le terme de bourreau peut aussi très bien s'accorder au féminin.

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