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Accord sur le nucléaire iranien : Quo vadis ?

A lui seul, l'Iran possède les réserves de pétrole de l'Arabie Saoudite, les réserves de gaz naturel de la Russie, le potentiel commercial de la Turquie et les réserves en minerai de l'Australie...
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Le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius se rendra finalement à Téhéran le 29 juillet pour y rencontrer son homologue Javad Zarif (qui l'avait déjà invité auparavant et qui a relancé son invitation) ainsi que le président iranien Hassan Rouhani. Que de chemin parcouru... On se souvient en effet des atermoiements du chef de la diplomatie française, d'aucuns diront les freins mis par ce dernier à la conclusion de l'accord du 14 juillet. Cette visite d'un haut représentant français en Iran est néanmoins une première en 10 ans. Gageons qu'elle remette notre diplomatie économique et stratégique au cœur des fabuleux enjeux induits par l'accord conclu à Vienne entre l'Iran et le groupe P5+1 (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU plus l'Allemagne).

Il aura fallu douze années de crise sur le nucléaire, près de deux ans de négociations intenses ponctuées d'un nombre record de rencontres bilatérales et multilatérales pour que s'ouvre une nouvelle ère des relations internationales. L'accord est non seulement «historique» pour l'avenir du système de régulation de la non-prolifération et du désarmement -au regard du Traité de non-prolifération (TNP), depuis son entrée en vigueur en 1970-, il l'est aussi car il se solde par un processus «gagnant-gagnant» qui confirme urbi e orbi, l'Iran comme une puissance régionale, globale, tant sur le point stratégique qu'économique. Bien que des obstacles demeurent, il convient surtout de ne pas manquer ce «momentum».

Les dossiers sont nombreux, dont l'incidence est fortement liée à l'accord de Vienne: convergence d'intérêt à lutter contre Daesh en Irak comme en Syrie; nécessité de stopper le conflit au Yémen; urgence d'une issue politique et institutionnelle au Liban; perception commune du besoin de stabiliser la situation en Afghanistan; nécessité de penser les relations énergétiques et économiques sur une base nouvelle, à mesure que d'autres acteurs -à l'instar de la Chine, de l'Inde, de la Russie-, témoignent elles aussi d'une volonté de mise en exergue d'un approfondissement des interdépendances eurasiatiques...

Bref, l'Iran, fort de ses 80 millions d'habitants, 100 millions en 2050, membre du G20 compte tenu de son PIB à parité de pouvoir d'achat qui le place au 17e rang, offre nombre de garanties pour qui veut bien s'en saisir. C'est désormais à ce chantier que la France doit s'atteler.

Il y a urgence, car la diplomatie française a placé nos intérêts stratégiques et économiques en positions inconfortables, et ce, par ses positions plus intransigeantes que celles de ses partenaires couplée à sa fermeté affirmée qui a pu certes séduire nos alliés en Israël et en Arabie Saoudite, mais qui, d'une part, est clairement considérée par Téhéran comme un manque de respect à la dignité des Iraniens, et marque, d'autre part, une rupture dans notre politique d'équilibre au Levant et au Moyen-Orient.

Situation quelque peu paradoxale quand on sait que les entreprises françaises ont parfaitement saisi l'importance des enjeux et ont déjà commencé à se repositionner sur le marché iranien. Notre «diplomatie économique» ne saurait donc être pervertie par une certaine idéologisation de notre diplomatie, encore faudrait-il faire plus désormais qu'en témoigner...

Sachons accompagner ce mouvement car la France a une place particulière en Iran. Nos entreprises sont bien implantées et connaissent bien le marché iranien et son potentiel exponentiel. A lui seul, l'Iran possède les réserves de pétrole de l'Arabie Saoudite, les réserves de gaz naturel de la Russie, le potentiel commercial de la Turquie et les réserves en minerai de l'Australie...

Il faut donc faire, désormais, la part des choses.

La position du gouvernement français sur les questions de non-prolifération ne doit pas freiner les intérêts de la France et la volonté des nos industriels de s'implanter à nouveau dans ce marché de 80 millions d'habitants, au très fort potentiel issu d'une jeunesse instruite et formée, qui représente 60% de la population, avide de biens de consommation comme en attente impatiente d'infrastructures.

La bonne exécution de l'Accord du 14 juillet, et sa mise en œuvre concrète permettra de sortir de cette confrontation qui a, du reste, davantage frappé nos entreprises que celles de nos partenaires d'Outre-Atlantique!

Les échanges commerciaux entre la France et l'Iran sont passés de 4 milliards d'euros avant les sanctions à 550 millions d'euros après les sanctions engagées à l'encontre de l'Iran depuis 2006. A titre d'exemple, le secteur automobile français -à travers Peugeot et Renault- qui était pourtant privilégié avant les sanctions représentant entre 35 et 40% du marché automobile iranien, a chuté pour laisser la place aux entreprises chinoises (qui occupent désormais 10% du marché iranien contre 1% avant les sanctions).

Rééquilibrage des forces géopolitiques dans le Moyen-Orient

S'il est indéniable que la position géostratégique de l'Iran est un facteur clé de la sécurité régionale, alors le commerce et les échanges économiques, scientifiques et culturels poseront un socle permettant d'ancrer ses voisins d'Asie du Sud-Ouest (Afghanistan et Pakistan en lutte avec les talibans, les narcotrafiquants ou encore des groupes armés sunnites comme Jundallah dans le Baloutchistan), comme ceux du Moyen et Proche-Orient (principalement l'Irak qui lutte contre son délitement politique et militaire) dans une aire de stabilisation -à court terme- et de prospérité -à plus long terme.

Le retour de l'Iran sur le devant de la scène offre enfin une nouvelle alternative. En effet, nous n'avions que peu de leviers pour faire face aux crises qui frappent le Moyen-Orient. Nous pouvons désormais faire face à la gestion désastreuse, car erratique, de la stabilité de la Péninsule saoudienne en faisant comprendre -enfin- à Riyad qu'il n'est plus le seul partenaire pilier du Golfe persique et qu'il doit réellement et immédiatement mettre un terme à l'expansion des groupes sunnites radicaux en Irak, en Syrie ou encore au Yémen.

Désormais, il sera plus compliqué pour les responsables américains conservateurs, israéliens ou saoudiens se rendant à Paris, de soliloquer sur la «menace majeure que représentait un Iran nucléaire», dans leur adresse aux responsables européens, eu égard au fait que ce sont ces derniers qui ont trouvé l'accord en coopération avec Téhéran.

C'est là une perspective réjouissante qui confirme l'importance du rôle en amont d'une diplomatie «alternative», nettement plus proactive que notre diplomatie «officielle», comme en témoignent les nombreuses délégations parlementaires, d'experts issus des think tanks français, d'industriels, dont celle sous l'égide du Medef-International en février 2014.

Le degré d'interaction entre les négociateurs iraniens et américains et la patiente construction et consolidation de «mesures de confiance», encore inimaginable il y a deux ans seulement, a permis la conclusion de cet accord. La menace d'escalade des tensions comportant un risque certain de confrontation armée va désormais ouvrir la perspective d'une intensification de la coopération ancrant la paix et la sécurité dans cette région qui en a tant besoin. La France a maintenant l'occasion unique de profiter d'un partenaire de choix et d'importance pour accomplir ses «progrès dans les dossiers de sécurité régionale», comme l'a encore répété le Président de la République, lors de sa traditionnelle interview du 14 juillet.

C'est maintenant que cette confiance se construit patiemment, mais à grands pas néanmoins, car la concurrence sera rude et certains de nos partenaires ont déjà eu l'intelligence d'anticiper la concrétisation de l'accord. Nul doute désormais, que ceux qui n'ont cessé, depuis des années, de militer en ce sens, seront davantage écoutés.

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