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Le projet de loi 122 contre la démocratie citoyenne

Le projet de loi 122 attaque de front les référendums donnant la parole aux citoyens pour que les mairies puissent s'occuper des «vraies affaires» avec des promoteurs, sans avoir à se préoccuper de la démocratie citoyenne.
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En vertu de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme (L.a.u.), et conformément à l'article 123 alinéa 3 de cette loi, une municipalité doit enclencher un processus d'approbation référendaire lorsqu'elle veut modifier le zonage d'un bâtiment, sauf si ce changement concorde avec la vocation du terrain, telle que spécifiée dans le plan d'urbanisme. Si, par exemple, un bureau d'avocats est vendu à un promoteur qui désire en faire un immeuble à condos, aucun référendum n'est requis si la vocation du terrain est résidentielle dans le plan d'urbanisme.

Les municipalités qui voulaient éviter les référendums ont depuis toujours fait usage du stratagème suivant. Elles faisaient adopter en catimini un changement au plan d'urbanisme pour que le changement de zonage passe ensuite pour un règlement de concordance. Ce faisant, elles s'épargnaient de devoir passer par l'épreuve d'une approbation référendaire.

Le projet de loi 122 et les zones de requalification

Les citoyens sont de plus en plus au fait de cette stratégie de contournement des référendums et cherchent de plus en plus souvent à bloquer le processus en amont, au niveau du plan d'urbanisme, pour pouvoir se prononcer par référendum sur le changement de zonage. Lors d'un précédent gouvernement, les Libéraux ont tenté de modifier la L.a.u. pour faciliter les choses aux maires et aux promoteurs immobiliers en autorisant la création de «zones franches d'approbation référendaire». Il s'agissait de zones dans lesquelles on n'aurait jamais à appliquer un processus d'approbation référendaire.

Le projet de loi 122 reprend la même idée à l'article 3. La L.a.u serait modifiée par l'insertion, après l'article 85.4, d'un article 85.5. affirmant qu'«une municipalité peut délimiter, dans son plan d'urbanisme, toute partie de son territoire qui constitue une zone de requalification à l'intérieur de laquelle aucune modification réglementaire ne sera sujette à l'approbation référendaire.»

En clair, les anciennes zones franches d'approbation référendaire sont devenues des zones de requalification. L'article 9 prévoit ensuite de modifier l'article 123 de sorte que le changement de zonage puisse avoir lieu sans référendum, même si ce n'est pas un règlement de concordance, lorsque le territoire se situe dans une zone de requalification.

Pas de référendums pour les bâtiments patrimoniaux

Lors des fusions municipales, des chartes furent adoptées pour les villes de Québec, Longueuil et Montréal. En vertu de ces nouveaux règlements, tous les projets pris en charge par la ville centre n'étaient pas soumis à l'article 123 de la L.a.u. (et donc pas soumis à l'obligation d'enclencher un processus d'approbation référendaire), sauf s'il s'agissait de modifier le zonage de bâtiments patrimoniaux ou situés dans un arrondissement historique et naturel, tel qu'indiqué par exemple, à l'article 89.1 de la Charte de la ville de Montréal.

Or, l'article 23 du projet de loi 122 modifie la charte de la ville de Montréal dans les sections cruciales où il est question d'approbation référendaire. Il propose de carrément supprimer le premier alinéa de l'article 89.1 où il est stipulé qu'un processus référendaire est requis pour les bâtiments patrimoniaux ou situés dans un arrondissement historique et naturel.

Une attaque frontale contre la démocratie citoyenne

En clair, cela signifie que les citoyens ne peuvent même pas avoir en principe le droit de se prononcer par référendum sur un projet de changement de zonage pris en charge par la Ville, et ce, même si le changement de zonage n'est pas un règlement de concordance, même si le bâtiment n'est pas situé dans une zone de requalification et même si le bâtiment est patrimonial ou situé dans un arrondissement historique et naturel.

Comme on le voit, le projet de loi 122 attaque de front les référendums donnant la parole aux citoyens pour que les mairies puissent s'occuper des «vraies affaires» avec des promoteurs, sans avoir à se préoccuper de la démocratie citoyenne.

Ajouter l'insulte à l'injure

On a vu que les autorités municipales parvenaient déjà à contourner assez aisément la démocratie citoyenne participative. Mais il semble que ce ne soit pas encore assez aux yeux des Couillard, Coiteux, Labeaume et Coderre, et qu'il faille faire disparaître de la loi toute trace de référence à la démocratie citoyenne comme rempart possible contre les abus des promoteurs immobiliers.

Pire encore, certains organismes vont témoigner à la commission parlementaire chargée d'étudier le projet de loi 122 en laissant entendre que la démocratie citoyenne explique pourquoi certains projets mal conçus n'aboutissent pas. Il faut blâmer la victime pour innocenter le coupable.

L'institut de développement urbain (IDU) estime par exemple qu'en signant un registre ouvert par la Ville de Montréal, 278 personnes seraient responsables d'avoir bloqué la transformation de l'ancien couvent des Soeurs des Saints-Noms-de-Jésus-et-de-Marie en immeuble à condos.

«L'IDU [...] donne aussi l'exemple du couvent, au 1420, avenue Mont-Royal, qui devait être converti en copropriétés. L'ancienne maison-mère des Soeurs des Saints-Noms-de-Jésus-et-de-Marie est toujours vacante sept ans après la tenue du registre en juin 2010 qui avait récolté 278 signatures.» (Rapporté par André Dubuc dans la Presse Affaires)

Parler au travers de son chapeau

L'IDU a tout faux. Il faut tout d'abord préciser que l'immeuble n'est pas laissé à l'abandon. Il a été acheté par un promoteur, un certain monsieur Leclerc, qui ne sait pas trop quoi en faire.

Il faut dire aussi que le processus d'approbation référendaire de 2010 n'a pas été mené à terme. Il ne peut alors avoir bloqué quoi que ce soit.

Il faut savoir ensuite que le processus d'approbation référendaire ne concernait pas le changement de zonage, mais seulement certains aspects du projet.

Le processus démocratique portant sur l'essentiel n'a donc jamais pu empêcher le projet, parce qu'il n'a jamais été mis en place par la ville.

Il faut dire enfin que si le processus d'approbation référendaire avait été mené à terme, cela n'aurait de toute façon pas empêché le promoteur de l'époque, Paolo Catania (avec qui la direction de l'U de M avait cru bon de faire affaire), d'aller de l'avant avec son projet.

Le processus démocratique portant sur l'essentiel n'a donc jamais pu empêcher le projet, parce qu'il n'a jamais été mis en place par la ville.

L'incurie de l'élite

Si le projet stagne, c'est à cause de l'incurie du promoteur actuel, monsieur Leclerc, et de la direction de l'U de M qui s'obstinent à transformer ce bâtiment en immeuble à condos alors que, depuis le début de la mise en vente, le Conseil du patrimoine de la ville de Montréal et le Rassemblement pour la sauvegarde du 1420 boulevard Mont-Royal soulignent les failles du projet et montrent que cet immeuble n'est pas destiné à accueillir des condos de luxe.

À cela s'ajoute le fait que le 1420 est un joyau patrimonial dont l'UdeM aurait dû être fière. Précisons aussi que la direction avait déjà englouti des dizaines de millions de dollars en investissement dans le bâtiment et qu'elle a, en dépit de cela, choisi ensuite de faire marche arrière et de le mettre en vente.

Il y a aussi le fait que la direction a grossièrement exagéré les coûts de rénovation, pour des raisons qui s'expliquent par le choix de développer l'UdeM à la gare de triage d'Outremont au lieu de la développer sur le campus de la Montagne.

Il y a aussi le fait que l'Université a un urgent besoin d'espace. En l'occurrence, la direction cherche désespérément des locaux pour accueillir l'école de santé publique. Or, le 1420 devait justement servir initialement à ça.

La direction est même allée jusqu'à déplacer les unités de l'école de santé publique qui étaient présentes dans la bâtisse pour les installer dans des locaux loués à grands frais sur l'avenue du Parc. Et pourtant, l'argent servant à payer les loyers de plusieurs unités logées un peu partout hors du campus de la Montagne aurait pu servir à rembourser un prêt permettant de rénover le 1420.

Rappelons en terminant que le 1420 est situé dans la partie est du campus de la montagne et à proximité du métro Édouard-Montpetit.

On prend ainsi toute la mesure d'une planification à courte vue qui révèle surtout l'incompétence d'un promoteur néophyte. On se désolera aussi de remarquer l'aveuglement d'une direction universitaire devenue insensible au patrimoine matériel et immatériel et obnubilée par le projet pharaonique de la gare de triage d'Outremont.

Conclusion

Dans ce contexte, il est odieux de laisser entendre que la démocratie référendaire est responsable de la stagnation du projet de transformation du 1420 en immeubles à condos. S'il ne démarre pas, c'est parce que le projet était vicié dès le départ et condamné à ne pas aboutir. Si la Ville de Montréal avait permis d'enclencher un processus d'approbation référendaire sur le projet de modification de zonage pour le 1420 boulevard Mont-Royal, la population aurait bloqué ce projet. Comme quoi des citoyens bien informés valent mieux que les politiciens qui s'occupent tout croche des «vraies affaires».

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