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Les politiciens canadiens et québécois n'ont rien fait de concret pour dire haut et fort que nous sommes tous des Canadiens et des Québécois. Que les noms Mohamed, Oussama et Ahmed sont des noms canadiens et québécois, que les filles qui portent un foulard sont aussi des filles québécoises. Cela ne suffit pas d'être tolérés. Il faut aussi savoir accepter.
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Dimanche soir, le Centre islamique de Québec a été le théâtre d'un acte terroriste. Peu importe les motifs et l'origine des terroristes, ils sont entrés dans un lieu de culte et ont tué des gens qui priaient. Les lieux de culte partout dans le monde sont considérés comme des sanctuaires. Un endroit pour méditer, réfléchir, se protéger des maux extérieurs de la société, oublier, s'oublier. Apparemment, ce n'est plus le cas au Canada, du moins depuis hier.

Une mosquée est devenue une cible sanglante. Une cible pour des attaques haineuses qui ont été nourries depuis des années par les radios-poubelles du Québec qui vomissent leur venin enrobé de liberté d'expression dans les oreilles des populations. Nourries aussi par la cupidité sans borne de certains politiciens qui veulent se faire une carrière politique sur le dos des plus vulnérables. Voici, où nous en sommes arrivés. Au bord du gouffre, sinon, en plein dedans.

Jusqu'à aujourd'hui, le mot islamophobie n'est que rarement utilisé par les médias du Québec soi-disant de peur de jouer la carte des islamistes et d'exagérer un phénomène qui n'existe même pas. Alors que des personnalités comme Djemila Benhabib, Mathieu Bock-Côté, pour ne citer que celles-là, se cachent derrière des airs sophistiqués de laïcité à géométrie variable, pour ne pas dire carrément asymétrique, et sont toujours les bienvenus sur les scènes publiques. Plus que ça, ce sont les chouchous de certains médias, les fous du roi. Comme quoi, le souci d'objectivité est tellement important à préserver. Une objectivité pour certains sujets, uniquement.

Je me suis établie au Québec pour deux simples raisons : la langue et la quête de liberté. Malheureusement, au fil des années, j'ai compris que les choses n'étaient pas aussi simples que je les entrevoyais.

Je suis venue au Canada au début des années 90 pour fuir l'intolérance et l'asphyxie que la politique française a léguée en Tunisie : la pseudo-laïcité. Une laïcité qui sous prétexte d'empêcher la religion de s'emparer du pouvoir, est devenue le test ultime de la citoyenneté. Tu fais partie de la Cité si tu rejettes la religion (surtout une en particulier). Ainsi, si tu pries, tu es un islamiste. Si tu portes le voile, tu es une opprimée ou une dangereuse soldate qui veut influencer toutes les femmes du monde à le porter ; si tu as des opinions politiques qui s'opposent au régime autocratique, alors tu es un islamiste et dois aller en prison. La liberté ne se mesure plus par l'illumination de l'esprit, mais par les centimètres de peaux dévoilées ou par la couleur des cheveux et leur beauté. Voilà ce que j'ai fui.

Je me suis établie au Québec pour deux simples raisons : la langue et la quête de liberté. Malheureusement, au fil des années, j'ai compris que les choses n'étaient pas aussi simples que je les entrevoyais. Ma langue française ne semble plus suffire alors que tout le débat identitaire depuis la Révolution tranquille au Québec a principalement porté sur l'importance de la langue française. Ma langue était tenue pour acquise, il fallait montrer une autre patte blanche : mon amour de la laïcité. Une certaine laïcité. Évidemment, le fait que j'ai décidé de porter un foulard à l'âge de 20 ans pour des motifs spirituels et religieux a fait de moi la candidate de l'oppression par excellence. Le Québec n'était pas aussi libre que je le pensais, le Québec voulait retrouver sa liberté et les personnes qui montraient un signe religieux contribuaient à son oppression : du moins c'est ce qui était dit et répété sur toutes les tribunes depuis les vingt dernières années. Le vote ethnique dérange. Le voile islamique dérange. Les centres islamiques dérangent. Le stationnement des musulmans devant leurs lieux des prières dérange. Les musulmans qui mangent halal dérangent. Les musulmans qui ne mangent pas les fèves au lard dans les cabanes à sucre dérangent. Le niqab dérange. Les femmes d'origine maghrébine qui sont bardées de diplômes et qui travaillent dans des garderies parce qu'elles n'ont pas trouvé d'autres emplois plus qualifiés sont folles : elles dérangent.

Je me suis toujours retrouvée en train de me défendre : défendre mon choix vestimentaire, défendre ma religion, défendre mes idées, défendre mon intelligence. Et cela n'est pas venu dans un vase clos. Il y eut les attaques terroristes du 11 septembre 2001 aux États-Unis. L'invasion de l'Irak, puis l'Afghanistan, le Printemps arabe, l'émergence de l'État islamique et la liste est longue. À chaque fois, il faut faire la démonstration que je suis loyale et à chaque fois ma loyauté est mise en doute. Car même si je dis la vérité, ce n'est pas la vérité qu'on veut entendre. Et après tout, un musulman ne dit pas la vérité : ça fait partie de sa foi.

À chaque fois qu'il y a un incident violent qui surgit dans le monde ou une attaque terroriste dans lesquels des musulmans sont impliqués : le débat devient : la violence de l'Islam ou de l'idéologie islamiste. Les pseudo- experts sont invités dans les médias non pas pour expliquer la complexité des politiques au Moyen-Orient, mais plutôt pour créer plus de confusion et surtout pour brouiller les cartes. Les débats sur les accommodements raisonnables sont devenus une plateforme légitime pour que les gens affichent leur ignorance mélangée à la peur exagérée des étrangers. Rares sont les politiciens et les journalistes qui ont résisté à la tentation d'y gagner des cotes d'écoute ou des votes. C'était la curée : chacun voulait sa part.

Malheureusement, on y a tous laissé une part de notre humanité. La grande farce qu'on a appelée la Charte des valeurs québécoises a rajouté à cet état des lieux : une xénophobie assumée, une peur de l'islam, une ignorance qui réconforte, un opportunisme et un calcul politique plus que machiavélique.

Jusqu'à dernièrement, le débat importé fraîchement de Fance sur le burkini a encore une fois attisé les peurs des gens et personne ne s'est demandé combien de femmes vont porter des habits pareils dans les piscines québécoises. Peu importe les faits. On n'est plus dans le rationnel, on est dans le feu de l'action.

La tragédie de dimanche soir doit être un moment de ressaisissement. Un moment de la dernière chance pour ne pas sombrer dans la violence et dans la haine.

Entre-temps, des groupes racistes d'extrême droite, comme la Meute, trouvent le terrain propice pour augmenter et racoler des adhérents. Des blogues, qui étaient considérés comme marginaux, en l'occurrence Point de bascule, continuent en toute impunité à déverser leurs mensonges dans la population et même chez certains politiciens. De l'obscurité vers la lumière. De la marginalisation vers la normalisation. Voilà ce qui a été fait pendant les dernières années. La déshumanisation des musulmans : ce ne sont pas des personnes qui méritent des droits. Leur Dieu est Allah, ce n'est même pas notre Dieu. Leurs femmes sont opprimées, alors pourquoi on leur donnerait plus de droits chez nous. Vous n'avez pas de droit chez vous, alors pourquoi vous voulez qu'on vous en donne ici. Ces répliques sont aujourd'hui normales, elles peuplent les médias sociaux.

La tragédie de dimanche soir doit être un moment de ressaisissement. Un moment de la dernière chance pour ne pas sombrer dans la violence et dans la haine. Les six personnes qui ont été tuées et celles qui ont été blessées ont perdu leur vie ou luttent pour leur vie parce que d'autres personnes, quelque part derrière un écran d'ordinateur, ou dans un centre de tir, ou dans un jeu vidéo, ont jugé qu'elles n'avaient pas le droit de vivre parce qu'elles étaient musulmanes. Les politiciens canadiens et québécois n'ont rien fait de concret pour dire haut et fort que nous sommes tous des Canadiens et des Québécois. Que les noms Mohamed, Oussama et Ahmed sont des noms canadiens et québécois, que les filles qui portent un foulard sont aussi des filles québécoises. Cela ne suffit pas d'être tolérés. Il faut aussi savoir accepter. Dans la différence, mais accepter.

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