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«Crise infirmière» ne veut pas dire que les infirmières piquent leur petite crise

Le mal est bien plus grand encore. C’est une crise des travailleurs du réseau de la santé.
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Depuis des années, nous, travailleurs du réseau de la santé, activons la cloche d'appel pour vous informer que le bateau commence à prendre l'eau. Plus récemment, on l'a même arrachée du mur la petite cloche! De réforme en réforme, l'eau pénétrait toujours un peu plus, et nous sonnions la petite cloche encore et encore... Où étiez-vous ? (Étrangement, nous quand la cloche d'appel se fait entendre, on y va!) Nous en avons parlé. Ratio sécuritaire, manque d'effectifs, heures supplémentaires obligatoires, non-optimisation des ressources disponibles. Certes, vous nous avez entendus, mais vous ne nous avez pas écoutés.

On parle de crise infirmière, mais il faudrait plutôt parler de crise des travailleurs du réseau de la santé. Aujourd'hui, ce sont les infirmières/infirmiers, infirmières auxiliaires/infirmiers auxiliaires, préposés(es) aux bénéficiaires et autres. Ce sont tous ces travailleurs qui vous interpellent.

Comment pouvez-vous garder la tête haute quand vous voyez tous vos travailleurs épuisés? Quand vous constatez que le taux de départ en maladie est aussi élevé? Quand vous entendez parler de burn-out parmi ces travailleurs? De dépression? De suicide? Quand des témoignages sont livrés par ces travailleurs démunis et en pleurs?

Monsieur Barrette, qu'est-ce que je dois répondre à un patient à mobilité restreinte qui m'insulte après avoir eu une incontinence au lit parce que je ne l'ai pas accompagné à la salle de bain assez rapidement?

« Désolée ce soir on manque ENCORE de personnel. On est à moins trois vous comprenez? Et une d'entre nous est en temps supplémentaire obligatoire et elle tente de retenir ses larmes parce qu'elle est vraiment épuisée. Et en plus, on nous annonce un autre temps supplémentaire obligatoire cette nuit et celui-là il me revient à moi. En fait pendant que vous aviez envie, madame Larouche a fait une chute. Pendant que je m'en occupais, Monsieur Lajoie s'est ''enfoncé'' et on a dû appeler le médecin, prendre l'ordre verbal téléphonique, faire rapidement des prélèvements et tenter d'installer un accès veineux. Je dis tenter, parce que comble de malheur, il est désorienté et il a frappé et blessé l'infirmière qui tentait de le piquer. Une autre infirmière vient de tomber au combat, mettez le drapeau en berne! Ensuite, il fallait administrer ce médicament que nous n'avions plus sur notre unité ce qui fait en sorte que nous avons dû communiquer avec d'autres départements pour nous le procurer. Puis pendant que je me rendais au poste pour faire resignaler le médecin qui n'en finissait plus d'arriver, j'ai intercepté la belle dame de 86 ans qui quittait l'unité pour aller rejoindre sa mère sinon elle serait en retard pour l'école puis j'ai dû négocier avec elle pour la ramener à sa chambre. (Tout ça avec le sourire) Maintenant, je m'excuse, je dois vous quitter parce qu'il nous reste des repas à distribuer, il y a 3 autres cloches d'appel qui sonnent, et la famille du 16 m'attend. Ils sont en colère et veulent savoir pourquoi leur mère n'a pas ses prothèses dentaires alors que le repas devrait être servi depuis 45 minutes! Au fait, il faudrait que nous aussi nous puissions aller manger, mais il y a tellement de paperasse à remplir que je ne sais pas si ce sera possible! Comment? Ha... Vous avez encore envie? (soupir) » (tous ces noms sont fictifs, vous l'aurez bien compris)

Il y a des problèmes organisationnels et nous refusons qu'on les rejette sur nous comme étant des problèmes individuels.

Il y a des problèmes organisationnels et nous refusons qu'on les rejette sur nous comme étant des problèmes individuels. Les études le démontrent. Avec les heures supplémentaires, le niveau de vigilance et la capacité d'attention sont réduits, ce qui peut entraîner des erreurs de la part du personnel soignant. De plus, quand le nombre d'heures de temps supplémentaire des infirmières augmente de 5 %, le taux de mortalité chez les patients augmente de 3 %. Le manque d'effectifs devient un risque pour la sécurité des patients, mais également de vos travailleurs, Monsieur le Ministre. La pression sur nous est très élevée. Nous avons entre les mains des vies humaines et nous ne devrions pas avoir droit à l'erreur. Mais nous sommes des humains nous aussi... que de simples humains.

Monsieur Barrette, que répondez-vous quand lorsqu'à coup de grand boum publicitaire vous tentez de sensibiliser la population à la maltraitance faite aux aînés, mais que quand vos travailleurs le dénoncent, ils sont menacés, intimidés ou que des sanctions disciplinaires leur sont imposées, et ce au nom d'une clause de loyauté? Suspension, menace de congédiement... Ne nous demandez-vous pas d'abord et avant tout d'être au service du bien-être de nos patients? Les faits sont que dans certains établissements, les besoins de base tels que l'alimentation, l'hygiène et le maintien de la dignité ne sont pas comblés parce que malgré toute sa bonne volonté, le personnel en place ne suffit pas à la tâche. On a tellement parlé de mourir dans la dignité qu'on en oublie presque qu'il faut également vivre dans la dignité. Et vivre dans la dignité est un droit autant pour les patients que pour le personnel. Certains travailleurs sont témoins de l'inacceptable, mais doivent garder le silence, car la ligne directrice est claire, soyez fidèles envers vos employeurs sinon... Quel être humain un tant soit peu concerné et empathique peut rentrer chez lui connaissant ces faits et être en paix avec lui-même ?

C'est pratique d'étouffer les lanceurs d'alerte, ça permet d'ignorer le problème, de l'enfouir, de l'étouffer... quitte à étouffer ses travailleurs.

C'est pratique d'étouffer les lanceurs d'alerte, ça permet d'ignorer le problème, de l'enfouir, de l'étouffer... quitte à étouffer ses travailleurs. Ça doit être ça les dommages collatéraux. Mais il est vrai que d'exposer un martyre aux portes du village peut dissuader ceux ou celles qui voudraient oser faire comme lui. Bien sûr nous craignons, mais nous sommes courageuses, fortes. Nous dénonçons, car nous refusons d'être complices.

Au plan déontologique et éthique, on nous a appris qu'il fallait sonner l'alarme lorsque la sécurité de nos patients est en jeu. C'est ce que nous faisons aujourd'hui. Ne pas agir n'est plus une option. Ni pour nous ni pour vous, Monsieur le Ministre. Mais cela nous rend apparemment coupables... mais de quoi ? De trahison ? De professionnalisme ? Et les coupables ils doivent être punis !

Entre les primes de jaquettes et les primes de ponctualité allouées à vos confrères médecins, nous sommes nous aussi toujours fidèles au poste, à l'heure et voir même toujours à l'avance, avec la belle petite jaquette, lorsque requise... et on est encore à bout de souffle... nous avons de moins en moins de souffle... vos petits soldats tombent au combat Monsieur Barrette.

Il y a longtemps que le feu brûle et par le temps que vous vous demandez comment l'éteindre, les dommages augmentent. Vous demandiez qu'on vous suggère des solutions (comme si on ne l'avait jamais fait auparavant) et on vous les a soumises à nouveau nos idées de solutions. Vous vous êtes récemment engagé à mettre sur pied des «projets-ratios» dans chacune des 16 régions administratives du Québec. Mais, c'est ici et maintenant que ça brûle ! Partout ! Tout le temps ! Pendant que vous mettez en place vos projets ratios, le bateau continue de couler.

Les infirmières québécoises sont les moins bien payées au pays, mais nous demandons tout de même peu plus de considération.

Les infirmières québécoises sont les moins bien payées au pays, mais nous demandons tout de même peu plus de considération.

«Crise infirmière» ne veut pas dire que les infirmières piquent leur petite crise, Monsieur Barrette. Le mal est bien plus grand encore. C'est une crise des travailleurs du réseau de la santé. Infirmières/infirmiers, infirmières/infirmiers auxiliaires, préposés aux bénéficiaires, inhalos et même certains de vos collègues médecins unissent leurs voix pour vous demander d'intervenir, ici, maintenant.

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