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L'archipel chrétien du monde arabe: des îlots sous la croix

Peu de gens sont conscients de l'existence, mais surtout de la profondeur historique de ces Églises dites "arabes" qui ont vécu tous les débats et toutes les spéculations dogmatiques depuis 325, date du premier concile œcuménique. Nous ne savons pas avec exactitude comment la religion chrétienne a pu pénétrer dans ces régions appartenant au monde arabe.
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Les apologistes chrétiens de l'Antiquité ont souvent affirmé que la religion du Christ s'était répandue uniquement dans l'Empire romain et certains d'entre eux voyant même dans la constitution de cet "empire-monde" la main de Dieu préparant le berceau de la religion nouvelle.

Néanmoins, la réalité était un peu plus complexe puisque dès le début du 4e siècle, le christianisme s'est implanté en Arabie, en Mésopotamie, et au Yémen. Les découvertes archéologiques de plusieurs églises au sud de la péninsule arabique et, plus récemment, de nombreux documents épigraphiques, nous éclairent sur les débuts du christianisme arabe, et complètent les sources écrites, en particulier syriaques, dont disposent les historiens.

Faut-il le rappeler? Peu de gens sont conscients de l'existence, mais surtout de la profondeur historique de ces Églises dites "arabes" qui ont vécu tous les débats et toutes les spéculations dogmatiques depuis 325, date du premier concile œcuménique. Nous ne savons pas avec exactitude comment la religion chrétienne a pu pénétrer dans ces régions.

Selon Eusèbe de Césarée (265-340), un moine du nom Pantène aurait décidé de se faire missionnaire et de partir vers la "porte de l'Inde", c'est-à-dire le Yémen. Arrivé là, il aurait constaté qu'il avait été précédé par un certain Bartholomée.

Cependant, la première pénétration importante eut lieu au cours du 4e siècle grâce à un certain Théophile, surnommé l'indien, qui fonda une église à Zafâr, capitale du royaume himyarite, puis une autre à Aden et une troisième à Hormuz, sur le golfe Arabo-persique. Plus tard, vers la fin du 5e siècle, cette partie de l'Arabie se trouvait sous influence du christianisme monophysite.

Les premières installations chrétiennes

Ici, nos sources textuelles nous aident à faire la lumière sur les premières installations chrétiennes dans la région. Ainsi, la péninsule de Qatar et les îles de Bahreïn formaient un diocèse encore présent à l'époque omeyyade.

Kinda, l'une des tribus les plus célébrées dans la tradition de l'Arabie préislamique, professait le christianisme dès le début du 6e siècle. Le poète Imrou'l Qâys mentionne ce fait puisque dans l'un de ces poèmes, il rapporte qu'en s'approchant des villages, il entendait le son des cloches des églises qui appelaient les fidèles à la prière.

Nous savons aussi, à travers d'autres sources, que le sud-ouest de la péninsule arabique a aussi connu une forte présence chrétienne. Ainsi, le roi Dhû Nawâs, qui avait adopté le judaïsme au début du 6e siècle, commença à persécuter les chrétiens installés dans les fertiles vallées de Najrân.

L'empereur Byzantin Justin 1er demanda alors au souverain éthiopien d'intervenir pour aider les chrétiens de la ville. Ainsi débuta l'invasion de l'État himyarite, même si à l'autorité éthiopienne s'était vite substituée celle d'un chef chrétien appelé Abraha.

À partir de cet événement, les communautés chrétiennes de la région commencèrent à se séparer par certains de leurs cultes et par certains de leurs dogmes de l'Église de Constantinople, mais il n'est pas possible d'affirmer que la vie des simples chrétiens, loin des penseurs d'Alexandrie et d'Antioche, ait été affectée par les querelles christologiques de l'époque.

Il est vrai que les Églises orientales étaient parmi les premières à se constituer: leurs langues, leurs livres liturgiques en sont les témoignages. La présence obsédante des vestiges archéologiques de la chrétienté ancienne, partout visible jusqu'au 17e siècle, a poussé les humanistes européens à s'intéresser, dès l'époque de la Renaissance, à la spécificité des chrétiens du monde arabe.

En effet, il est difficile, dans l'état actuel de la connaissance, de donner un tableau très précis de démographie des minorités chrétiennes de l'Empire ottoman, mais il est clair qu'à partir du 18e siècle, l'augmentation numérique des chrétiens arabes, leur présence dans toutes les classes de la société, et leur participation active dans la "Nahdha" (renaissance) arabe du 19e siècle, leur posa des grands problèmes pour l'organisation territoriale de leur communauté ce qui a provoqué finalement des déchirures profondes dans le corps de la société arabe contemporaine.

Il est vrai que les acquis des réformes des pays arabes issus des indépendances avaient fait sortir théoriquement les chrétiens du statut, d'ailleurs fluctuant, de "dhimmitude", pour leur donner l'égalité avec les musulmans, mais la réalité était tout autre puisque la liberté de conscience n'était pas affirmée partout.

Depuis la seconde moitié du 20e siècle, les querelles théologiques, entre chrétiens et musulmans, ne portaient souvent que sur des nuances. Des tentatives de compromis ont été élaborées, qui se sont souvent soldées par des échecs. À ce problème théologique s'ajoute un autre lié au morcellement géographique des chrétiens du Proche-Orient, résultat en partie des ruptures dogmatiques et politiques.

Assurément, la question délicate du nombre s'impose dès qu'on évoque le sujet des chrétiens proche-orientaux. Combien sont-ils? Combien en reste-t-il encore? Or, il n'est pas si simple de répondre à ces interrogations, car les chiffres sont peu sûrs dans ce contexte d'instabilité qui touche la région.

La baisse numérique des chrétiens

Il est clair que le 21e siècle s'est caractérisé par un recul massif des chrétiens de la région. Les chaotiques évolutions en Syrie ont, une fois encore, permis aux spécialistes de mettre l'accent sur le sort particulier des "minorités" ethno-confessionnelles vivant dans ce pays.

La guerre civile qui déchira la Syrie, depuis plus de quatre ans maintenant, poussa vers l'exil une proportion significative des chrétiens. Les affrontements entre les terroristes de Daech et l'armée de Bachar dans le nord conduisirent les chrétiens orthodoxes, catholiques, syriaques, assyro-chaldéens et melkites à abandonner la région pour des cieux plus hospitaliers, notamment en Europe et en Amérique du Nord.

Bien entendu, on pourrait rajouter à l'exemple syrien, le cas de l'Irak, qui, chaos oblige, connaît un exode inquiétant d'une grande partie des chrétiens. La volonté d'échapper aux persécutions et autres malheurs qui n'ont cessé de les accabler, depuis presque deux décennies, a amené un grand nombre de chrétiens irakiens à fuir leur terre d'origine pour aller s'établir dans des pays susceptibles de leur garantir une plus grande sécurité.

Dispersés désormais à travers le monde entier, les chrétiens de l'Irak ont certes gagné leur tranquillité, mais loin de leur mère-patrie. Cependant, l'intégration de ces Irakiens dans les territoires d'accueil peut à la longue remettre en cause leur existence en tant que composante de la mosaïque religieuse de l'Irak de l'après-guerre.

Au Liban, où le poste du président de la République est dévolu aux Maronites depuis le pacte national de 1943, l'achèvement du conflit armé ne mit nullement fin au courant d'émigration, qui est aussi fort aujourd'hui que pendant les années de guerre. Car en dehors des conflits déclarés, des voitures piégées et des prises d'otages, l'inconfort de la vie quotidienne, l'incertitude face à l'avenir et la difficulté à se projeter dans le futur paralysent encore les énergies et donnent envie de s'échapper vers des horizons plus ouverts et plus sereins.

En Égypte, et malgré que les Coptes constituent aujourd'hui la communauté chrétienne la plus grande du Proche-Orient, la relation entre chrétiens et musulmans est caractérisée par une très forte tension. L'attitude équivoque de l'Islam officiel égyptien participe également à la précarisation de la situation des Coptes. Si beaucoup de politiciens égyptiens apparaissent comme des modérés, soucieux d'afficher leur attachement à la bonne entente intercommunautaire et à l'unité nationale, leur conviction intime que l'Islam, seule véritable religion, doit régir la vie sociale et inspirer l'action de l'État, s'oppose, de facto, à l'édification d'une société régie par l'égalité entre tous les citoyens égyptiens par-delà leur appartenance religieuse.

À partir de l'élection du nouveau patriarche d'Alexandrie, Tawadros II, l'Église copte commence une ère nouvelle, marquée par les rénovations des églises, le développement de son rôle social, mais une attitude de non-confrontation avec les nouveaux dirigeants du pays. L'essentiel de la communauté copte d'Égypte est dite copte-orthodoxe, en fait monophysite, alors qu'on compte aussi environ 200 000 coptes-catholiques et 70 000 coptes-protestants.

Les autres communautés chrétiennes d'Égypte font désormais figure négligeable depuis l'émigration des Grecs, des Italiens et des Syro-Libanais dans le début des années 60. Aujourd'hui, l'essentiel des chrétiens égyptiens est présent surtout au Caire et dans la Haute-Égypte. À Assiout par exemple, près du cinquième de la population est copte.

Le statut relativement favorable des chrétiens d'Égypte n'empêche pas les vagues migratoires de partir tantôt pour l'Australie, tantôt pour les États-Unis et le Canada. Même après le "printemps arabe", le problème de fond reste que les identités de la plupart des pays de la région ne se sont pas détachées d'une définition musulmane, ce qui empêche les chrétiens de prétendre une quelconque autonomie et encore moins une capacité d'agir sous forme de représailles.

C'est ce qui en fait d'utiles victimes pour ceux qui ont besoin d'engranger les cycles de haine et de vengeance. Il n'y a pas de représailles puisqu'ils sont désarmés. Ils sont devenus l'objet des violences contradictoires entre groupes et servent d'exutoire à la violence générale parce que chaque fois que l'on ne peut exercer cette violence sur l'adversaire, on peut la reporter contre eux.

Leur disparition serait tragique parce qu'elle donnerait raison à la purification ethnique comme méthode de coexistence entre les peuples. Elle serait tragique pour les populations non chrétiennes, car elle marquerait la fin de la diversité et d'une certaine sécularisation indispensables à l'équilibre social. Elle serait tragique parce que les lieux mêmes où le christianisme est né deviendraient des sites muséographiques qui seraient abandonnés aux pèlerins et aux touristes. Elle serait tragique parce qu'elle amputerait la mémoire vivante des civilisations antérieures de l'Orient.

C'est de tout cela que les chrétiens sont porteurs. Est-ce que les pierres mortes parlent encore lorsqu'il n'y a plus de vivants pour animer le débat sur la nécessité de protéger cet élément identitaire de la société arabe?

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Avril 2018

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