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L'enclume de l'islamophobie et le marteau de l'occidentalophobie

La communauté musulmane doit «balayer devant chez-elle» et contribuer à la lutte contre le marteau de l'occidentalophobie islamiste tout en menant, de pair avec leurs sociétés d'accueil, la lutte collective contre l'enclume de l'islamophobie.
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Au Canada, comme ailleurs en Occident, on évoque depuis un certain temps l'islamophobie qui conduit à la discrimination contre les musulmans sur une base religieuse. Mais on oublie souvent l'occidentalophobie qui est le revers de la même médaille chez les musulmans. Les islamophobes et les occidentalophobes sont coresponsables de la situation et les Occidentaux et les musulmans ont aujourd'hui le devoir de focaliser sur l'avenir. Et même s'il est vrai qu'en Occident la lutte doit être menée par la majorité contre l'islamophobie d'une minorité, et que dans le monde musulman la lutte doit être menée par la majorité de la société musulmane contre sa minorité occidentalophobe, le principal ne doit pas cacher le secondaire, mais doit au contraire le dévoiler. Car, en Occident comme en Orient, un seul loup solitaire peut parfois causer plus de dégâts que tout un troupeau solidaire!

En effet, si l'islamophobie est généralement définie comme une hostilité envers l'islam et les musulmans, menant à une discrimination sociale sur la seule et unique base de la religion islamique prise comme un identifiant plutôt primaire de l'autre - le musulman -, l'occidentalophobie, quant à elle, est définie comme une hostilité envers l'Occident et les Occidentaux qui mène à une contre-discrimination sociale sur la seule et unique base de la « géopolitique » prise comme un identifiant plutôt primaire de l'autre - l'occidental.

Mais la généralisation n'est pas absolue, car il y a divers formes et degrés d'occidentalophobie. Dans le monde musulman, on discerne quatre formes d'occidentalophobie liées aux grands mouvements politiques de la région qui comptent tous parmi eux des musulmans : les libéraux, les gauchistes, les nationalistes et les islamistes. Les trois premiers peuvent pratiquer une occidentalophobie partielle et relative alors que les quatrièmes se distinguent par leur occidentalophobie presque totale et absolue. Les trois premiers sont aujourd'hui faibles alors que les quatrièmes sont à leur summum. Chez les islamistes, qu'il faut distinguer des musulmans, l'occidentalophobie prend une forme politico-religieuse spécifique ; c'est quasiment un anti-occidentalisme total. Elle a avant tout une base socioculturelle et religieuse, mais, parfois, elle est aussi politique et économique.

L'occidentalophobie islamiste est ainsi l'hostilité primaire envers tout ce qui est occidental non islamique (athée, laïc, chrétien, etc.) et donc envers tous ceux qui ne sont pas musulmans /islamistes en Occident. Elle est actuellement la plus active et la plus dangereuse. Toutefois, les islamistes eux-mêmes se différencient et on peut trouver dans la mouvance une variété de tendances des plus ouvertes aux plus dures. L'occidentalophobie islamiste, bien que typique, n'est donc pas uniforme, mais multiforme. Et une typologie peut être présentée comme suit.

  • Les « islamistes progressistes » essayent de dépasser la dualité islam-Occident et de penser humainement. Ce type d'islamisme ressemble un peu au clergé de libération de l'Amérique latine. Ce courant existe encore partout dans le monde musulman, mais il n'est pas politiquement organisé ; c'est plutôt un mouvement intellectuel très minoritaire et trop marginalisé.
  • Les « islamistes libéraux », tels ceux au pouvoir en Turquie actuellement, acceptent la laïcité kémaliste turque, qui est considérée comme une laïcité autoritaire, pratiquent « à la libérale » le jeu démocratique à l'intérieur et le jeu diplomatique à l'extérieur tout en étant faiblement sécularistes.
  • Les « islamistes conservateurs pseudo-centristes », tels les Frères musulmans égyptiens, arabes et musulmans, sont plus occidentalophobes, contre la sécularisation et catégoriquement anti-laïcs. Chez eux, la contradiction islam/Occident est plus aigüe bien qu'ils se présentent en tant que « centristes ». Pour eux, ce centrisme est seulement anti-théocratique (à la chiite duodécimaine), anti séculier et anti-laïc (à la libérale, à la nationaliste ou à la gauchiste).
  • Les « islamistes conservateurs radicaux » tels les Khomeynistes conservateurs, les purs fréristes musulmans à la Sayd Kotb et les adeptes du Parti de libération islamique sont encore plus radicaux et œuvrent pour la révolution islamique. Leur occidentalophobie, sécularophobie et laïcophobie sont plus radicales et refusent même parfois la démocratie (islamique soit elle).
  • Les « islamistes terroristes » tels ceux d'Al-Qayda et Daech sont encore plus extrémistes ; pour eux, il n'est même plus question de révolution islamiste, mais de terreur islamiste. L'Occident est une terre de guerre ouverte et tout occidental ou musulman occidentalisé est un objectif terroriste.
  • Les « islamistes apolitiques » - car on peut également parler d'un islamisme social et culturel, parfois ignoré dans les analyses politiques - sont tous ceux qui militent socialement et culturellement pour une certaine islamisation du monde, mais sans pratiquer la lutte politique islamiste dans son sens premier. Parmi ceux-là, les soufis sont sûrement les plus pacifistes et inoffensifs ; ils s'occupent essentiellement du côté spirituel de la religion bien qu'ils peuvent parfois jouer des rôles politiques divers, surtout dans leurs pays d'origine.
  • Les « islamistes officiels et officieux » sont les oulémas officiels des régimes politiques islamiques (là où l'islam est une religion officielle) et les oulémas officieux des sectes musulmanes (dans les pays où elles sont plus ou moins indépendantes du régime comme en Irak ou au Liban, des pays musulmans plurireligieux). Ils ne diffèrent de l'islamisme conservateur que par la direction que prend chez eux l'instrumentalisation de l'islam.

Si lutter contre l'islamophobie ne signifie pas lutter contre tous les Occidentaux non-musulmans contrairement à ce que pensent les islamistes, lutter contre l'occidentalophobie ne signifie pas lutter contre tous les musulmans, ni même, partiellement, contre les islamistes apolitiques, les islamistes libéraux et les islamistes réformistes progressistes, contrairement à ce que pensent les islamophobes. Lutter actuellement contre l'occidentalophobie, c'est avant tout lutter contre les islamistes conservateurs, radicaux et terroristes actifs, mais sans oublier les autres passifs.

La communauté musulmane doit « balayer devant chez-elle » et contribuer à la lutte contre le marteau de l'occidentalophobie islamiste tout en menant, de pair avec leurs sociétés d'accueil, la lutte collective contre l'enclume de l'islamophobie. L'islamophobie et l'occidentalophobie islamiste sont les revers de la même phobie politico-religieuse. Lutter uniquement contre les discours et les pratiques islamophobes sans lutter contre les discours et les pratiques occidentalophobes ne sert que les uns et les autres. Il faut donc lutter simultanément sur deux fronts pour pouvoir contribuer, comme le disait Mohammed Arkoun, à « une écriture solidaire de l'histoire » entre la société d'accueil et la communauté musulmane et ainsi dépasser les conflits insensés autour des mots-sacs islam et Occident.

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