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La raison d'État comme «religion»: la politique étrangère issue de 1648

La raison d'État est, en politique étrangère, un principe de maintien ou de préservation de la puissance d'un pays, souvent au détriment des autres, surtout des plus petits.
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A) De la politique intérieure à la politique extérieure.

Le concept de raison d'État naquit en France lors des Guerres de religion (1562-1598). C'est une autre guerre, à l'origine religieuse, celle de Trente Ans (1618-1648), qui fit de la raison d'État un principe de politique extérieure.

La Guerre de Trente Ans et les traités qui y mirent fin, ceux de Münster et de Osnabrück (Traité de Westphalie du 24 octobre 1648) accélérèrent un long processus au cours duquel se modifièrent les relations entre les États. Cette période (1618-1648) permit une relative sécularisation des relations internationales et l'émergence, face aux intérêts dynastiques persistants, d'intérêts étatiques (parfois nationaux).

B) Guerre de Trente Ans.

L'histoire de cette guerre est complexe. Elle naît d'un problème entre l'empereur d'Autriche et du Saint-Empire romain germanique, Ferdinand II de Habsbourg, avec l'une de ses «possessions»: la Bohême.

Ferdinand II, catholique intransigeant souhaitant ramener les protestants à l'Église romaine et centraliser le pouvoir de Prague vers Vienne, fut très maladroit avec les Tchèques de Bohême majoritairement «réformés». Suite à un malentendu sur la construction/démolition d'un temple protestant à Prague, ayant pour conséquence la défenestration de trois délégués envoyés par l'empereur en cette ville (23 mai 1618) et la rupture de la Bohême avec l'Empire d'Autriche, une nouvelle guerre de religion éclate en terre germanique.

Saint Empire Romain Germanique

L'Empire connut pourtant une accalmie relative suite à la Paix d'Augsbourg de 1555. Son principe du cujus regio ejus religio respectait la souveraineté religieuse de chacun de ses États mais les calvinistes étaient exclus et, de plus, rien n'était prévu en cas du décès d'un prince sans descendance. Chaque crise de succession fut alors une occasion de méfiance entre catholiques et protestants qui constituèrent, dès 1608-1609, des ligues militaro-religieuses: la Sainte-Ligue (catholique) et l'Union évangélique (protestante). Si les prédécesseurs de Ferdinand II furent relativement habiles, surtout en la personne de leur chancelier le cardinal Khlesl, pour éviter la crise, Ferdinand n'eut pas ce talent.

Donc, lors de sa sécession, la Bohême offrit «sa couronne» à un prince protestant germanique, un voisin frontalier, Frédéric V du Palatinat. Le début de la Guerre de Trente Ans fut simplement la lutte que Ferdinand II entreprit pour reprendre la Bohême à ce prince (mai 1618 à novembre 1620). Une fois cette dernière récupérée, l'empereur décida de poursuivre la guerre et, par vengeance, déposséda Frédéric V de ses terres palatines. Ce geste poussa les princes protestants à guerroyer contre l'empereur d'Autriche, qui intervenait alors hors de ses possessions directes. La guerre touchait maintenant le Saint-Empire. Les armées mercenaires impériales, stimulées par le pillage, firent plusieurs gains en avançant vers les frontières septentrionales de l'Empire germanique. Ces victoires provoquèrent la suspicion de puissances étrangères qui intervinrent alors dans ce conflit «allemand»

C) 1625 à 1648 : le recul de la solidarité religieuse.

Avec l'intervention du Danemark, dès 1625, de la Suède, en 1630 (soutenus financièrement par Paris) et de la France, en 1635, la guerre «civile allemande» devint européenne. C'est ici que le principe de raison d'État intégra la politique extérieure.

Inquiets des succès des «Impériaux» qui, avec leurs armées, approchaient la frontière danoise et les côtes de la Baltique, Christian IV du Danemark et Gustave II Adolphe de Suède, entrèrent dans le conflit. Ils soutenaient leurs frères protestants (solidarité religieuse) mais, surtout, souhaitaient bloquer l'accès direct à la mer Baltique aux Habsbourg, le convoitant pour eux-mêmes. Le Danemark craignait aussi, comme suzerain de duchés germaniques, de perdre ses terres aux profits de Vienne.

Plus surprenante fut l'intervention française qui, dès le départ, ne respecta pas la logique de la solidarité religieuse. La France catholique, dirigée successivement par les cardinaux Richelieu et Mazarin, s'allia aux princes protestants de l'Empire ainsi qu'aux rois réformés du Danemark et de Suède contre un empereur et un roi catholiques, tous deux Habsbourg, l'un à Vienne, l'autre à Madrid. L'objectif de la France était de diviser les «Allemands» et d'éviter la «centralisation Habsbourg» afin de dominer le continent européen. À cette fin, la politique d'alliance de la France abandonnait la solidarité religieuse pour en arriver à une politique de puissance, tout cela au nom de la raison d'État.

La Guerre de Trente Ans permit l'émergence et la domination de ces États centralisés et de leurs armées permanentes. Au final, les armées danoise, suédoise et française (surtout cette dernière) sortirent victorieuses face aux armées «privées» de Ferdinand II commandées par des condottieres (Tilly et Wallenstein).

D) Le Traité de Westphalie et ses principes.

La guerre fut longue, coûteuse et s'y intercala quelques tentatives de dialogues pour y mettre fin. Le pape Urbain VIII était inquiet de voir les chrétiens se déchirer entre eux (surtout les catholiques français, espagnols et autrichiens) et craignait que cela ne profite qu'aux Ottomans (Turcs), ennemis de la «chrétienté». Il proposa donc de lancer des négociations de paix. Son intervention montrait le caractère encore médiéval de la diplomatie d'alors. Cependant, les protestants, comme le pape, étaient peu enclins à discuter entre eux et préféraient le faire séparément, cloisonnés par appartenance confessionnelle.

Les belligérants convinrent donc de négocier séparément, entre catholiques et entre «réformés», les premiers à Münster, les seconds à Osnabrück. Les alliés français et suédois furent alors séparés mais, en sauvant les apparences de la discussion par appartenance ecclésiale, ils contournèrent cette obligation en imaginant un stratagème pour négocier dans les mêmes termes au même moment. Ainsi, Paris et Stockholm désignèrent des plénipotentiaires qui se rencontraient à mi-chemin entre Münster et Osnabrück pour uniformiser leurs discussions respectives. Cette astuce montre bien les débuts de la sécularisation de la politique étrangère.

Le Traité de Westphalie, du 24 octobre 1648, tout en conservant des éléments religieux et dynastiques (pardon des ennemis, retour des possessions aux familles) amorce des nouveautés dans les relations internationales. D'abord, un début de sécularisation. Ensuite, le respect de la souveraineté (ou non-ingérence), hérité de la Paix d'Augsbourg mais, dorénavant, élargi aux conflits intérieurs autres que religieux. Puis, enfin, l'équilibre des puissances. L'idée d'équilibre des puissances fut une réaction aux ambitions des Habsbourg. À partir de 1648, les velléités expansionnistes d'un pays européen solliciteront des alliances afin de les contenir.

Ratification du Traité de Münster, 15 Mai 1648 (1648) par Gerard ter Borch

La raison d'État sera donc dès cette date, en politique étrangère, un principe de maintien ou de préservation de la puissance d'un pays, souvent au détriment des autres, surtout des plus petits.

Ainsi, plutôt que de sacrifier des vies humaines au nom du salut ou de l'unité chrétienne, on le fera au nom de la puissance d'État devenue quasi-religion. Le successeur d'Urbain VIII, le pape Innocent X, l'aura compris et condamnera ce traité. Signe des temps, les signataires du Traité de Westphalie y avaient incorporé une clause qui stipulait que nulle puissance ne pouvait l'invalider. La logique politique prenait ses droits.

Marc Bordeleau, professeur d'histoire

Pour l'article complet, avec ses références: monde68.ca

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