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Tunisie et Égypte: crise idéologique sur fond de crise économique

La division idéologique, alimentée par des discours populistes et identitaires des acteurs politiques, mais également de chaines comme Al Jazeera, augmenten les risques de tensions et d'assassinats des éléments modérés.
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afp

Pas évident d'établir une stabilité économique et d'écrire une constitution après une révolution qui a chassé une dictature de plus de trois décennies. La Tunisie et l'Égypte connaissent des difficultés similaires. Les raisons économiques ont été la principale cause des révoltes qui ont embrasé la région et dès la chute des dictateurs, des critères idéologiques se sont ajoutés à la crise. En Tunisie, l'assassinat de l'opposant au pouvoir Chokri Belaïd a mis de l'huile sur le feu. Les tensions accroissent les divisions et les difficultés pour créer un État stable permettant de mettre fin à la crise idéologique, politique (constitutionnelle) et économique.

Crise idéologique

La Tunisie est un pays qui a des racines laïques encrées, bien plus que dans les pays voisins. Dès son indépendance en 1956, le premier président Habib Bourguiba - qui a établi un système dictatorial d'une longévité de 31 ans - a combattu le fondamentalisme islamiste, notamment en préservant le droit des femmes. La prise de pouvoir de Zine el Abidine Ben Ali lors du coup d'État, sans effusion de sang, de 1987 n'a pas modifié la structure laïque de l'État et de la société tunisienne.

Cependant, la révolution qui a évincé Ben Ali du pouvoir en début 2011 a vu la montée du fondamentalisme islamiste fragiliser la structure laïque du pays et diviser la société en deux pôles qui luttent en ce moment pour avoir la main sur le pouvoir. Tout ceci alors que la priorité est de mettre en place une constitution et de faire la transition démocratique.

Selon Taoufik Djebali, professeur de civilisation américaine et de sociologie à l'Université de Caen "les islamistes ne sont pas des démocrates. Leur alliance avec le Qatar et leur proximité idéologique avec l'Arabie Saoudite sont les vrais problèmes". M. Djebali, qui retourne chaque année en Tunisie pour enseigner en tant que professeur invité explique que "rien n'a été fait pour écrire la constitution, rien pour l'emploi, mais que des débats sur la burqa, l'identité, l'islam, la laïcité...". Il ajoute que "les islamistes en Tunisie comme en Égypte ne sont pas capables de faire la transition démocratique".

Cette division idéologique, alimentée par des discours populistes et identitaires des acteurs politiques, mais également de chaines comme Al Jazeera, augmente les risques de tensions et d'assassinats des éléments modérés.

Un tel scénario s'est produit au lendemain de la révolution iranienne de 1979 où des centaines d'assassinats politiques de part et d'autre avaient creusé le fossé entre les différents groupes pourtant unis contre la dictature du Shah. Les divisions politiques et les assassinats qui ont suivi la révolution ont radicalisé les esprits et le nouveau pouvoir s'était alors durci. Il avait très rapidement laissé place à une politique sécuritaire visant à solidifier la nouvelle République islamique. Qui aujourd'hui se souvient des démocrates des premiers mois de la révolution iranienne de 1979 ?

Le billet de Milad Jokar se poursuit après la galerie Twitter

Aujourd'hui, ce risque de radicalisation est très présent en Tunisie et en Égypte. L'assassinat de l'opposant Chokri Belaïd risque de laisser plus d'espace pour la radicalisation entre les partis et rendre plus difficile la transition démocratique fondée sur une constitution. La décision du premier ministre Hamadi Jebali de former un gouvernement de technocrates - alors qu'il fait lui-même partie du groupe Ennahda membre de la majorité de coalition du gouvernement - montre l'urgence et la gravité de la situation.

L'instabilité économique rend difficile la construction politique

En plus des divisions idéologiques, la crise économique tunisienne créé une instabilité et un manque de perspectives favorables à l'écriture d'une constitution ainsi qu'à la construction de solides institutions politiques. Aujourd'hui, la Tunisie et l'Égypte ont besoin d'argent.

Si on prend le cas de la Tunisie, le tourisme et les exportations ont beaucoup souffert de la crise financière en Europe. En effet, après la crise les Tunisiens ont vu le nombre de touristes européens diminuer considérablement, car la priorité n'était plus de partir en vacances. Ceci a fortement réduit l'activité économique liée au tourisme.

Par ailleurs, 80% des exportations tunisiennes vont vers l'Union européenne et l'un des secteurs clés de l'exportation de la Tunisie est le textile et les vêtements. D'une part, la crise économique qui a frappé l'Europe a ralenti les échanges commerciaux entre la Tunisie et l'UE. D'autre part, l'Europe a ouvert son marché aux textiles et vêtements chinois, ce qui a également touché les exportations tunisiennes. Ces éléments, mêlés à la corruption de la dictature de Ben Ali, ont été les moteurs de la révolution.

Les classes moyennes supérieures éduquées, laïques et progressistes - qui manquent d'organisation, de présence et de leadership - ne sont pas parvenues à avoir la même efficacité que les partis islamistes qui ont remporté les élections. La conjoncture actuelle va au-delà de la fracture idéologique, elle n'est pas favorable au développement et elle risque de diviser davantage les différents groupes révolutionnaires. Et pour le moment, les forces islamistes - de par leur présence, leurs fonds et leur organisation - ont pris le dessus.

Il en va de même en Égypte où la crise financière s'accroit de manière trop importante, et le prix du blé est prévu à la hausse. Les tensions et divisions dans le pays vont au rythme de la crise financière.

Vali Nasr, ancien conseiller du Département d'État américain qui est actuellement doyen de l'Ecole SAIS de John Hopkins University à Washington explique que les pays arabes ayant connu des révolutions ont eu la malchance que celles-ci se déroulent dans une période où le monde est en faillite. Nasr ajoute "nous n'avons jamais eu de vague de démocratisation prospère sans l'implication du FMI, d'une structuration économique anticipée, et un leadership américain et européen en faveur de réformes économiques".

Vali Nasr illustre son propos avec une statistique

De 1989 à 1999, la communauté internationale - les banques (le FMI et la Banque Mondiale), les États-Unis et l'Europe ont mis 100 million $ de l'époque pour l'Europe de l'Est [afin de réunir les conditions de la stabilité et du développement]. Le montant total de l'engagement de la communauté internationale et des banques pour les Printemps arabes égale le zéro absolu.

Selon lui, c'est la raison principale de ce qui causera l'échec, parce que les transformations économiques et la croissance dont la région a besoin pour ancrer la démocratie ne sont pas au rendez-vous.

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