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Le projet Énergie Est dans de sales draps

Après la «Nuit des longs couteaux», va-t-on assister à la «Nuit des longs tuyaux»?
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Le rejet du projet Énergie Est de TransCanada par les 82 maires de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) ne doit pas être pris à la légère. Ceux-ci représentent quatre millions de personnes, soit la moitié de la population du Québec. Cette opposition a donné un nouveau souffle au débat portant sur ce projet très controversé.

Les personnes qui appréhendent la réalité sociale à partir d'un bout de lorgnette strictement économique et qui défendent le projet Énergie Est prétendent que les technologies alternatives ne sont pas encore au point, ou pas encore assez abordables pour remplacer le pétrole. On aurait certes l'énergie solaire et l'éolien en plus de l'hydroélectricité, mais à des coûts souvent trop élevés pour les gouvernements et les «consommateurs».

Cet argument suppose toutefois que le projet Énergie Est est pour sa part rentable. Or, la production de pétrole issu des sables bitumineux oscille autour de 80 $ le baril, alors que le baril de pétrole est à l'heure actuelle évalué à 30 $. La situation à cet égard n'est d'ailleurs pas sur le point de changer, car l'Arabie saoudite veut couper l'herbe sous le pied à tous ses concurrents, en particulier ceux qui produisent du pétrole à grands frais aux États-Unis, en Russie et au Canada.

Les esprits jovialistes qui invoquent un retour du balancier et espèrent une remontée des prix rappelleront que, par le passé, on a assisté à des variations importantes du coût du baril de pétrole. Ils seront enclins à croire qu'une remontée est encore possible.

Ils ne tiennent toutefois pas compte des pressions immenses qui pèsent sur cette industrie et qui vont progressivement la rendre de plus en plus obsolète.

L'évaluation des «coûts» doit aussi tenir compte des impacts sur l'environnement. Or, ceux-ci sont de plus en plus élevés, alors que les investissements dans l'énergie verte sont de plus en plus créatifs d'emplois. Ces dernières industries sont en pleine croissance, alors que les industries polluantes sont en pleine décroissance, y compris sur les marchés boursiers.

Les changements importants ne sont pourtant pas hors de portée. Les gouvernements peuvent subventionner l'achat de voitures électriques et peuvent plus généralement assurer l'électrification des transports. Les citoyens, pour leur part, peuvent cesser d'acheter des VUS et se déplacer en vélo, en autobus, en métro, en taxi ou en Communauto. Ils peuvent faire un usage accru du covoiturage et réduire considérablement leur consommation de viande et de lait. Ces quelques mesures, combinées à une taxe sur le carbone et à l'abandon des projets de pipeline, pourraient accélérer l'atteinte des objectifs de réduction des gaz à effet de serre (GES) que les pays se sont donnés à la Conférence de Paris sur le climat (COP21). La Suède a ainsi diminué sa consommation de pétrole de 57 % en 42 ans. Nous sommes capables d'en faire autant.

On entend de plus en plus souvent l'affirmation qu'une production décuplée du pétrole issu des sables bitumineux est compatible au Canada avec une réduction globale des gaz à effet de serre, mais c'est une affirmation qui n'est jamais étayée d'une quelconque façon et qui n'est jamais appuyée sur des faits. En somme, c'est une affirmation en l'air. Elle suscite d'ailleurs une première question qui, bien entendu, restera sans réponse : si les projets de pipeline sont compatibles avec une réduction des GES, pourquoi les gouvernements refusent-ils d'inclure dans le mandat de l'Office national de l'énergie (ONE) et du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) la tâche d'estimer la production de GES découlant de l'extraction du pétrole sale ?

À défaut de pouvoir disposer de réponses à de telles questions, on peut essayer d'imaginer d'autres arguments possibles. En exportant le pétrole sale en Inde et en Chine, on pourrait peut-être contribuer au remplacement de l'industrie du charbon, qui est encore plus polluante et que ces pays utilisent. Autrement dit, la production décuplée de pétrole sale pourrait paradoxalement servir à la réduction globale des GES, pourvu que l'on adopte une perspective géopolitique.

Cet argument, s'il était valide, pourrait dans le meilleur des cas servir à justifier un projet conduisant le pipeline d'Alberta vers la côte ouest, car c'est très clairement le plus court chemin vers l'Asie. Il ne peut donc pas être utilisé pour défendre le projet Énergie Est.

C'est en outre un argument qui ne tient pas compte de l'urgence de la situation. Il ne faut pas se contenter de proposer le remplacement de l'énergie la plus polluante par l'une des autres énergies les plus polluantes. Dans un cas comme dans l'autre, on a affaire à des industries qui sont très génératrices de GES, alors qu'il faut rapidement prendre un tournant radical et réduire les émissions de GES de façon draconienne.

Un autre argument visant à montrer que le développement des sables bitumineux est compatible au Canada avec la réduction des GES est que le Canada pourrait se contenter d'extraire le pétrole sans avoir à le raffiner. Le raffinage serait laissé sous la responsabilité du pays acheteur. Ce serait là la façon par laquelle la production de pétrole sale pourrait augmenter au Canada, tout en réduisant les GES produits sur notre territoire. Cet argument ne tient cependant pas la route, car si l'on choisit d'examiner la situation dans une perspective globale, le pays acheteur devra procéder au raffinage et cela engendrera une production équivalente de GES. Autrement dit, ce n'est pas en délocalisant la production de GES qu'on parviendra à la réduire.

En somme, quelle que soit la perspective adoptée, le projet Énergie Est doit être rejeté. C'est un projet de plus en plus obsolète, qui n'est pas économiquement rentable, qui est en soi polluant et qui ne contribue d'aucune manière à la réduction globale des GES.

Bien au contraire, il semble assez évident que c'est un projet qui va dans le sens contraire d'une telle réduction, puisqu'une production de pétrole sale induirait une croissance des GES équivalente à l'ajout de 7 millions de véhicules dans le parc automobile au Canada.

Ces critiques que nous formulons à l'égard du projet ne tiennent même pas compte des dangers de déversement et des conséquences qui s'ensuivraient sur l'environnement et notre accès à l'eau potable. Si l'on en tenait compte, la décision serait encore plus facile à prendre.

Un consensus est en train de se constituer au Québec contre le projet Énergie Est, tandis qu'au Canada, il semble que les neuf autres provinces y soient de plus en plus favorables. Va-t-on assister à un autre coup de force politique ? Après la «Nuit des longs couteaux», va-t-on assister, ainsi qu'un ami Facebook me le soulignait, à la «Nuit des longs tuyaux» ?

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