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La Catalogne et l'illusion de l'indépendance

Soyons clairs: les élections prévues ce dimanche 27 septembre en Catalogne sont exceptionnelles, en raison du mélange explosif entre émotion, intensité et débat qui imprègne la politique espagnole.
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Soyons clairs: les élections prévues ce dimanche 27 septembre en Catalogne sont exceptionnelles, en raison du mélange explosif entre émotion, intensité et débat qui imprègne la politique espagnole. Indépendamment de tout cela, marquent-elles une première étape vers l'indépendance de la Catalogne? Pas vraiment.

On ne peut pas nier le succès des partisans du mouvement indépendantiste, qui sont parvenus à imposer leur projet de sécession alors que seul un tiers de la population catalane le soutenait jusqu'alors. Comme l'éléphant de George Lakoff, l'indépendance a effacé les habituelles tensions droite-gauche, occupant tout l'espace politique. Même le président Mariano Rajoy, qui rejette avec véhémence l'idée de sécession, s'est retrouvé, au cours d'un des épisodes les plus surréalistes de la campagne, à discuter du type de passeport dont disposeraient les citoyens d'une Catalogne indépendante.

Ce dimanche, cinq millions et demi de Catalans participeront aux 11es élections parlementaires catalanes depuis la restauration de la démocratie en Espagne (et à la troisième élection de ce type en cinq ans). La différence avec toutes les élections précédentes est la tendance sécessionniste, menée par Convergència Democràtica de Catalunya (CDC), le parti hégémonique, et le fait que ces élections ont des allures de plébiscite (la Magna Carta espagnole, comme la majorité des constitutions européennes, n'accepte pas les référendums d'autodétermination).

L'ombre de l'Écosse plane sur ces élections: "Si, l'an dernier, Londres a accepté que les Écossais se prononcent sur la possibilité de quitter le Royaume-Uni, pourquoi ne pourrait-on pas faire la même chose?" demandent les Catalans. Après avoir transformé cette élection régionale en plébiscite, ils cherchent à présent à éprouver la solidité du droit espagnol.

Les défenseurs de l'indépendance affirment qu'en remportant la majorité des sièges au Parlement ils seront en mesure d'entamer un processus qui devrait se terminer par la mise en place d'une nation catalane en seulement un an et demi. Mais si le nombre de voix en faveur de la sécession n'atteint pas les 50%, sera-t-il légitime de continuer sur ce chemin, d'un point de vue démocratique? Ça ne l'aurait pas été pour l'Écosse ou le Québec, les deux exemples les plus récents. Or la plupart des sondages ont montré une majorité absolue pour l'indépendance en nombre de sièges au Parlement, mais pas en nombre de voix.

Il est vrai que les instituts de sondages ne semblent pas vraiment comprendre ce qui se passe. Traditionnellement, ce type d'élections régionales n'attire pas vraiment les électeurs les moins nationalistes. Pourtant, ce sont eux qui sont aujourd'hui au centre de toutes les attentions. Ils sont presque un million, d'origine non catalane pour la plupart, à avoir le pouvoir de faire mentir les prédictions.

Des militants agitent des drapeaux pro-indépendance

Du côté unioniste, deux forces sont en train d'émerger: les centristes du Parti de la citoyenneté (Ciutadans), et le parti d'extrême-gauche Podemos, allié à d'autres partis. Il y a également un Parti socialiste très diminué et les conservateurs du Parti populaire qui, bien qu'au pouvoir avec une majorité absolue en Espagne, n'ont jamais récolté plus de 13% du vote catalan. Aucune de ces forces n'a de leader incontesté, et leurs divergences idéologiques représentent un handicap lorsqu'elles s'efforcent de former un front homogène.

En revanche, la frange sécessionniste (Junts Pel Si) dispose bien d'une solide coalition entre les conservateurs et la Gauche républicaine (ERC), également soutenue par des mouvements citoyens pour l'indépendance et des personnalités comme Pep Guardiola, ex-entraîneur du FC Barcelone. L'une des bizarreries de cette campagne est que le président catalan, Artur Mas, est actuellement 4e sur la liste de sa coalition, ce qui signifie qu'il n'est pas obligé de participer aux débats ni de défendre le bilan de son gouvernement ces trois dernières années. Autre facteur d'incertitude: pour remporter la majorité au Parlement, les sécessionnistes ont besoin du soutien du parti Candidature d'unité populaire (ou CUP), formation radicale d'extrême-gauche opposée au capitalisme, à l'OTAN et à l'Union européenne, qui a déclaré qu'il ne soutiendrait pas un gouvernement dont M. Mas serait le président. C'est là que réside la faiblesse d'une candidature pro-indépendance aux soutiens si divers: après les élections, comment un groupe aussi nombreux et hétéroclite pourra-t-il former un gouvernement qui ne ressemble pas à une cabine surpeuplée dans une comédie des Marx Brothers?

Culturellement et socialement, la Catalogne est un des moteurs de l'Espagne. C'est aussi le cas sur le plan économique: avec 7,5 millions d'habitants, elle représente 18% du PIB national. Par conséquent, comme les autres régions "riches" telles que Madrid et les Îles Baléares, elle contribue par ses impôts aux progrès économiques de territoires moins développés. Et c'est là un des principaux points de friction: la Catalogne exige un traitement fiscal plus favorable, similaire à celui d'autres communautés comme le Pays basque et Navarre, et davantage d'autonomie pour la gestion des impôts et la prise de décision sur les investissements importants et les infrastructures.

Ce qui est incroyable, c'est la manière dont une récrimination légitime s'est transformée en casus belli contre l'Espagne. Les maladresses politiques du président Rajoy - il aurait pu s'installer à la table des négociations avec le président catalan il y a un an et demi, mais n'a pas souhaité, ou pu, le faire - sont en partie responsables de l'état d'esprit absolutiste qui a abouti à la situation actuelle. "Il est impossible de discuter avec l'Espagne. On s'en va!" s'exclame-t-on ici. Ces jours-ci, les chefs du Parti populaire reconnaissent que le gouvernement a manqué de flexibilité, mais justifient cet état de fait par les difficultés économiques de l'Espagne ces dernières années.

Et il est indéniable que la crise est un facteur incontournable pour qui cherche à comprendre le drame qui se joue. Le gouvernement conservateur catalan, qui a effectué les mêmes coupes brutales dans les budgets de l'éducation, de la santé et du social que le gouvernement central, est parvenu à échapper à la fureur de son peuple en rejetant la responsabilité de toutes les mesures d'austérité sur Madrid. Contrairement aux autres pays européens, où nationalistes et populistes ont saisi leur chance et tiré parti de la crise pour exploiter xénophobie, antisémitisme et islamophobie, la Catalogne le chapeau à l'État espagnol. Le slogan tristement célèbre "l'Espagne nous vole" a laissé sa marque sur la population catalane, convaincue par divers chants des sirènes qu'une Catalogne indépendante, libérée de l'obligation de donner aux autres régions du pays, aurait davantage de ressources pour s'enrichir et prospérer.

Enfin et surtout, il est nécessaire de tenir compte de l'émotion. Une émotion fondamentale: la fin d'une histoire d'amour. Comme le dit l'une des métaphores les plus souvent exploitées par les partisans de l'indépendance, un couple ne peut pas rester ensemble si l'un des deux ne veut plus de l'autre. Ce qui est sûr - et inquiétant -, c'est que nombre de Catalans ont déjà fait le deuil de l'Espagne et de ses symboles. Entre autres choses, ils se sentent constamment provoqués par la remise en question, par le Parti populaire, des politiques sur l'enseignement du catalan, l'ancienne et magnifique langue enseignée dans toutes les écoles de Catalogne, qui coexiste dans la paix et l'harmonie avec l'espagnol sur les places et dans les rues de la province.

Le débat s'est affaibli. Les sécessionnistes n'apprécient pas d'entendre David Cameron ou Angela Merkel les mettre en garde contre une sortie de l'UE en cas d'indépendance, processus automatique selon les traités existants. Pas plus qu'ils ne se soucient des déclarations de Barack Obama quand il réclame une Espagne "forte et unie". Ils considèrent comme une menace que les institutions bancaires basées à Barcelone envisagent de partir afin de continuer à fonctionner en euros, sous les auspices de Francfort et de la Banque centrale européenne. À l'inverse, ils sont sûrs de trouver des astuces pour que le Barça continue à jouer - et à gagner - dans la Liga espagnole.

Curieusement, selon certains sondages, seulement 20% des Catalans pensent que ce processus aboutira à l'indépendance. Beaucoup sont prêts à voter pour la rupture, mais uniquement pour soutenir le gouvernement catalan dans ses négociations avec le gouvernement central. Pour cela, il leur faudra attendre le deuxième acte: les élections générales de décembre, dont le résultat est également incertain. Si Rajoy remporte une nouvelle victoire, le champ des négociations en sera réduit.

Il existe des défenseurs d'une "troisième voie" - un accord pour remettre à jour, réformer et réinterpréter la constitution espagnole afin de mieux respecter les revendications catalanes -, mais leurs voix sont à peine audibles, entre les proclamations tonitruantes des partisans de l'indépendance, d'un côté, et celles des soutiens indéfectibles au gouvernement central, de l'autre.

Pour l'auteur de cet article, née à Madrid de parents et de grands-parents catalans qui ont toujours eu la fierté de leur "seny" - un terme catalan signifiant "sagesse et modération" -, il est impensable d'imaginer une autre voie que le dialogue, la politique à l'état pur. Quand on doit traiter avec des exaltés qui vocifèrent des scénarios extatiques ou apocalyptiques, il y a toujours une alternative. Nous devons faire face ensemble aux énormes défis de ce XXIe siècle: Catalans, Espagnols, Européens doivent s'unir. Ils n'en seront que plus forts.

Ce blog, publié à l'origine sur le Huffington Post américain, a été traduit par Guillemette Allard-Bares pour Fast for Word.

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