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Sexe et amour à l'université: rien faire n'est pas une solution

Johanne Villeneuve a lu notre texte sur les agressions sexuelles à l'université de travers ou trop rapidement, ce qui l'amène à faire la critique d'un texte déformé, voire caricaturé. On est cependant enclin à se demander quelle cause elle défend, car ce n'est certainement pas la cause des étudiants.
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Dans un article intitulé «Sexe et amour à l'université: Harvard n'est pas une référence», Johanne Villeneuve s'en prend à un article que nous avions fait paraître dans l'édition du journal Le Devoir du 21 février dernier et sur le HuffIngton Post Québec (« Contrer les abus sexuels à l'université »). Elle décrit notre position comme si nous avions fait un copier-coller de la position de Harvard.

Sa dénonciation ne tient donc pas compte des différences entre les deux modèles : la Faculté des arts et des sciences de l'Université Harvard a imposé un interdit généralisé au niveau du baccalauréat, à l'échelle de la Faculté des arts et des sciences dans son ensemble (regroupant des dizaines de départements). Dans notre modèle, au niveau du baccalauréat, nous proposons que l'interdit s'applique seulement au sein du département où enseigne le prof.

Une autre différence avec Harvard mérite d'être soulignée. À Harvard, il s'agit d'un interdit émanant de la direction, à l'endroit des professeurs. Dans notre modèle, il est proposé que les professeurs se dotent eux-mêmes d'un code de conduite ou qu'ils le formulent conjointement avec le collège ou l'université.

La professeure Villeneuve nous reproche de ne pas être sensible à la différence d'âge entre les étudiants au baccalauréat à Harvard et les étudiants au baccalauréat au Québec. Elle écrit : « Au Québec, les étudiants de premier cycle ne constituent pas une population aussi jeune que celle de Harvard ou de Yale où la très grande majorité n'a pas 22 ans.» La question essentielle n'est pas une question d'âge, mais de rapports structurels de pouvoir entre profs et étudiants qui relèvent de la nature même des institutions d'enseignement.

Johanne Villeneuve prouve qu'elle ne nous a pas bien lus en affirmant que nous sommes insensibles à la question de l'âge. Nous recommandons que le code s'applique de manière différente aux différents paliers d'étude. Il s'applique aux relations sexuelles entre profs et étudiants à l'ensemble de l'établissement collégial. Nous recommandons que le code interdise, au baccalauréat, des relations intimes au niveau du département universitaire. Nous recommandons enfin que les relations, au stade des études graduées, soient déclarées et non interdites, de façon à « exclure le prof de toute influence formelle dans le cheminement de l'étudiant-e». On comprend aisément que c'est pour les mêmes raisons, et non pour « prohiber le passé », que le prof doit aussi déclarer les relations passées avec l'étudiant-e.

Johanne Villeneuve soutient que le problème à Harvard concernait les agressions sexuelles entre étudiants. Elle fait état d'« un nombre effarant d'agressions sexuelles sur les campus (on parle en majorité d'étudiants qui agressent des étudiantes) ». Faudrait-il conclure qu'il ne faut pas intervenir pour empêcher cela? Et si oui, doit-on intervenir seulement dans les cas d'agressions sexuelles où les agresseurs sont des étudiants et non dans ceux impliquant des profs? Notre propos n'avait pas pour effet de minimiser la possibilité d'agression sexuelle des étudiants à l'encontre des étudiants. Nous avons voulu contribuer au débat public à partir de la position qui est la nôtre, celle de profs.

Quoi qu'il en soit, selon une association étudiante de l'Université de Harvard, il semble qu'il existe des problèmes d'abus et d'agressions impliquant les professeurs. Le groupe d'étudiants contre les assauts sexuels « Our Harvard can do better » a répondu à la décision de la FAS de Harvard avec un communiqué affirmant que l'interdit constitue « une condamnation importante des relations fondées sur un statut inégal qui sont susceptibles de mettre les étudiants en danger ».

Johanne Villeneuve le reconnaît elle-même: « En date du mois de mai 2014, pas moins de 55 collèges et universités faisaient l'objet d'une enquête en raison d'agressions sexuelles. Dans ce contexte, les universités ont été mises en demeure d'établir ou d'actualiser des politiques en matière d'agressions et de traitement des plaintes.»

Même en admettant que le nombre d'abus, de harcèlements et d'agressions puisse être moins élevé ici (ce qui est loin d'avoir été établi), ne doit-on pas intervenir dans les institutions collégiales et universitaires du Québec? Devrait-on éviter de le faire sous le prétexte que le nombre d'agressions sexuelles ne serait pas « effarant »? Ne serait-il pas, plutôt, « effarant » de ne pas vouloir le faire ? La misogynie ne se mesure pas « au chiffre », comme le voudrait le néolibéralisme, mais au fait.

Selon Johanne Villeneuve, « l'Association américaine des professeurs d'université (AAUP) critiquait ce type de politiques revues dans la précipitation ». En réalité, l'association ne rejette pas la question du revers de la main. L'Association américaine des professeurs d'université, si elle n'alla pas jusqu'à recommander un interdit sur les relations amoureuses, formula néanmoins un avertissement semblable, affirmant que les liaisons amoureuses entre les professeurs et les étudiants « peuvent rendre suspect le consentement, à cause de la dynamique de pouvoir ». Mais on peut comprendre l'AAUP de ne pas vouloir se faire imposer un interdit paternaliste de la part des directions universitaires. C'est exactement la raison pour laquelle nous recommandions que cet interdit vienne des professeurs eux-mêmes.

Johanne Villeneuve verse ensuite dans ce que nous estimons être l'excès. Elle écrit : « faut-il transformer l'enseignement en purs rapports de force, l'université en inquisition, les comités facultaires en confessionnaux ? » Mais non, l'enseignement n'est pas un rapport de force, l'université n'est pas une inquisition et les comités facultaires ne sont pas des confessionnaux. Notre propos est beaucoup plus simple que ça. Il s'agit simplement, pour le corps professoral et les institutions universitaires, de se doter d'un code de conduite permettant de prévenir ou de sanctionner les abus. La professeure Villeneuve semble s'offusquer que les professeurs soient comparés à d'autres professionnels qui se dotent d'un code d'éthique ; nous demandons seulement : en quoi les profs seraient-ils moins susceptibles d'abuser de leur pouvoir que les autres professionnels ?

Elle ajoute : « Faut-il soutenir que le « oui » d'une étudiante majeure doit forcément dire « non » puisqu'elle n'est pas en mesure de décider pour elle-même ? » En écrivant cela, elle démontre, encore une fois, qu'elle a peu retenu de notre propos. Le nouveau règlement qui interdirait les relations sexuelles entre les professeurs et les étudiants du baccalauréat serait motivé, non par la volonté d'interroger l'authenticité du consentement de l'étudiant-e, mais bien par le danger que des rapports de pouvoir viennent s'immiscer dans la relation et puissent être utilisés à mauvais escient par le prof. L'autonomie du consentement de l'étudiant-e n'est pas remise en question. Pas plus que ne l'est celle de la patiente d'un médecin ou du client d'une avocate. Ce qui est en cause, c'est l'utilisation abusive de la confiance consentie. Pour le dire autrement, on interroge non pas l'authenticité du consentement, mais le fait qu'il soit donné dans le contexte d'une relation à la base inégalitaire. Enfin, il nous semble étonnant que Johanne Villeneuve mette sur le même pied les abus sexuels et : 1. « le favoritisme, l'arbitraire et l'injustice », 2. « l'instrumentalisation des étudiants à des fins politiques ou personnelles », 3. « les mesquineries puériles et les rivalités entre collègues qui nuisent aux étudiants ». Il y a là une banalisation des abus sexuels, encore plus inquiétante que les dangers éventuels d'un code de conduite établi par des profs conscients de leur pouvoir. Il y a surtout une entreprise de diversion qui passe à côté de l'essentiel de notre propos.

Bien sûr, il est évident, comme le fait remarquer l'AAUP, objection reprise par Johanne Villeneuve, qu'aucun code de conduite ne va empêcher quelqu'un d'y déroger! Cependant, le seul fait de nommer et d'interdire l'abus sexuel balise le travail du prof et reconnaît que les torts subis par l'étudiant sont bien réels.

En somme, Johanne Villeneuve a lu notre texte de travers ou trop rapidement, ce qui l'amène à faire la critique d'un texte déformé, voire caricaturé. On est cependant enclin à se demander quelle cause elle défend, car ce n'est certainement pas la cause des étudiants.

Ce texte est cosigné par: Mireille Beaudet, Université de Montréal; Diane Lamoureux, Université Laval; Véronica Ponce, Collège Marianapolis; Yvon Rivard, Université McGill; Michel Seymour, Université de Montréal.

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