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Comment la Russie contourne les sanctions pour forer en Arctique

La portée des nouvelles sanctions à l'encontre de la Russie adoptées par Bruxelles, Washington et Berne est toute relative. Elles relèvent davantage de la communication stratégique pour préserver ses intérêts nationaux. Pour l'illustrer, attardons-nous sur le lancement des forages pétroliers dans l'Arctique russe.
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Il ne faut pas se mentir! La portée des nouvelles sanctions à l'encontre de la Russie adoptées par Bruxelles, Washington et Berne est toute relative. Elles relèvent davantage de la communication stratégique (StratCom) pour Bruxelles et Washington, et, pour Berne, d'une stratégie de hedging pour préserver ses intérêts nationaux. Pour l'illustrer, attardons-nous sur le lancement des forages pétroliers dans l'Arctique russe, samedi dernier, sous le patronage de Vladimir Poutine.

Faibles sanctions...

Initialement, Bruxelles et Washington menaçaient d'asphyxier la Russie d'un point de vue économique. En militant auprès de Bruxelles pour des sanctions très sévères, les États-Unis ont en fait enclenché une bataille interne à l'Union européenne pour la défense des intérêts économiques et industriels nationaux de chaque État membre entre eux.

C'est dans ce contexte que le 23 juillet dernier, le Commissaire européen à l'énergie, Guenther Oettinger, a déclaré vouloir frapper le secteur pétrolier russe au coeur. Plus spécifiquement, il ciblait les développements pétroliers russes en Arctique, pierre angulaire du maintien de la puissance énergétique du pays -et donc de sa politique étrangère- à partir de 2020.

Or, première limite : de par sa dépendance directe au gaz russe, l'Europe ne peut attaquer frontalement le secteur gazier et doit concentrer ses efforts sur le secteur pétrolier.

Seconde limite : Le champ des industries européennes impactées par l'effet boomerang des sanctions varie selon les États membres. En Allemagne et en Finlande, ce sont plus de 200 000 emplois qui dépendent du commerce bilatéral avec la Russie, tandis qu'en France le débat s'est focalisé sur la livraison des BPC Mistral. Or, les 28 ne pouvant s'accorder par nature que sur le plus faible dénominateur, les sanctions européennes contre la Russie furent finalement modestes au regard des ambitions initialement affichées.

...Gros coup de com'!

Cependant, la manoeuvre de Washington fut parfaite. Peu importe que les sanctions soient in fine asphyxiantes ou non pour la Russie dans un premier temps! Car en effet, la vraisemblance prime sur le vrai dans un combat StratCom américaine contre StratCom russe. L'arbitre n'y est nul autre que l'opinion générale des investisseurs. Dans ce contexte, l'objectif de Washington est bien moins de dominer la Russie au moyen de sanctions que de le faire en bâtissant une stratégie de communication vouée à attiser l'inquiétude des investisseurs dont la Russie a besoin.

Ainsi, le débat à sens unique sur le bien-fondé des sanctions s'imposa dans chaque État membre de l'UE autour de l'industrie nationale qui y aurait le plus à perdre. Les retombées médiatiques et la pénétration dans l'opinion furent maximales, tandis que les sanctions perdirent en dureté.

De plus, à la suite des annonces successives, les acteurs occidentaux présents en Russie se sont empressés de rassurer les marchés., lesquels, attirés depuis les garanties supposées par l'adhésion de la Russie à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), se sont alors divisés en deux groupes: certains furent effectivement rassurés, quand d'autres y ont trouvé un os à ronger et ont répandu leur propre inquiétude à leur tour dans les médias. Ces derniers, même s'ils sont minoritaires dans leur psychose, participent de la fabrique de l'opinion médiatique.

Tout est affaire de perceptions, et à cet égard, le nouveau train de sanctions adopté relève donc plus d'un bijou de StratCom (communication stratégique) que d'un réel coup économique infligé à la Russie.

Comment cibler les intérêts russo-américains en Arctique?

Première conséquence: les dernières interdictions à l'exportation ne concernent pas les contrats signés avant le 1er août 2014, et ne fixent aucune limitation en matière de transferts de technologie pour ceux-ci.

Dans le secteur énergétique en Arctique, le projet Total-Novatek en Arctique, Yamal LNG, qui prévoit la construction de 16 méthaniers brise-glaces (dont 12 ont déjà été commandés) a peu de chances d'être annulé. Actuellement détenteur de 15% du capital de son partenaire russe, Total prévoyait de monter à 19,4% du capital d'ici 2015. Cette opération financière est, elle, bien suspendue en attendant la révision des sanctions européennes cet automne, voire leur levée. Cela dit, le projet Yamal avance bel et bien sur le terrain même si Total doit redoubler de précaution dans sa montée au capital.

La donne est encore plus avantageuse pour le géant américain ExxonMobil en Mer de Kara.

Aucune conséquence pour le projet pétrolier phare

Samedi dernier, dans son allocution de lancement du programme Kara, le président du géant pétrolier russe Rosneft a affirmé que les ressources estimées de la seule Mer de Kara excédaient en volume celles du Golfe du Mexique et de plateaux continentaux prometteurs comme le Brésil et le Canada, et en valeur celles de l'Arabie Saoudite. Cette affirmation est très supérieure à l'étude menée par le Service géologique américain (USGS) en 2008 qui sert depuis de référence à tous les travaux universitaires sur l'Arctique.

Les chiffres d'Igor Sechin donnent le tournis: plus 500 milliards de dollars d'investissements sur 20 ans, pour un retour total espéré de 900 milliards. L'on pourrait penser que l'interdiction de l'export de technologies de pointe vers la Russie pourrait mettre à mal le projet. Et pourtant...

Premièrement, les sanctions occidentales ne s'appliquent finalement pas sur les accords signés avant le 1er août 2014.

Ainsi, si pas mal d'accords commerciaux devront être reportés, dans le cas de Kara, les besoins en technologies de pointe faisaient déjà partie de l'accord de coentreprise entre ExxonMobil et Rosneft. Cette coentreprise, Karmoneftegaz, est détenue à 51 % par le russe et 49 % par l'américain. Or, le 30 juillet dernier, Karmoneftegaz a signé une série d'accords courant jusqu'en 2022 avec un spécialiste parapétrolier norvégien, North Atlantic Drilling (NAD). La transaction implique l'achat par les Norvégiens de six plateformes de production offshore Arctiques-prêts d'ici à 2022. La plateforme utilisée depuis lundi, West Alfa, est déjà propriété de NAD. Évidemment, les entreprises norvégiennes ne sont pas tenues d'appliquer les sanctions de l'Union européenne contre la Russie.

De la même manière, Rosneft a acquis le 28 juillet dernier, une participation dans l'un des leaders mondiaux de services parapétroliers fourniture de matériel de forage, Weatherford International. Le montant du deal s'élève à 393,3 millions de dollars. Le siège de cette société fut relocalisé de l'Irlande vers la Suisse en avril dernier. Elle n'est donc pas davantage tenue d'appliquer les sanctions contre la Russie. Elle possède des technologies de pointe spécifiques aux environnements nordiques qui seront utilisées sur le projet Kara, technologies développées en son centre opérationnel de Houston et testées... en Norvège. Comme on peut le voir, Rosneft a parfaitement su anticiper pour se couvrir.

C'est donc non sans ironie que Vladimir Poutine s'est offert une petite phrase durant la cérémonie de lancement du projet Kara, en présence du PDG d'ExxonMobil Russie, samedi dernier: « Nous sommes heureux de voir le pragmatisme et le bon sens prévaloir, même malgré la conjoncture politique difficile ». Si l'on définit ici « bon sens » par la prospérité industrielle et boursière des deux entreprises, qui comme Total en France, possèdent un réseau diplomatique propre, il ne fait aucun doute que le bon sens a en effet prévalu...

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Avril 2018

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